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RÉDEMPTION


pas seulement un homme rentable et parfaitement saint, mais encoro le Fils unique de Dieu, de la même essence éternelle et inlinie qu9le Pore, tel que devait ètro notre Sauveur ; ensuite parcequo *a mort a été accompagnée du sentiment de la colère de Dieu et de la malédiction que nous avions méritées par nos pé.hs.

Les Luthériens allemands du xvne siècle ne parlent pas autrement :

Jean (ii hhabd (1582-1637) écrit dans ses Loci theologici, XVII, il, 5'i : Quomodo enim piccata nostra vere in se suscepisset ac perfectam satisfaclionem præstilisset, nisi iram Dei individuo nr.ru cum pcccatis coniunclam vert sensisut ? Quornodo amaledictione legis redemisset, factus pro nobis maledictio, ttiti iudicium Dei irati persensitset ?

Oi_>N9TEDT (1617-1688), Theologia didacticopolemiea, P. III, p. 146 : Serait morte m attemam, sed non in aeternnm. Atterna ergo mors fuit, si spcctes esstntiam tt intentionem poenarum ; sin respicias infinitam personæ patientis lublimitatem, non tantumæquipollens, sed et omnes omnium damnatorum aeternas mortes infinities supergrediens fuit, liane ipsam vero mortem aeternam cruciatusque infernales non post, sed ante mortem temporalem, in horto Oliveii et in cruce sustinuit SaU’ator.

Ces imaginations, réprouvées par les controversistes catholiques du xvie et du xvne siècles, font horreur aujourd’hui aux protestants eux-mêmes. Nul n’en rend solidaire la doctrine chrétienne de la Ilédemption. Pour rendre compte de l’infinie valeur d’expiation que possède la passion du Christ, on s’attache très justement à la considération qui était déjà capitale aux yeux de saint Anselme : l'érainente dignité de la personne du Fils de Dieu. Et l’on insiste moins sur la rigueur du châtiment que sur la perfection morale de l’obéissance pratiquée jusqu'à la mort.

Des orateurs sacrés, depuis saint Jean Chrysostome, et des mystiques se sont autorisés des fortes expressions de l’Apôtre (Il Cor, , v, ai ; Gal., iii, 13, etc.) pour insister sur la substitution de l’Innocent aux coupables et assimiler en quelque sorte l’angoisse suprême du Christ à uneiuipression de réprobation. On peut discuter les outrances de leur langage. Nous ne songeons pas à les rapprocher des auteurs précédents, ni à leur imputer aucune sorte d’infiltration protestante.

Sainte Marqubritr Marie contemple le Seigneur agonisant à Gethsémani, et elle entend ces paroles. (Vie et Œ uvres, t. II, p. 162, éd. Gauthey) :

C’est ici où j’ai plus souffert qu’en tout le reste de ma Passion, me voyant dans un délaissement général du ciel et de la terre, chargé da tous les pèches des hommes. J’ai paru devant la Sainteté de Dieu, qui, sans avoir égard à men innocence, m’a froissé en sa fureur, me faisant boire un calice qui contenait tout le fiel et l’amertume de sa juste indignation, et, commo s’il eut oublié le nom du Père, pour me sacrifier » sa juste fureur. Il n’y a point de créature qui puisse comprendre la grandeur des tourments que je souffris alors. C’est cette même douleur que l'âme criminelle ressent, lorsqu'étant présentée devant le tribunal de la sainteté divine, qui s’appesantit sur elle, la froisse et l’opprime et l’abîme en sa juste rigueur.

Cet écho direct du Cœur de Jésus justifierait, au besoin, bien des audaces oratoires. Inutile de souligner son opposition foncière au blasphème luthérien.

IV. ÏNlIIILlSMB SOTKRIOLOOIQUB Œ SoCIN. — A

l’extrême opposé du supranaturalisme exaspéré qui, selon l’orthodoxie protestante, majorait la portée de la Rédemption objective, voici le rationalisme qui la discrédite.

