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REFORME

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contraire. On ne saurait rien dire de plus fort, pour dévoiler son erreur et prouver la banqueroute de son système religieux, que ce qu’il écrivait lui-même, le 7 janrier 1527, à son ami Spalatin :

« Jusqu’à présent, par une folle espérance, je présumais

des hommes quelque chose de surhumain, à savoir qu’on pouvait les conduire par V Evangile. Mais l’expérience démontre qu’au mépris de l’Evangile ils doivent être contraints par les lois et le glaive. » (Endbrs, VI, 6)

Ce fut une bonne fortune, pour Luther, en ces conjonctures de rencontrer dans son souverain, le princeélecteur de Saxe, le secours qu’il attendait. Frédéric le Sage était mort. Son frère Jean le Persévérant lui succéda (5 mai 15a5). Jean était entièrement gagné aux idées de Luther. Il devait déclarer, dans la suite, qu’il sacrifierait la paix plutôt que « le moindre article de la vérité luthérienne ». Leprédicant Hausm a.nn, un ami de Luther, fut le premier à lui proposer de prendre en main l’administration religieuse de l’Electorat, de prescrire une visite des églises, et d’imposer une règle de foi, de culte et de prédication, obligatoire dans tout le pays (lettre du 15 mai 1515, quelques jours avant la mort de Frédéric le Sage). Hausmann invoquait, pour convaincre le prince, l’exemple des rois de l’Ancien Testament. On allait donc rétrograder jusqu’à une époque antérieure au Christ. Le principe de la séparation du spirituel et du temporel, établi par Jésus, serait supprimé. Obligé de choisir entre l’anarchie et la théocratie, Luther s’arrêtait à la théocratie. Car Luther est pleinement d’accord avec Hausmann. Il a sans doute inspiré sa supplique. En tout cas, il l’approuve, il l’appuie. Dans une lettre du 31 octobre 15a5, il écrit à l’Electeur, il lui représente l’état misérable des paroisses, la détresse des pasteurs.

Les revenus des églises disparaissent. Personne ne paie, on ne donne plus rien. Autrefois, gémit Luther, on achetait volontiers même les Indulgences. Maintenant les paroissiens demeurent indifférents à la pénurie de leurs curés (luthériens). Les écoles tombent également. Il appartient au gouvernement de prendre des mesures énergiques, autrement tout s’en va : religion et ministres, écoles et écoliers.

On ne saurait trop remarquer la régression déplorable qui, sous le beau nom de Réforme, s’opérait ainsi en matière religieuse, dans les mœurs politiques. Même au Moyen Age catholique, l’intervention de l’Etat dans les questions de conscience ne se produisait que rarement, dans le cas d’hérésie déclarée et condamnée par le pouvoir ecclésiastique. Maintenant, c’est une action habituelle et constante qui lui est demandée.

Le dogme, la morale, le culte, tout rentre dans ses attributions. La religion ne sera plus qu’un département de l’administration publique. Elle dépendra désormais, en pays protestant.de chaque souverain, et les sujets n’auront d’autre droit que celui de réciter passivcmentle Credo des théologiens couronnés, à qui seuls il appartient d’apprendre au peuple ce qu’il doit croire ou ne pas croire.

L’Electeur Jean de Saxe prêta une oreille complaisante aux suggestions de Luihrr. Dès 15a6, l’autorité civile commence à réglementer le culte, elle impose la Messe allemande, elle organise la Visite des églises (autrefois confiée aux évoques). Cette Visite eut lieu en 1537. Elle révéla une situation lamentable. Luther en fut encore davantage affermi dans sa manière de voir. Une voix cependant s’éleva, celle de Jean Agricola, pour réclamer

« la liberté des consciences » — le mot est textuel.

