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REFORME

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a présente les choses sous une forme inexacte. « Les formules employées en 1 545, écrit-il, justice active (appliquée peu à peu au catholicisme tout entier) et justice passive (Luther) ne caractérisent exactement ni la théorie catholique, ni celle de Luther. On comprend qu’un théologien catholique en conteste la précision et lui reproche d’être injuste, même envers la théologie scolastique. »

Tout ce que l’on peut garder de l’affirmation de Luther, c’est que le point de départ de sa théologie n’est autre que le problème de la justification, en d’autres termes : le problème du salut. M. Stroiil expose en ces termes sa théorie : « Ce qui distingue la doctrine catholique de celle de Luther, c’est l’affirmation que Dieu ne couronne que les mérites, acquis sous l’impulsion et avec l’aide continue de la grâce. Il faut que l’homme soit devenu juste pour que Dieu l’agrée. Dieu demeure, avant tout, le Dieu juste qui pose des conditions à ceux qu’il reçoit dans sa communion, tout en les aidant à satisfaire à ces conditions. Luther a trouvé la paix dans le paradoxe que le salut est inconditionnel. Le chrétien reçu en grâce est toujours « justeetpécheur » [à la fois]. Dans les rapports entre Dieu et l’homme, il n’y a aucune place pour les mérites nipour unejustice qui mesure le salut selon les mérites. Dans la doctrine catholique, Dieu tient un livre de comptes. La raison comprend et démontre [ ?] les rapports qu’il y a entre la justice, qui reste l’idée dominante, et la grâce, qui rend les hommes justes en transformant leur nature et leur caractère [ ?]. Dansl’idéede Luther, lagràce surpasse tout entendement. Elle est irrationnelle, mystérieuse. Le Dieu parfaitement saint enveloppe de son amour une humanité soumise irrémédiablement à l’état de péché. La religion de Luther est la religion d’un homme convaincu d’être entaché d’une tare indélébile, mais aussi d’un homme qui a fait l’expérience d’un amour divin dont il ne peut comprendre la raison, dont il se sent toujours indigne, auquel il ne peut jamais prétendre, auquel il n’aura jamais droit, pour lequel il ne pourra que témoigner, bien imparfaitement du reste, sa reconnaissance » (Strohl, L’évolution religieuse de Luther, Strasbourg, 192a, p. iô3).

Cetexposé, juste en partie, nedonnecependant pas une idée assez complète du dédain de Luther pour la raison et de l’absurdité foncière de sa théologie.

L’analyse de son système, pris dans son origine et pour ainsi dire dans son germe, aboutit aux trois principes suivants : i° L’homme est irrémédiablement corrompu par le péché originel. — 2° La prescience éternelle de Dieu est radicalement opposée au libre arbitre humain. — 3° N’étant pas libre et se rouvant corrompu par le péché originel, l’homme est incapable d’aucun bien ; la justification et le salut ne sauraient donc dériver que d’un décret >rbitraire de la miséricorde divine.

Comment pouvons-nous être assurés qu’un tel lécret a été porté pour nous ? Voilà le nouveau pro>lème devant lequel Luther hésite pendant troisans. ilors que, dès 1515, il est en possession des trois jrincipes qu’on vientderesumer.il ne trouvera qu’en ">18 le quatrième principe essentiel de sa doctrine, celui qui devait en faire la fortune, par la commodité, la consolation, l’épanouissement qu’il donne aux âmes, à savoir que Dieu donne à ceux qu’il sauve la foi en leur propre justification, et qu’il suffit de sentir en soi la certitude dn salut pour être justifié et sauvé, puisqu’une teile certitude ne peut venir que de Dieu. Avant |5|8, Luther cherche la consolation dans l’humilité, — entendue à sa manière, — dans la résignation à l’enfer, — car il va jusque-là, — et il ne veut pas qu’on donne aux

hommes trop de sécurité. C’est ainsi que les deux dernières des fameuses 0, 5 thèses contre les Indulgences seront libellées ainsi : « On doit exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre le Christ leur chef à travers les peines, les morts et les enfers (sic), — de telle sorte qu’ils aient plus confiance c d’entrer au <’ciel par de nombreuses tribulations » (Actes, xiv, 22) que par la sécurité de la paix. »

C’est de 151â à 1 5 1 8 que se place l’élaboration de la théologie de Luther. Sous quelles influences et dans quelles conditions, voilà ce qu’il faut dire.

V. Sources de la théologie luthérienne. — Les protestants répètent volontiers que c’est « de l’être le plus intime de Luther » que le protestantisme est né. Nous les en croyons sans peine. Luther a tiré toute sa Ihéologie, non point de la Bible seule, comme il le prétendait, mais de quelques textes bibliques détournés de leur sens et interprétés à travers ses impressions personnelles. — Au cours de l’année iu15, il fut amené à commenter, dans jeu cours à lUniversité de Wittemberg, VEpltre aux Romains. On sait avec quelle force le poignant problème de la lutte entre la chair et l’esprit, s’y trouve posé et résolu par l’Apôtre des Gentils. Nulle paît saint Paul n’est plus abondant, plus incisif, plus profond et, si l’on ose dire, mieux inspiré, dans tous les sens du mot. Nulle part, il n’éclaire plus parfaitement la doctrine catholique du péché originel, de l’impuissance de l’honimesanslagi àce, delà justification par la foi en Jésus-Christ, encore que son exposé trouve d’utiles compléments dans les autres épltres, spécialement au sujet de la foi justifiante. Bien des fois déjà les docteurs catholiques avaient lu, médité, commenté les pages de ce texte célèbre. Il paraissait invraisemblable qu’on y découvrit du nouveau. Chaque génération chrétienne était venue y chercher la solution de l’énigme que l’homme est à lui-même. Mais Luther abordait saint Paul, à 32 ans, avec dei préoccupations intimes si violentes, un trouble intérieur si profond et si invétéré, qu’il devait lui être totalement impossible d’aboutir à une interprétation exacte et objective de la pensée de l’Apôtre. Ces préoccupations, nous les connaissons déjà. Il est obsédé par la tyrannie de la concupiscence, — il cherche un refuge dans l’humilité, conçue comme un dégoût de soi-même, un désespoir de ses forces personnelles, — enfin, il combat les œuvres de l’Observance. Sous la pression de ces tendances, de ces expériences et de ces passions, il sollicite le texte, il y découvre des sens nouveaux et certainement inadmissibles en saine exégèse, et voici le résultat de ses réflexions :

Le péché originel est quelque chose de bien plus grave qu’on ne pense communément. Il n’est autre chose que « la concupiscence, c’est-à dire le penchant au mal, la répugnance au bien ». — C’est « la privation de toute rectitude et de tout pouvoir dans toutes nos facultés tant du corps que de l’âme et de tout l’homme intérieur et extérieur. De plus, c’est le penchant même au mal, le dégoût du bien, l’ennui de la lumière et de la sagesse, l’amour de l’erreur et des ténèbres, la fuite et l’abomination des bonnes œuvres, l’empressement au mal » (Comment, de l’ép. aux Romains, édi ion Fickbr, I, 2, p. 1 43 et suiv. — Sur le texte : Rom., v, lf) Il s’ensuit que tout ce que nous faisons est mauvais. Nous péchons mortellement dans chacun de nos actes. Nos prétendues bonnes œurres sont des péchés mortels. En un sens, nos vertus sont plus dangereuses que nos vices. Un bon gros péché, cela se voit, on n’est pas tenté d’en être fier, ce n’est pas cela qui nous fera manquer à l’humilité. Mais ces