L’erreur remonte au temps des Pères : l’hérésie pélagienne, qui niait le péché originel, devait logi quement méconnaître la Ilédemption. Mais cette méconnaissance n'était pour elle que le corollaire d’une erreur fondamentale.

Au xue siècle, Abri.ahd développa une conception toute subjective de la Rédemption. Il n’accordait à l’Incarnation et à la Passion du Fils de Dieu qu’une valeur d’exemple : si elles nous justifient, c’est uniquement à raison de l’amour qu’elles provoquent dans noscœurs, In Rom.., iii.v. viii, P.L., CLXXV111, 833 6 ; 8*0 ; 8.j8. On a vu plus haut sa rencontre avec saint Bernard et sa rétractation.

Au xvie siècle, l’idée d’Abélard fut reprise et développée par Faustb Socin (153ç)-1604). Dans le temps même où l’orthodoxie protestante poussait à bout les éléments juridiques renfermés dans la conception traditionnelle de la Rédemption, Socin, par un exclusivisme contraire, élaborait une doctrine du salut conçue du strict point de vue de la justice individuelle. Faisant table rase de toute solidarité entre la race humaine et la personne d’Adam en la personne du Christ, il s'élevait contre toute idée d’une satisfaction offerte à Dieu par le Rédempteur. A ses yeux, une telle satisfaction est inutile et impossible. Inutile, car Dieu n’a que faire d’une telle compensation : il est de sa dignité d’accorder un pardon pur et simple, et c’est un tel pardon qu’offraient à la pénitence soit Jean Baptiste, soit Jésus d’après l’Evangile. Socin, Prælectiones theologicæ t. I, xv, p. 565 ; xvin, p. 566-&70. Impossible, car la dette qu’il s’agit de solder est rigoureusement personnelle : la justice divine ne peut être satisfaite que par la mort — la mort éternelle — du pécheur, Ibid., xviii, p. 5^0.

L’argumentation de Socin se brise contre le fait de la double solidarité de la race humaine avec Adam et avec le Christ, si clairement affirmée dans le NT. D’ailleurs elle procède logiquement de ses prémisses rationalistes : la fécondité surnaturelle de la vie et de la mort du Christ n’est qu’une formule vide de sens, pour qui ne croit pas à sa divinité. Inefficace contre la doctrine traditionnelle, la critique de Socin atteint en plein l’orthodoxie protestante, dont elle ruine tous les postulats : justification par la foi, justice imputative, exigences inéluctables de la justice pénale, néoessité d’une équivalence quantitative entre la dette et l’expiation : aucune de ces inventions ne trouvait grâce devant le rationalisme socinien. Mais le rationalisme ne peut rien construire dans le domaine de la sotériologie. C’est la conclusion la plus certaine du vaste ouvrage De Jesu Christo Servatore.

V. Légalisme de Grotius. — Entre l’orthodoxie protestante et le rationalisme socinien, la théorie de Grotius représente un effort personnel et sincère, sinon heureux, pour sauver quelques éléments du christianisme. La Defensio fidei catholicité de satisfaction* Christi, publiée à La Haye en 1617, est l'œuvre d’un protestant croyant et d’un juriste. Avec les protestants orthodoxes, l’auteur maintient une Rédemption objective ; avec Socin, il revendique pour la vie et la mort du Christ une valeur d’exemple. Entre ces deux assertions, une idée juridique forme le nœud. La clémence de Dieu l’incline à faire grâce ; mais sa sagesse lui défend d’encourager l’impunité. Pour accorder ces deux exigences, il transporte la dette du péché sur la personne du Christ innocent et sévit contre lui, assurant ainsi force à la loi. Le système peut se définir d’un mot : la théorie du châtiment exemplaire. Il a pour ressort principal les exigences abstraites de la justice légale et même de la justice vindicative, plus que l’amour paternel de Dieu, dont déborde l’Fvangile. Malgré l’intention très louable de réagir contre l’incrédulité