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REFORME

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actes d’amour de Dieu, ces bonnes actions où nous avons mis toute notre ferveur, voilà ce qui est à craindre. C’est là que se cache un orgueil secret, un amour-propre rafliné, une pernicieuse confia ce en nous-mêmes. Cela nous fait oublier notre impuissance : t Cependant tout cela n’est pas dit pour que nous omettions les œuvres justes, bonnes, saintes, mais pour que nous réprouvions l’estime qu’on en a, en sorte que nous n’ayons pas une telle confiance en elles, ni ne les regardions comme si dignes que nous nous figurions être justes devant Dieu par elles » (Fic.ker, ouvrage cité, I, a, p. 71).

L’idéal du chrétien, d’après Luther, à cette date, c’est le quiétisme radical : ne plus penser à soi, « ne plus désirer la gloire éternelle », ne plus s’effrayer du péché ; « ne plus craindre la peine dont Dieu le frappe, ne plus se réjouir de la vertu, mais se jeter à corps perdu entre les bras du Christ en lui disant :

« Seigneur Jésus, vous êtes ma justice, je suis

votre péché, vous avez pris ce qui est à moi, vous m’avez donné ce qui est à vous. » En un mot, « nous ne sommes sauvés que si, ayant le péché et vivant dans le péché, nous souffrons de l’avoir et gémissons vers Dieu pour en être affranchis ».

Tout pénétré de cette pensée du péché incurable, Luther construit une métaphysique autour de son obsession favorite :

i* La volonté de Dieu est irrésistible, a* L’àme humaine n’est douée d’aucune liberté, 3° Laissée à elle-même ou abandonnée à Satan, elle est esclave du péché, 4* Dieu tient à ce qu’elle pèche pour l’humilier et lui faire comprendre que lui seul est Dieu, 5° Il lui impose donc la Loi morale, non point pour qu’elle l’observe puisqu’elle en est incapable, mais pour la décourager, la pousser au désespoir, lui montrer l’enfer qu’elle mérite à tout instant, G" La Loi sert aussi à justifier Dieu, quand il damne le pécheur. Sans doute, celui-ci ne pouvait pas l’accomplir, mais il a admis les chances du jeu, il a violé la Loi en croyant qu’il pouvait l’observer, il n’a pas désespéré de lui-même, il a mérité l’enfer [Ce point est le plus étrange de cette inconsistante théologie. Luther y insistera dans le De servo arbilrio, de 1525 ; voir Cristia.ni, Du Luthéranisme au protestantisme, Paris, 191 1, p. 354 et suiv.], 7* Quand l’àme est bien épouvantée, à l’aspect terrifiant de la Loi, Dieu fait luire à ses yeux les consolantes Promesses de l’Evangile, il lui donne la foi, par laquelle se reconnaissant pécheresse, elle Justifie Dieu et en reçoit en échange la justification.

Poussant à bout sa pensée, que l’excès du désespoir doit engendrer l’espérance (nous dirions : la présomption), Luther écrit : « Le troisième degré et le plus parfait (des signes d’élection ou de prédestination ) est en ceux qui effectivement se résignent d’eux-mêmes à l’enfer pour la volonté de Dieu, comme il arrive peut-être à beaucoup à l’heure de la mort ! » (Com. de Ilom., viii, 28, Ficker, I, 2, p. a15).

Luther avait l’obsession de l’enfer. Dans ses Ilesolutiones de 1518, il dit, parlant évidemment de lui-même :

« Je sais un homme qui Hlirmait avoir souffert

les peines infernales, pendant un temps très court il est vrai, mais d’une manière si intense que ni la langue ne le peut dire, ni la plume l’écrire, ni celui qui ne l’a pas senti s’en faire une idée (. »

Pour guérir cette obsession, il ne trouve rien de mieux que le dogme de la certitude du salut, qui va devenir le pivot de. sa théologie. Jusqu’à 1518, il n’avait pas une idée précise de l’objet de la foi, ni par conséquent de sa nature. A partir de 1 5 1 8, il

1. C’est presque en ces termes que saint Puul parle du ciel.

donne à la foi justifiante pour objet : la certitude du salut personnel, il en fait donc un acte de présomption obligatoire (Sur la genèse de ce dogme, voir Cristiani, Luther au couvent, p. 67 à 72).

