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REFORME

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clamé Luther ; honneur à l’Ecriture, où Dieu parle ; silence à la tradition, où ce sont les hommes qui parlent ! Mais voilà que Strauss et Baur, interprétant cette Ecriture, la présentaient comme un produit des imaginations humaines ou même des passions humaines, comme une création de l’esprit de mythe ou comme une création de l’esprit de querelle. Et les nouvelles tendances philosophiques, où les théologiens se llattaient de trouver certains éléments d’union, dissolvaient ainsi, tout doucement, l’intégrité historique de la personne du Christ et l’authenticité divine du message contenu dans les Livres Saints.

II. L'étape de Ritschl : l’organisation de l'équivoque. — Ce fut l’originalité d’ALBBiiT Ritschl, de æ rendre compte qu’il était dillicile pour le commun des âmes, pour les âmes qui ne sont pas des âmes de sa van ts.de consul ter, dans leur propre conscience, les échos de la conscience religieuse de la communauté chrétienne, pour en tirer leur religion ; par une méthode nouvelle, qui tout en corrigeant l’esprit de Sehleiermacher, continuait d’ailleurs de s’en inspirer, Ritschl conviait chaque chrétienà se livrer à l’action qu’exercerait sur lui la lecture des Livres Saints, à y chercher et à y trouver une expérience du divin, et à faire de cette expérience, tout individuelle, l’arbitre de sa foi personnelle. Dès lors, arrière les querelles théologiques 1 Véritable chefd'œuvre d’accommodation, la théologie de Ritschl conserve les mots traditionnels, en permettant au Qdèle de verser dans chacun de ces mots le contenu religieux <le son expérience, un contenu singulièrement différent de celui qu’y avait déposé la vieille théologie. Par exemple, à la question : le Christ est-il ûls de Dieu ? Ritschl répondra : t Oui, Jésus, sans aucun doute, a ressenti un rapport religieux avec Dieu, d’un caractère tout nouveau ; il a inculqué cette nouveauté à ses disciples ; tous les membres de la communauté chrétienne doivent se tenir à l'égard de Dieu dans le même rapport que Christ à l'égard de Dieu ». Voilà qui est édifiant ; qui, pour des lecteurs superficiels, pourrait même évoquer le souvenir des nombreux textes catholiques où le Christ et les chrétiens apparaissent comme les fils d’un même Père ; mais quelle est, en définitive, la christologie de Ritschl ? La filiation du Christ à l’endroit de Dieu, ce ne fui rien autre chose et rien de plus qu’une expérience personnelle de Jésus, qu’une impression subjectivede Jésus ; cetteexpérience, cette impression, nous.loivent à nous-mêmes dicter une attitude intérieure. Et peut-être insisterez-vous indiscrètement : Mais enfin, le Christ est-il Dieu ? Ritschl alors de répondre : « Les deux qualités du Christ : révélateur accompli de Dieu et prototype public de la maîtrise spirituelle exercée sur le monde, sont contenues dans le prédicat de la divinité. » Cela vous satisfait peu ; abordant par une autreporte cettepenséepleine de méandres, vous demandez à Ritschl : « Le Christ, enlin, fut il quelque chose de plus qu’un homme ? » Sur ce, Ritschl vous explique : « Le Christ ne serait qu’un homme, un homme purement et simplement ? Ser. lit ce poss ible ? Je ne liens même pas mes ennemis pour de simules hommes, car ils ont une certaine éducation, un certain caractère moral. » Voilà donc le Christ élevé par Ritschl au-dessus du rang d’homme ; mais Ritschl accorde à tous les hommes qui ont « un certain caractère moral » le bénéfice de la même ascension, et voilà qui nous éclaire assez iii.il sur la divinité de Jésus. Essayant d’une autre Interrogation, vous dites peut-être à Ritschl : « Le christianisme vient-il d’une révélation divine ? » Sa réponse est toute prête : « En parlant de la révéla lion de Dieu, déclare-t-il, nous pensons à la source spéciale d’une conception générale du monde, qui devient la conviction d’une communauté religieuse, et d’où résulte dès lors, chez on grand nombre d’hommes, une même formation de la conscience, une même orientation de la spontanéité. »

