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QUIÉTISME AU XVIIe SIÈCLE

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même plus apparent que réel. Leurs livres sont d’ailleurs indépendants de la Guide, comme le calendrier sullit à le prouver.

Le cas Malaval est différent, Malaval est plus exclusivement partisan de l’oraison de simple regard ; et sa manière de l’entendre est plus voisine de celle de Molinos, avec qui d’ailleurs il a été en correspondance, au plus tard, dès janvier 1681.

L’analyse des livres de La Combe, Orationis mentalis analrsis (1687), Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre sûrement à la perfection chrétienne (1687), amène à noter que le religieux barnabite inculque avec force la contemplation acquise comme le moyen le plus sûr, le plus rapide et le plus efficace de mener une vie selon Dieu. L’analyse de la vie morale de La Combe, d’après ses propres écrits — Lettre à l’évêque de Tarbes (9 janvier 1698), Lettre à Mme Guyon (>."> avril 1638), Mémoire en réponse aux accusations portées par Innocent LeMasson dans la Vie de Messire Jean d’Aranthon d’Alex, — amène àconclure que La Combe a admis pratiquement l’odieuse théorie molinosienne sur les violences diaboliques consenties par des âmes privilégiées de Dieu. L’information canonique faite par Bernard de Poudenx, officiai de Tarbes (a3 avril et 2 août 1698), démontre que La Combe commit des péchés de luxure, même avec Mme Guyon, en conformité avec cette théorie molinosienne.

Et les textes de Mme Guyon ne manquent pas, pour établir qu’elle professait elle aussi le dogme de la passivité morale et de la vertu purifiante du péché commis par acquiescement à l’irrésistible volonté de Dieu.

Fénelon est un autre homme. Il est pur de mœurs et il connaît mieux les principes des maîtres les plus autorisés de la vie spirituelle. Au plus fort de sa controverse avec Bossuet, il a protesté contre les horreurs du quiétisme molinosien et il s’est flatté d’en avoir détruit tous les principes. El il est bien certain que ni sur les épreuves, ni sur la nécessité de suivre les impulsions de Dieu, ni sur la perte du moi, on ne trouvera, sous la plume de l’archevêque de Cambrai, de ces phrases folles ou équivoques, comme il s’en trouve dans la correspondance et les ouvrages imprimés de Mme Guyon. Un jour même, celle-ci dit à l’abbé Roussel que Fénelon n’est pas assez simple

— entendez assez molinosien — pour comprendre à fond la théorie de l’abandon et de l’amour pur.

Cependant, par sa doctrine sur l’indifférence et l’abandon (prop. 4. 5, 6), Fénelon énerve l’activité de l’âme, même à l’heure de la tentation (prop. 7, 8, 9) ; il admet, dans ce qu’il appelle « les purifications suprêmes », une séparation du volontaire et de l’involontaire, qui est périlleuse (prop. 14). un sacrilice absoludu salut personnel, qui eslinadmissible(prop. 8, 9, 10) et contradictoire (prop. 11) ; il préconise un

« état passif » des âmes transformées, où les vertus ne

s’exercent plus (prop. 21) ; et il veut que sa doctrine de l’amour pur soit « la simple perfection évangélique enseignée par la tradition ».

D’autre part il condamne la méditation comme un

« exercice de l’amour intéressé » (prop. 15) ; il prétend

que, dans l’état de contemplation habituelle, l’oraison n’est jamais en fait discursive, et que l’àme n’a plus besoin d’actes distincts et méthodiques (prop. 16).

Fénelon a écrit qu’il avait à peine connu la Guide, dans la traduction française qui en fut faite en 1688, et qu’il n’avait gardé de cette lecture aucun souvenir. Nous l’en croyons. Jamais il n’a voulu être un disciple de Molinos ; en certaines pages des Maxime », il est manifeste qu’il l’a visé ; en d’autres écrits, il

l’a flétri. Mais il l’a suivi plus qu’il ne pensait, précisément parce qu’il suivait Mme Guyon.

Aussi, dans cette édition corrigée des Maximes, préparée par lui au fort de la querelle de Bossuet, presque tous les passages atteints par la condamnation romaine sont-ils remaniés. Et cette condamnation romaine elle-même, en même temps qu’elle frappe les Maximes, comme contenant des propositions téméraires, fausses, pernicieuses dans la pratique, déclare que, par ce livre, les fidèles peuvent être induits à des erreurs déjà réprouvées par l’Eglise. Ce semi-quictisme fleure le quiétisme molinosien.

Dans certains éclaircissements donnés au cours de la polémique, dans quelques passages des Maximes elles-mêmes, Fénelon prévient ou limite les interprétations fâcheuses que l’on pourrait donner à tels endroits de son livre. Il fallait s’y attendre, de la part d’un homme sinueux et précautionneux comme peu le furent.

Cette nécessité de gloses successives tient aussi à une information insuffisante. Fénelon avait un génie singulièrement agile ; mais ses connaissances mystiques dataient de peu ; elles s’étendaient à peu de livres, malgré ce que pourrait faire croire sa brochure intitulée Les principes propres du livre des Maximes des saints, justifiée par des expressions plus fortes des saints docteurs ; et l’on ne sache pas qu’il eut guère d’autre expérience des âmes mystiques que celle qu’il pouvait tirer de Mme Guyon. C’est toujoursà cette source qu’il faut revenir ; et elle est trouble.

La différence de valeur intellectuelle et morale, qui met Fénelon bien au-dessus de Mme Guyon, de La Combe et de Molinos, ne saurait supprimer une dérivation de fait, établie par la logique et l’histoire.

IV. — Conclusion

Il n’entre pas dans le cadre de cette étude de suivre la fortune du quiétisme molinosien ou guyonien, jusqu’au xvme siècle et jusqu’à nos jours.

Continuée, l’enquête que nous avons menée à travers la France, l’Italie et l’Espagne du xvu* siècle, nous conduirait à des conclusions identiques. La pseudomystique n’a pas seulement ravagé les esprits, mais les consciences. A la lueur d’idées qui, tout en paraissant claires, étaient seulement confuses, des chrétiens égarés ont fait de la prière une illusion et des mœurs un chaos lubrique. C^ux qui, s’arrôtant à mi chemin, ont borné leur quiétisme à un système d’oraison, ont eu, au moins, le tort de préférer leurs fantaisies aux sûres leçons de la tradition catholique.

II y a une oraison de simple regard dûment expliquée par les spirituels. Elle est hors de cause. Bossuet lui-même l’a conseillée dans ses lettres de direction, avant et après la querelle du quiétisme. Les quiétistes ont exagéré l’importance de cette oraison ; ils en ont exigé la pratique au nom de la perfection ; ils en ont altéré la vraie notion, en diverses manières.

Leurs erreurs et leurs illusions laissent, à sa place et à son prix, ce mode de prière, que les maîtres autorisés décrivent avec justesse et que les âmes intérieures pratiquent avec profit.

Il faut ajouter ceci. Les docteurs qui ont exalté la contemplation acquise, en passant sous silence absolument, ou en indiquant à peine, l’effort ascétique dont le commun des chrétiens a besoin qu’on lui rappelle avec force la loi impérieuse, on tété peu clairvoyants, imprudents même. Et en ce sens, on peut dire que les moins erronés des quiétistes ont vrai-