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REFORME

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hors du giron de l’Eglise ? Pas davantage. Il nous reste des lettres échangées plus tard, entre Wohnar et Calvin. Il nous reste une préface au commentaire sur la 11e aux Corinthiens, dédiée par Calvin à Wolmar. On y cherche en vain l’aveu d’une influence religieuse exercée par l’helléniste sur son élève de Bourges. On y trouve au contraire ceci : a Tu n’aurais pas refusé de continuer à me tendre la main [pour mes études de grec], si la mort de mon père ne m’eût rappelé presque au début [de nos leçons]. » Les relations avec Wohnar, aussi bien qu’avec Olivétan, ont donc été courtes et peu profondes. Ce serait pourtant forcer la note, que de n’y attacher aucune importance. Ce qu’Olivétan et Wolmar ont pu faire, et ce qu’ils ont fait, suivant toute vraisemblance, c’est d’orienter Calvin vers l’étude de la Bible, d’éveiller son esprit critique à l’égard de l’Eglise. Il n’a pas obéi tout de suite à leurs suggestions. Les études humanistes se sont emparées de lui. Elles continuent à le détacher de la doctrine catholique, à son insu peut-être. Sans le savoir, son esprit est en marche. Le travail qui s’y accomplit est encore obscur et, si l’on peut dire, souterrain.

Ce qui l’arrête, en partie du moins, c’est l’argument que reprendra Bossuet : l’argument des Variations du protestantisme. Calvin nous l’apprend lui-même. Parlant plus tard des disputes entre Luther et Zwingle, au sujet de l’Eucharistie notamment, il écrira :

« Je suis content de me glorifier que, quand ils eurent

commencé à faire quelque approche de plus près les uns des autres, leur consentement, combien qu’il ne fust pas encore plain et entier, me servit beaucoup. Car, commençant un peu à sortir des ténèbres de la papauté et ayant prias quelque petit goust à la saine doctrine (le nui sanæ doctrinæ gustuconcepto), quand je lisoye en Luther qu’Œcolampande et Zwingle ne laissoyent rien es sacremens que des figures nues et représentations sans la vérité, je confesse que cela me destourna de leurs livres, en sorte que/’e m’abstins longtemps d’y lire. Or, devant que je commençasse à escrire, ils avoyent conféré ensemble à Marpourg et par ce moyen leur première véhémence estoitun peu modérée. » (Seconde défense contre les calomnies de J. Westphal, Opéra Calvini dans Corpus Reformatorum, IX, 51.)

La colloque de Marbourg est de 15au. C’est donc en 15a8, peut-êtred’011vétan, queCalvinavait « prins quelque petit goust à la saine doctrine ».

Le passage qu’on vient de citer est de 1545. En voici un an i r^ qui est plus explicite encore. Il date du 18 mars 153a et il est tiré de la célèbre réponse à Sadolet. Calvin y plaide sa cause, et s’adressant à Dieu, souverain juge, il s’écrie, non sans quelque emphase : « Quant est à moy, Seigneur, j’ay tousjours confessé publiquement la foy chrestienne, comme je l’avoye apprinse dès ma jeunesse… Et comme que j’eusse accompli toutes ces choses [les pratiques catholiques] tellement quellement, encore que je ne m’y confiasse quelque peu, si estoy-je toutefois bien eslongné d’une certaine tranquillité de conscience. Car toutes fois et quantes que je descendoye en moy, ou que j’eslevoye le cœur à toy, une si extrême horreur me surprenait, qu’il n’esloit ni purifications, ni satisfactions qui m’en peussent aucunement guérir. Et tant plus que je me considéroye de plus près, de tant plus aigres aiguillons estoit ma conscience pressé*, tellement qu’il ne me demeuroit autre soûlas ni confort sinon de me tromper moymesme en m’oubliant. Mais pour ce que rien ne s’offroit de meilleur, je poursuivoye tousjoui s le train que j’avoye commencé, quand cependant il s’est eslevé une bien autre forme de doctrine : non pas pour nousdestourner de profession chrestienne, mais pour

