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QUIETISME AU XVIIe SIECLE

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à s’adapter sans résistance au mouvement de la grâce divine.

Rien que par la lecture de ces observations, on est fixé sur la spiritualité que Molinos veut faire prévaloir. Des premiers, les jésuites s’en doutent, et combattent le maître nouveau. Le docteur aragonais plaide avec souplesse, pardeux Lettres publiées sur l’oraison mentale ( 1 676), par deux lettres secrètes, écrites au général des jésuites Jean-Paul Oliva ( 1 680), par une Défense de la contemplation, demeurée inédite. Le Prix et l’Ordre des oraisons ordinaire et mystique, du P. Gottardo Bbll’uuomo (1678), L’accord de la fatigue et du repos dans l’oraison du P. Paolo Sbgnbri (1680), marquent exactement les objections des jésuites contre la doctrine de la Guide, qu’ils estiment inexacte et périlleuse.

Dans ce cboc entre deux spiritualités, Molinos est soutenu par Pier Matteo Petrucci, oratorien, qui écrit son traité sur la Contemplation acquise ; il a la satisfaction devoir mettre à l’index ses adversaires, à savoir Bell’huomo et Segneri, et encore le théatin Alessandro Rhgio, dont la Clavis aurea (1882) prétendait découvrir le fond des erreurs de Molinos en le » rapprochant de celles des bégards.

Malgré tout, cette victoire de Molinos n’est qu’apparente. Non seulement Regio, Bell’huomo, Segneri demeurent persuadés qu’ils ont raison ; mais ils le prouvent par des plaidoyers irréfutables ; et d’autres jésuites, tels que Bartoli et Caprini, les aident de leur savoir et de leurplume ; et linalement l’oratorien Marchksr rallie contre Molinos, dans un mémoire qu’ils contresignent, un nombre considérable de curés de Rome et de théologiens de tous Ordres. Le P. Maracci, confesseur du pape, dénonce par écrit les principales erreurs concernant la nouvelle contemplation. Le cardinal Albizzi, dans un mémoire décisif, conclut qu’il faut envoyer une instruction aux évêques d’Italie. L’archevêque de Naples, Caracciolo, supplie le pape de mettre fin aux désordres que produit dans son diocèse la diffusion de l’oraison de quiétude (1682). Un projet de circulaire aux évêques est dressé par une commission cardinalice (1682). Finalement Molinos est conduit aux prisons du Saint-Office (18 juillet 1685).

La faveur d’Innocent XI, de Christine de Suède, du cardinal Azzolini avait longtemps protégé l’auteur de la Guide. Deux ans s’écouleront avant que son procès ne s’achève. Malgré tout, sans que le cardinal d’Estrées ait à presser ni Louis XIV à exiger, l’évidence du mal amènera la conclusion nécessaire. Par un décret du Saint-Office (28 août 1687), par la bulle Cælestis pastor(2-] novembre 1687), Innocent XI condamnera solennellement les erreurs du docteur qui avait longtemps trompé sa confiance.

Les 68 propositions dans lesquelles les qualificateurs du Saint-Office ont résumé les idées de Molinos sont une condensation de a63 propositions tirées soit des lettres de direction versées aux débats par les témoins, soit des déclarations orales du maître condamné. Elles ont été reconnues et maintenues par lui comme l’expression exacte de sa pensée, dans les longues séances du procès, où elles lui ont été soumises une par une.