Dans tout cela, il n’y avait encore qu’une hérésie matérielle, Luther croyait assurément retourner, par delà les Scolastiques, à la saine tradition, celle des Pères, de saint Augustin surtout, à la vérité pure de la Bible. Le glissement de sa pensée s’était produit d’une manière si naturelle, si continue, si insensible, qu’il avait passé de l’orthodoxie à l’erreur, sans s’en apercevoir (comme avait fait avant lui Jean Hus), par le simple développement d’une théologie très impressionniste, peu précise, toujours flottante, et sous l’impulsion d’un tempérament inquiet et agité, d’expériences souvent obscures ou équivoques, mais d’une singulière violence. Qu’une occasion se présente, qu’il 6e croie appelé à protester contre un abus quelconque, — ils ne manquaient pas alors, — il est à prévoir qu’il enflera la voix avec son exagération et son àpreté habituelles, que les dogmes essentiels de la foi seront par lui tôt ou tard mis en cause et que l’incendie, rêvé par un Ulrich de Hulten, se trouvera allumé par un moine à demi inconscient de ce qu’il va faire et se propagera avec une telle rapidité que rien ne pourra plus l’éteindre.

VI. Vers la rupture : de l’affaire des Indulgences à la dispute de Leipzig (1517-1519). — Luther n’était pas seulement ce théologien aux tendances pessimistes, fatalistes et mystiques, dont on vient d’analyser l’état d’âme, c’était encore un rude et hardi prédicateur, qui ne craignait pas de porter devant le peuple fidèle la critique, souvent amère et assaisonnée de lourde ironie, des abus dont souffrait l’Eglise. Il tonnait surtout contre l’excès des manifestations extérieures, dans le culte des saints. Il y avait des pensées justes et édifiantes dans ses discours, mais également des idées contestables, des opinions personnelles, issues de cette théologie dont on a vu l’origine dans sa vie. Dès 1 51 5, il prêche contre l’Observance et les œuvres. Il reproche aux partisans de l’Observance leur confiance dans leurs propres mérites, il prononce à ce propos le gros mot d’idolâtrie. Dès cette époque, il semble que les étudiants et le peuple de Wittemberg aient été subjugués par cette parole chaude et âpre à la fois, séduits par ce3 discours où le mysticisme le plus obscur s’alliait au réalisme le plus piquant, où des nouveautés de doctrine tout à fait alléchantes s’ajoutaient à de violentes attaques contre la scolastique, dont il était de mode alors de médire. Tout ce qu’il y avait à la fois de vivant et de paradoxal, d’ardent et de téméraire dans le langage du moine augustin lui conférait un prestige chaque jour grandissant. La foule accourait à ses sermons. Quand il touchait surtout à la brûlante question des Indulgences — ce qu’il avait fait en plusieurs sermons que nous possédons encore, — il ne pouvait manquer de faire sensation, dans un auditoire, déjà très excité sur ce point. La responsabilité de ce qu’il est permis d’appeler le scandale des Indulgences retombe en grande partie sur la triste famille des Hohenzollern. C’est son avidité insatiable, son ambition effrénée, qui fut l’origine des tractations abusives, — où le Pape se montra faible et la Curie romaine complice du désordre, qui aboutirent à la Révolution protestante. (Pour l’exposé des faits, voir Cristiani, Du Luthéranisme au protestantisme, p. 28-34-) C’est en effet pour permettre à Albert de Hohenzollern de payer les frais de son installation à l’archevêchéélectorat de Mayence, qu’il devait cumuler avec les