Luther lui répondit, le 31 août 1627, non sans embarras, mais dumoins sans ambages : « Prends patience,

disait-il, étouffe tout désir de discussion à ce sujet, de peur que cette œuvre nécessaire (opus necessarium )dt la Visite [des églises] ne soit arrêtée dans sa course avant l’heure et sans raison suffisante. Le Christ nous accordera que tout se passe avec rectitude. .. » (Endbrs, VI, 84.) Il faut absolument, pensait Luther, arriver à l’uniformité. Or cela est impossible sans contrainte. Il fautprendre le peuple tel qu’il est. Lui prêcher la liberté spirituelle, c’est engendrer chez lui la liberté charnelle ; il faut donc revenir aux méthodes qui réussissaient autrefois et, devant ces imaginations grossières, ne pas avoir peur de dresser les perspectives effrayantes de l’enfer, exiger les œuvres, car « l’estime des œuvres nous est incorporée, innée, elle vient de la nature elle même » (Luther à Agricola, même lettre que ci-dessus, Endbrs, VI, 85). Aussi, malgré les protestations d’Agricola, Luther poussa-t-il à la publication de l’Ordonnance ou Instruction de la Visite des Eglises. Cette Ordonnance, promulguée le 22 mars 15a8, doit être regardée comme la charte fondamentale de l’Eglise luthérienne, en tant qu’Eglise d’Etat.

Dans la Préface de ce document, on lisait ces lignes de la main de Luther : « La lumière de l’Evangile ayant été restituée par la divine miséricorde, … nous avons désiré que la fonction épiscopale fût rétablie ainsi que la Visite des Eglises. Mais comme personne parmi nous n’avait d’appel ni d’ordre pour une œuvre si importante, nous avons prié humblement l’Electeur Sérénissime, Jean, duc de Saxe, constitué indubitablement, par Dieu, prince de la région, — bien qu’il ne fût pas obligé par la loi humaine de nous entendre, au nom de la charité chrétienne et pour l’amour de Dieu, de prendre en main le soin de l’Evangile et du salut de ses sujets et de déléguer à cet effet des hommes de valeur et de conscience. »

Luther abdiquait ainsi entre les mains de l’Etat. Sa Réforme s’achevait en Constitution civile du Clergé ; et cette Constitution elle-même reposait, en dernière analyse, sur le principe du droit divin des princes, principe que le gallicanisme affectionnait, mais que Rome n’a jamais adopté.

Ici s’arrête l’évolution religieuse de Luther. Sa vie n’a plus désormais qu’un intérêt biographique particulier. Elle n’appartient plus à l’histoire de la Réforme. Le luthéranisme entre dans la vie politique internationale par la fameuse Protestation des princes de la minorité, à la diète de Spire (19 avril 15ao, ).Il se donne nn Symbole officiel l’année suivante parla Confession d’Àugsbnurg (a5 juin 1530). Cette confession sera analysée ci-aprés.

Luther avait bien des fois déclaré que le pouvoir de Rome était un pouvoir de fait, d’origine humaine, nullement un pouvoir de droit, voulu par Jésus-Christ ; mais quand il s’agit de lui-même, son succès (relatif, car il visait sûrement à la conquête de toute la chrétienté) lui apparait comme une marque d’approbation divine. Il y voit, à la lettre, un mirarle de la Providence, une confirmation suprême de son « Evangile », une preuve évidente de la divinité de sa mission. Il demeure jusqu’à sa mort le théologien par excellence de son Eglise. Les princes le consultent. Ils le mettent parfois dans un terrible embarras. La p dilique a de si terribles exigences. On lui demande notamment si les seigneurs luthériens peuvent se liguer entre eux et au besoin faire la guerre à l’Empereur. Luther hésite longtemps. Le respect traditionnel d’un si grand nom arrête sa plume. Il se déclare à plusieurs reprises contre les « guerres de religion ».

Puis il cède aux circonstances et, en octobre 1530, il fournit aux princes de son Eglise un « avis théologique » où il déclare permise la guerre à l’Empe-