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RÉDEMPTION

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t. II, p, aai : « Au Calvaire, Jésus-Christ n’est pas seulement victime : il est sacriticateur ; et il l’est par la volonté de son Père. Ces trois choses — l’immolation passive du Christ, l’oblation qu’il fa i t ile lui-même et l’ordre de Dieu — forment un acte unique, dont on peut bien distinguer les éléments, mais sans avoir le droit de les dissocier. »

D’un point de vue catholique, le caractère de sacrifice, que l’acte rédempteur du Christ possède au sens propre, se laisse d’autant moins mettre en question, que les documents du magistère ecclésiastique partent de là pour revendiquer la réalité du sacrifice eucharistique. Le sacrifice eucharistique est essentiellement représentatif du sacrifice de la croix ; vidé de cette relation, il ne sera plus un sacrifice. D’où il suit que, si l’on dénie à la mort sanglante du Christ ce caractère de sacrifice, lareligion chrétienne réalisera l’idée monstrueuse d’unereligïonsans sacrifice. Le concile de Trente dit, sess. xxii, c. i, D. #., g38 (816) : Is igilur Deus et Dominus noster, etsisemel seips uni in ara crucis morte inlercedente Deo Patri oblaturus trat, ut aeternam illic redemptionem operaretur, quia tanien per mortem sacerdotium eius eitinguentiurn non erat, in cæna novissima, qua nocte tradebatur, ut dilectæ sponsæ suæ Ecclesiæ visibile, tient hominum naturel exigit, relinqueret sacrificium, quo cruenlum illud semel in cruce peragendum repræsentaretur… corpus et sanguinem suum sub speciebus punis et vint Deo Patri obtulit…

Sur la Rédemption considérée comme sacrifice, on lira avec fruit le R. P. Hugon, O.P., Le Mystère de la Rédemption, ch. iv, Paris, 1910 ; et aussi le R. P. M. dk la Taillb, S. L, Mysterium Fidei, Paris, 19a 1, livre I, passim ; notamment Elucidatio n.

La pensée protestante la plus émancipée de tout nseignement traditionnel a souvent revendiqué, parfois avec des raffinements subtils, ce caractère de sacrifice que présente la mort du Christ. Ainsi E. MéNKGOz, La théologie de l’Epttre aux Hébreux, p. 25g-a66, Paris, 18g4, opposant au point de vue de saint Paul le point de vue de l'épître aux Hébreux (dont il refuse la paternité à saint Paul). Il expose que saint Paul s’est attaché surtout au côté infamant de la mort du Christ, et la présente comme un sacrifice d’expiation voulu par Dieu (Gal., ni, 13 ; Boni., vin, 3 ; II Cor., v, 21) ; que, d’autre part, l’auteur de l'épître aux Hébreux présente cette mort comme une ofTrande spontanée de l’homme ; il ajoute que les deux points de vue, encore que distincts, se réconcilient dans une unité supérieure. Loc. cit., p. 266 :

« Fidèle jusqu’au bout à la mission dont Dieu l’avait

chargé dans ce monde, Jésus est mort sous les coups de ses ennemis. Il a sacrifié sa vie à Dieu, et il a expié, en mourant, les péchés qu’une mystérieuse solidarité avait fait converger sur sa personne. Ainsi se concilient saint Paul et l’Epitre aux Hébreux. Cela nous explique comment Paul, tout en conservant son point de vue, a pu appeler la mort du Christ nn « sacrifice » agréable à Dieu (Eph., v, 2). Littérairement parlant, il se sert d’une image, mais si nous allons au fond de sa pensée, nous voyons que cette image exprime précisément ce qui constitue l’idée essentielle du sacrifice rituel : l’offrande à Dieu de ce que nous avons de plus précieux. » — Cette contribution d’une pensée indépendante à la métaphysique du sacrifice rédempteur nous a paru non dénuée d’intérêt.

c) Objections contre l’idée de satif action vicaire. — Contre le principe de la satisfaction vicaire, on a élevé deux sortes d’objections : les unes d’ordre juridique, les autres d’ordre sentimental.