la réduire [ramener] elle-mesme en sa propre source et pour la restituer, eoinme emmodce de toute ordure, en sa pureté. Mais moy, offensé de ceste nouveauté, à grand’peine ay-je voulu prester l’aureille et si confesse que j’y ai vaillamment et courageusement résisté… Et mesmement une chose y avoit qui me gardoit de croire à ces gens-là ; c’estoit la révérence de l’Eglise. Mais après que j’eu ouvert quelque fois les aureilles et soulïert d’estre enseigné, je cogneu bien que telle crainte, que la majesté de l’Eglise ne fust diminuée, estoit vaine et superflue… Lorsque mon esprit s’est appareillé àestre vrayement attentif, j’ay commencé à cognoistre, comme qui m’eust apporté la lumière, en quel bourbier d’erreurs je m’estoye veautré et souilléetde combien de boues et macules je m’estoye honni. Moy donc (selon mon devoir) estant véhémentement consterné et esperdu pour la misère en laquelle j’estoye tombé et plus encore pour la cognoissance de la mort éternelle qui m’estoit prochaine, je n’ay rien estimé m’estre plus nécessaire, après avoir condamné en pleurs et gémisse mens ma façon de vivre passée, que de merendre et retirer en la tienne. » (Op. Calvini, V, 41a-413.)

III. Analyse des motifs de l’ « apostasie- conversion » de Calvin. — Le texte qu’on vient de citer est capital. Calvin y parle sûrement de lui-même et d’après une expérience personnelle, bien qu’il prétende décrire une « conversion-type », — ce que nous appelons, nous, catholiques, une « apostasie ».

Certains critiques, tels que Lefranc et Bossert, estiment que Calvin a exagéré la note dans cette page. Ils croientqu’il était un cérébral, beaucoup plus qu’un sentimental. Ces tourments de conscieneeque Calvin accuse, ces émotions déchaînées au dedans de l’âme, par la pensée du péché et du salut par la foi, tout cela leur paraît artificiel, peu conforme au tempérament de Calvin. Ils veulent que sa « conversion « ait été surtout une question de raisonnement et de logique. M. Doumergue pense au contraire que Calvin nourrissait, sous son enveloppe glacée et raisonneuse, une rare profondeur de sensibilité et de passion. Il nous semble que M. Doumergue a raison et que l’intelligence si vive, siaignë.la logique sisubtile et si pressante de Calvin, étaient animées, entretenues, aiguillonnées, mises en mouvement par une formidable puissance d’émotion concentrée, de susceptibilité, en un mot de sensibilité, d’autant plus forte qu’elle était davantage comprimée et contenue.

On peut donc se représenter Calvin ouvrant les ouvrages de Luther, peut-être à la recommandation d’Olivétan ou de Wolmar. Il est de ceux qu’un livre parfois révèle à eux-mêmes. Ilest l’homme accessible surtout aux sentiments livresques. Or une contagion émane des ouvrages de Luther. Nous avons signalé, plus haut, ce qu’on appelle le mal du siècle, l’obsession des esprits à cette époque, le romantisme du xvr’siècle, mis à la mode par Luther, mais latent au fond des coeurs : les angoisses de l’àme poursuivie par la hantise du péché et des jugements de Dieu, le besoin de certitude mystique, de paix, de pardon, le sentiment de l’insuffisance des doctrines traditionnelles du péché et de la grâce, et tout ce drame intérieur trouvant son dénouement dans l’opposition, inventée par Luther, entre la Loi qui menace et l’Evangile qui rassure, entre Moïse qui terrifie et Jésus qui pardonne, en un mot : dans la théorie du salut par la foi seule, base essentielle d’une théologie de la consolation et de l’amour.

C’est cette mystique de lu consolation, qui forme le noyau le plus intérieur du protestantisme luthérien. C’est par cette mystique que le grossier Luther a séduit le fin Mélanchthon. Dans ses Loci communes,