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REFORME

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corde à son arc. Un historien du xvn" siècle, Le VxssKun, le nomme un « praticien à cinq parties », et il nous apprend que maître Gérard était un « esprit ardent et des mieux entendus en la plus fine algèbre des procez ». « Il se fourra partout, ajoute-t-il, et brigua grandement les affaires. » (Annales de l’église de Noyon, Paris, 1633.)

Gérard Cauvin était devenu bourgeois de Noyon en 1497, el n’avait pas craint, lui qui ne payait que quatorze sous de taxe, de demander la main de Jeanne Lefranc, fille d’un hôtelier de Cambrai, devenu aussi bourgeois de Noyon, en 14g8, et qui payait quatre livres.

Pour apprécier ces chiffres, rappelons qu’un bon ouvrier gagnait alors de trois à cinq sous par journée de travail, et que le salaire d’un maître d’œuvre ou constructeur de cathédrale ne dépassait pas sept ous !

Le ménage Cauvin-Lefranc eut six enfants, quatre (ils, dont un mourut en bas âge, et deux ûlles. L’aîné se nommait Charles. Il entra dans les ordres, devint curé de Roupy et mourut excommunié, en 1.537. Gérard Cauvin, le père, était mort de même dès 1531. De père en fils, les Cauvin paraissent avoir été violents, très obstinés, assez intrigants.

Jean Calvin, le second fils de maître Gérard, fut également dirigé de bonne heure vers la carrière ecclésiastique. Il fit ses premières études au collège des Capettes à Noyon. C était une école fondée pour vingt boursiers pauvres. Les élèves y portaient un petit manteau à capuchon, appelé cappa, d’où le collège tirait son nom. Une bourse s’appelait une capetterie.

C’est dans cette école que le jeune Calvin commença à se révéler. Chaque enfant porte en son âme un mystère. La vie oblige l’homme qui est en lui à se faire connaître. Calvin montra de bonne heure qu’il était fait pour les livres. Toute sa vie, il sera « livresque ».

Ravi de ses premiers succès, Gérard Cauvin fit tout au monde pour « pousser » un fils qui donnait tant d’espérances. L’enfant fut associé aux études des jeunes seigneurs de Montmor. Dédiant plus tard son premier ouvrage à Claude de Hangest, qui était un Montmor, Calvin lui disait : « J’ai été élevé tout enfant dans votre maison et initié avec toi aux mêmes études. »

A l’âge de neuf ans, Calvin reçut la tonsure, à la demande de son père. Cela lui permit d’être pourvu d’un petit bénéfice, en cette même chapelle de la Gésine, que son aîné avait eue avant lui. Plus tard, quand il sera obligé de fuir et de se cacher sous un pseudonyme, à cause de ses opinions hérétiques, il se fera volontiers appeler d’Espeville, d’une terre appartenant à sa chapellenie. Il fut nommé, en 15a7,

— bien que simple tonsuré, — curé de Marleville. Deuxansplustard.il passait sa chapellenie de la Gésine à son frère cadet, Antoine, et échangeait sa curecontrecelle de Pont-1’Evêque. En 1 53 1, Antoine lui rendit sa chapellenie.

Ces menus détails nous apprennent nue la famille Calvin ne dédaigna pas de profiter des abus qui s’étaient glissésdans la discipline ecclésiastique.

Jean Calvin fut curé pendant sept ans, sans avoir jamais reçu les Ordres. Il faisait desservir sa paroisse par quelque vicaire et touchait les revenus. Il est juste toutefois de noter, à ce propos, que la distribution des bénéfices ecclésiastiques, qui nous choque si fort aujourd’hui, était un des grands rouages financiers d’alors, un moyen de récompener de précieux services rendus à la nation, ou, comme dans le cas de Calvin, de favoriser l’avenir d’un jeune homme intelligent mais sans fortune.

Toujours associé aux études des Montmor, Calvin suivit ses petits camarades, quand ils allèrent achever leur instruction à Paris. L’Université de cette ville était la première du monde. Elle donnait la science et la gloire. Jean Calvin y arrivait, avide de l’une et de l’autre, au début de sa quinzième année, en août 15a3.

Il logea chez son oncle Richard, le serrurier, établi près de Saint-Germain l’Auxerrois, et suivit d’abord, en qualité de martinet (externe libre), les leçons de grammaire au collège de la Marche.

C’est là qu’il eut la bonne fortune de rencontrer un maître qui lui donna la première idée de ce que doit être le style, cette grande force de l’écrivain. Ce maître était Mathurin Cordier, le « Lhomond du xvi* siècle ». Calvin lui adressait plus tard ce témoignage flatteur : « De tes leçons, j’ai tiré un si grand secours que je te rapporte, ajuste titre, tous les progrès que j’ai pu faire dans la suite. Et j’ai voulu en rendre témoignage devant la postérité. Si elle retire quelque utilité de mes écrits, qu’elle sache bien que c’est à toi, en partie, qu’elle le doit. » (Dédicace du comment, de la l’c aux Thessaloniciens.)

Au bout d’un an, Calvin passa du collège de la Marche à celui de Montaigu, le même où devait venir bientôt un jeune capitaine espagnol nommé Ignace de Loyola.

Le grand exercice de la maison était l’argumentation dialectique. «. On y dispute avant le dîner, écrivait le célèbre humaniste Louis Vives, on y dispute pendant le dîner, on y dispute en public, en particulier, en tout lieu, en tout temps. »

Cette gymnastique tournait sans doute plus d’une fois à l’acrobatie intellectuelle. On désirait peut-être moins d’avoir raison que d’avoir le dernier mot. Le fils du notaire et procureur fiscal de Noyon ne manqua point de se distinguer dans ces joutes quotidiennes, où son intelligence subtile devait faire merveille. C’est bien à Montaigu qu’il a été rompu à la discussion. Il est sous ce rapport un fils authentique de la scolastique médiévale. C’est à Montaigu qu’il apprit cet art de « presser un argument », dont volontiers il se vantait plus tard, mais où il était souvent plus attentif à la rigueur de la forme qu’à l’exactitude de la pensée.

Il reste du séjour de Calvin à Montaigu un souvenir assez curieux. Théodore de Bèze nous apprend qu’il s’érigeait volontiers en « censeur sévère » de tous les vices de ses camarades. Ceux-ci cherchaient naturellement à se venger, aussi croyons-nous aisément à l’information que nous fournit Le Vasseur, quand ils nous dit qu’on l’avait surnommé* l’ocrasatif ». M. Doumergue s’est donné beaucoup de mal pour écarter le reproche impliqué dans ce sobriquet, assez bien trouvé. Mais le rôle que le réformateur donnera plus tard à la délation dans la discipline de son Eglise, à Genève, ne permet guère de partager les scrupules du savant biographe

Calvin disait de lui-même qu’il était peu sociable,

« Estant, écrit-il, d’un naturel un peu sauvage et

honteux, j’ay tousjours aimé requoy et tranquillité. »

Il avait cependant quelques amis, les trois Montmor, en première ligne ; Joachira, Yves et Claude de Hangest, ensuite les quatre (Ils de Guillaume Cop, médecin du roi, et, parmi eux, surtout Nicolas Cop, que nous retrouverons plus tard, A un moment décisif de la vie de Calvin, et Michel Cop, qui se fera pasteur à Genève.

Il semble pourtant que ces amitiés fussent tempérées, dès le principe, par une nuance de respect et même de crainte pour cet écolier modèle qui paraissait mûri avant l’âge.