D’un point de vue juridique, on a protesté contre la substitution de l’Innocent aux coupables. C’est

qu’on n’a point assez considéré, soit le dessein d’amour qui préside à l'œuvre de la Rédemption, soit l’empressement d’obéissance avec lequel le Fils de Dieu va au-devant de la volonté paternelle. Nous emprunterons à un auteur protestant une réponse qui n’est pas sans valeur. Grétillat, Théologie systématique, t. IV, p. 364 '

Il est surprenant de voir ceux que les redoutables et angoissants problèmes de la solidarité ont laissés sereins ou résignés, attendre, pour se récrier, que nous prononcions devant eux le mol de substitution… Que des multitudes pâtissent fatalement de la faute d’un chef ou d’un autre, l’on dit : solidarité ! Mais l’innocent qui se présente pour prendre sur soi par un acte volontaire la faute de tous les autres, est réputé renverser toutes les lois divines et humaines. Que la Providence divine, qui a vu tant de crimes se commettre sur la terre, ait permis le plus odieux et le plus inutile de tous, que la divine Justice soit convaincue d’avoir abandonné pour un jour, sans raison péremptoire, le Saint et le Juste, aux mains des iniques ; qu’il soit reconnu que le Père céleste a laissé un instant sans réponse la suprême supplication de son Fils sur la croix : la raison et la conscience se répètent l’une à l’autre : solidarité ! Mais, qu’au-dessus des mains iniques et des conseils incohérents des méchants, se révèle à nous un plan divin et étemel, manifestation suprême de justice et de grâce ; c’est la que le scandale commence ! Et bien ! Je me déclarerai plus choqué de voir à tout propos et dans tout le cours de l’histoire et tout autour de moi des êtres innocents et inofïensifs saisis bon gré mal gré par l’universel engrenage, que d’assister à l’acte libre et sublime de celui qui meurt à la place d’un autre.

L’objection sentimentale, qui s’indigne du traitement infligé au Christ innocent, enveloppe quelquefois d’une forme poétique un violent blasphème. Ainsi Mme Ackermann, Poésies philosophiques :

Quand de son Golgotha, saignant sous l’auréole, Ton Christ viendrait à nous, tendant ses bras sacrés, Et quand il laisserait sa divine parole Tomber, pour les guérir, sur nos cœurs ulcérés ;

Nous nous détournerions du tentateur céleste Qui nous offre son sang, mais veut notre raison. Pour repousser l'échange inégal et funeste, Notre bouche jamais n’aurait assez de : Non !

Non à cet instrument d’un infâme supplice, Où nous voyons, auprès du divin Innocent, Et sous les même coups, expirer la justice ! Non à notre salut, s’il a coûté du sang !

Puisque l’amour ne peut nous dérober ce crime, Tout en l’enveloppant d’un voile séducteur, Malgré son dévouement, Non, même à la victime, Et Non, pardessus tout, au sacrificateur !

Qu’importe qu’il soit Dieu, si son œuvre est impie ? Quoi ! C’est son propre Fils qu’il a crucifié ? Il pouvait pardonner, mais il veut qu’on expie. Il immole, et cela s’appelle avoir pitié !

A ces prétentions d’ordre sentimental, une réponse parfaitement topique est fournie par l’histoire du sentiment religieux qui, loin de prendre scandale du mystère de la croix, y puisa souvent le germe de l’amour le plus éclairé pour le Christ et pour son Père, et du plus pur héroïsme. Les annales de la sainteté rendent à cet égard le témoignage le plus intelligent.

d) Multiples aspects de la passion du Christ.

— La passion du Christ, acte rédempteur par excellence, présente au regard de la foi des aspects multiples : vouloir les enfermer dans une formule exclusive serait, croyons-nous, une maladresse qui, sous prétexte de simplifier le mystère, l’appauvrirait. De cet appauvrissement, nul ne s’est mieux gardé que saint Thomas. Désirant épuiser le sens de la mort rédemptrice, l’Ange de l’Ecole multiplie les prises sur le réel. Dans la IIIe partie de la Somme,