Mais les interrogations mêmes que vous adressez à Ritschl attestent, peu à peu, que vous ne parlez pas la même langue que lui et que vous n’avez pas, si l’on os*e ainsi dire, la même mentalité que lui ; pourquoi voulez- vous savoir de lui ce qu’est leChrist en soi, et ce qu’est la révélation en soi, et ce qu’est le miracle en soi ? Ce sont là des jugements métaphysiques, vous dira Ritschl, des Seinsurteile, et de ces jugements-là, lame religieuse n’a que faire. Les seuls jugements qui doivent vous intéresser, ce sont ceux qui définissent ce que Dieu est pour vous, ce que leChrist est pour vous, ce sont lesjugementsde’valeur (Werturteile). — Vous supprimez ainsi tous les fondements du christianisme historique, objectait jadis, à Ritschl et à ses disciples, un professeur orthodoxe de l’université de Heidelberg, Lemme. A quoi les disciples de Ritschl répliquaient volonlieis que la préoccupation des fondements du christianisme historique n’est à leurs yeux qu’une préoccupation de savants, uu souci d'érudits, et que cette préoccupation, que ce souci, livre la théologie à toutes les disputes des hommes ; mais qu’au contraire, grâce à la complaisante phraséologie du ritschlianisme, grâce à la généreuse hospitalité que peut donner l'àme individuelle à tous les « jugements de valeur » élaborés par sa subjectivité, la société religieuse présentera l’aspect, divers mais harmonieux encore, d’une infinie diversité d’expériences religieuses, si satisfaites d’elles-mêmes, si tolérantes les unes pour les autres, que les disputes théologiques apparaîtront comme des archaïsmes. Ecoutons à ce sujet un disciple de Ritschl, Kattbnbitsch : « Quiconque use de la langue de la Bible et de la Réforme dans un sens loyal, même avec un malentendu ; quiconque emploie les mots de cette langue avec le ferme et vrai propos de leur être fidèle, les considérant comme les termes sacrés de la chrétienté, comme des expressions qu’il ne peut pas mettre de côté, lors même qu’elles signions nt pour lui autre chose que pour beaucoup d'âmes d’autrefois et d’aujourd’hui, même si elles signifient pour lui quelque chose d’inouï, que personne n’y aurait jamais découvert : celui-là ne mérite pas d'être méprisé, il mérite reconnaissance pour sa piété. Cette langue est un trait d’union, comme la langue populaire. Elle neutralise pour l'âme beaucoup de fausses opinions théo-logiques. Qu’on se réjouisse de ce que tous les théologiens se rassemblent autour des mêmes mots. »

Etrange occasion de se réjouir I On avait, au seizième siècle, arrogamment déclaré, en face de Rome, que la lettre tue et que l’Esprit vivifie : on se flattait d’avoir fondé la religion de l’Esprit. Et voilà qu’aujourd’hui on se réjouit, commed’un gage d’unité — gage bien précaire, pourtant, — de voir tous les théologiens se rassembler autour des mêmes mots, autour de la « lettre » ; et l’on reconnaît, avec une désinvolte allégresse, que sous ces mots ils mettent des sens différents Derrière cette « lettre qu’ils ont conscience d’interpi éler avec une diversité qui donne lieu à d’implicites malentendus, ne cherchons plus l’Esprit, nous ne trouverions que l'équivoque ; mais cette équivoque même ouvre la porte à d’opportuns accommodements, dont on se réjouit.

Plus d’une fois, dans le séjour que nous faisions en Allemagne de 18y3 à 18uf>, nous eûmes l’occasion d’entendre nos interlocuteurs orthodoxes s’indigner contre un pareil système, parler de « fausse