Pour ce pseudo-spirituel, la perfection de la vie intérieure consiste dans la perfection de la passivité de l’âme : là est le secret de la paix, de l’union à Dieu, de la déification. L’activité propre, les désirs propres, les pensées propres sont les grands ennemis de la vie divine. Qui met cette doctrine en pratique, simplifie son oraison comme sa conduite. Il ne s’inquiète ni des trois voies de la vie spirituelle ni des méthodes compliquées de méditation. Résister aux tentations, gagner des indulgences, pratiquer

les pénitences, répéter des prières vocales, est chose inutile, à ce stade. Une âme morte ne pense pas à soi ; elle est fixée en Dieu. Le sommeil n’interrompt pas sa contemplation, pas plus que les actes en apparence peccamineux ne brisent la fidélité de l’amour. Cette âme élue ne connaît plus deux lois contraires ; elle n’en connaît qu’une, celle de Dieu qui est son centre, sa lumière et sa paix. Capable de connaître le péché, en fait elle ne pèche point, encore qu’au regard grossier des hommes il puisse paraître qu’elle viole les préceptes du Décalogue et de l’Eglise. Par un dessein insondable, Dieu, pour désapproprier d’elle-même une âme élue, l’induit par violence diabolique à tomber dans les péchés qui lui sont le plus en horreur.

Molinos ne s’est pas contenté de formuler ces théories ; il les a inculquées à ses disciples de vive voix et par écrit ; il y a conformé sa propre conduite. Pendant plus de vingt ans, il a vécu dans la luxure sans se confesser ; quand il a écrit la Guide, il était déjà dans cette ignominie, ainsi qu’il en a convenu au procès.

Et c’est ce qui explique comment la Guide est un livre trouble. Il n’est point une notation d’états d’âme expérimentalement connus ; ni une étude des problèmes spirituels faite d’après les écrivains les plus autorisés ; il est un instrument de domination fait, par un misérable, pour séduire d’abord et corrompre ensuite ; et ildoitnécessairement advenirque la plume, si surveillée qu’elle soit, laisse échapper des lignes suspectes. En 1675, les censeurs officiels de l’ouvrage le lisent avec bienveillance, parce que la réputation de l’auteur est pure et grande. Au loin, on est plus défiant ; de Florence et de Modène, Segneri, Regio, Bell’huomo jettent des cris d’alarme ; l’Inquisition d’Espagne condamne le livre (1 685) comme « fleurant l’hérésie des Illuminés ». A Rome même, peu à peu, l’expérience du confessionnal, enrévélant les erreurs de conduite des lecteurs fanatiques de la Guide, fait voir que ce manuel, en apparence raffiné, contient de quoi autoriser des horreurs.

Les historiens qui ont favorablement parlé de la Guide n’ont presque rien connu ni des controverses qu’elle a provoquées, ni du procès de Molinos, qui en éclaire les théories.

6. Les oratoriens Pbtrucci et Romiti (1681-1687).

— L’oratorien de Jesi, Pier Matteo Petrucci, dont nous avons signalé les premiers ouvrages, devient d’abord évêque (1681) puis cardinal (1686). Ces promotions donnent du crédit au quiétisme ; d’autant qu’outre la Contemplation acquise (1681), dans laquelle il défend expressément la Guide, le prélat publie encore Les énigmes mystiques révélées (1680), Le Rien de la créature et le Tout de Dieu (1 682). Finalement, et en dépit des longues hésitations d’IwNocbnt XI, le procès de Molinos entraîne celui de Pbtrucci (1687-1688). Impossible de décider si les accusations portées contre ses mœurs sont fondées ; il faudrait voir les enquêtes canoniques faites et dont les dossiers doivent être au Saint-Office. En tout cas, la commission cardinalice chargée de la cause obtint qu’Innocent XI imposât à Petrucci la rétractation secrète de 5/| propositions extraites de ses livres (17 décembre 1687) ; et tous les ouvrages du prélat furent mis à l’index (5 février 1688).

Petrucci ne favorisait pas seulement une oraison passive qui risquait d’être paresseuse, mais un laisser-faire Dieu, jusque dans les tentations, qui ressemblait trop à l’horrible théorie de Molinos sur la purification des âmes par le péché.

L’oratorien Marco Romiti, dont le procès se fit à Matelica en if>85, n’est qu’un comparse et un disciple. C’est par les conseils de Molinos et de Petrucci