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POSITIVISME

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Dès lors le positivisme se divise en deux groupes : d’un côte, l'école orthodoxe ; de l’autre, de nombreuses écoles indépendantes.

III. Positivisme après Auguste Comte.— 1° Positivisme orthodoxe. — En France. — A la mort du fondateur, la Société positiviste prend pour « Directeur » Pierre Laftïtte. Celui-ci était alors âgé de 3/, ans. Il s’emploie avec une bonnevolonté méritoire à garder intacteet à perfectionner l'œuvre du maître. Mais sesgoùts le portaient vers les sciences. Depuis le jour surtout où fut créée en sa faveur au Collège de France une chaire d’Histoire générale des Sciences, son enseignement devint de plus en plus scientifique. Il a exprimé ses idées dans son cours de Philosophie troisième et dans la liane occidentale, organe du positivisme pour la France et l’Occident, fondée en 1878. Autour de lui se rangent, amis parfois mécontents, les docteurs Robinet, Delbet et Audiffrent, Sémérie, Antoine, Camille Monier, Magnin, Pierre. Laflitte mourait le 4 janvier 1903. Selon sa volonté, Charles Jeannolle le remplaçait. Des treize exécuteurs testamentaires d’Auguste Comte, le dernier survivant fut le docteur Georges Audiffrent (18a310, o3), celui de ses disciples qui s’est le mieux efforcé de reproduire le maître par la tête et le cœur.

Avant la mort de Charles Jeannolle (191/1), un schisme s'était produit parmi les positivistes français : d’un côté, M. Emile Corra était reconnu comme Président du Comité positif international ; c’est le directeur de la Revue positiviste internationale ; d’autre part, M. Georges Deherme réclamait une action sociale plus vigoureuse ; en 1918, il fondait officiellement le Groupe Auguste Comte.

Du positivisme orthodoxe se réclame le mouvement de laïcisation qui a emporté tant d’esprits en France depuis une quarantaine d’années. Ses promoteurs, de Jules Ferry et Georges Clemenceau au général André, se proclamaient positivistes comtistes. C’est au nom des principes positivistes, dans un esprit d’intolérance très étranger aux sentiments de Comte mais conforme à la logique de ses vues, qu’ils ont poussé l'œuvre de laïcisation et de sécularisation. De même, l’alliance avec la franc-maçonnerie a été ouvertement revendiquée par Littré et Jules Ferry, au nom du positivisme. (Voir Discours et Opinions de Jules Ferry. Ed. Robiquet. Paris, A. Colin, 1894, II. 193, 194..")

Au positivisme orthodoxe se rattache un groupe très nombreux, aux teintes variées, s'étalantde Charles Maurras à Georges Deherme, allant des confins du catholicisme jusqu'à l’incroyance et l’athéisme pur, d’allure éminemment sociale. Il emprunte à Comte son idée d’ordre, d’organisation et de hiérarchie sociale, son principe d’autorité monarchique ou dictatoriale. Il monte la société comme un rouage savamment construit, où l’intérêt in dividuel compte peu, où tout est dirigé en vue du bien collectif. En histoire, en morale, en philosophie, il se place à un point de vue positif, utilitaire, pragmatiste (Voir Pragmatisme), tenant compte des résultats tangibles plus que des états d'àme, de la réussite plus que des intentions et des secrets mobiles.

A l'étranger. — Les représentants les plus éminents du positivisme orthodoxe sont, en Angleterre, Richard Congreve (1818-1899) d’abord attaché avec ferveur à la partie cultuelle duComlisme ; Frédéric Harrison (né en 1 83 1) plus épris de sa partie morale ; George Eliot ou Miss Evans (181 9- 1880), qui développe dans ses romans les doctrines de l’altruisme et du progrès humain ; James Cotter Morison (1 83 1 — 1888).

En Suéde, le docteur Ant. Nystrom a fondé en

1880 une « Société positiviste », dont la propagande s'étend surtout dans le inonde ouvrier.

En Portugal fleurit un positivisme comliste puissant, positivisme de gauche, antireligieux, auquel appartient Teotilo Braga, le grand révolutionnaire portugais.

Mais c’est dans l’Amérique du Sud que la pensée religieuse d’Auguste Comte a été adoptée avec une fidélité et une foi plus ardente, et qu’elle a passé plus exactement dans les institutions. Dès 1871, Benjamin Constant (Botelho de Magalhæs) introduit le positivisme au Brésil. Après la Révolution de 1889, dont il avait été l'àme, il forme le projet d’organiser la république brésilienne selon le programme positiviste. A sa mort (1891), le Congrès National Constituant salue, reconnaissant, son passage de

« la vie objective à l’immortalité ».II est secondé par

Miguel Lemos, R. Teixeira Mendès et Jorge Lagarrigue, chef du groupe chilien. Ceux-ci dépassent en ferveur leur maître et tiennent la doctrine de la Vierge-Mère comme le résumé synthétique de la religion positiviste, son culte comme la forme réelle delà religion de l’Humanité. Des Circulaires annuelles et de nombreux écrits entretiennent au Brésil le feu sacré. L’obédience brésilienne a souvent anathématisé le scientisme de l’obédience de Pierre Laffille. Le drapeau brésilien porte la devise positiviste : Ordre et Progrès.

(Cf. Ant. Baumann, Le Positivisme depuis A. Comte dans Annales de ph. chrétienne, juin 1901, p. a51274.)

a° Positivisme indépendant. — Le Cours de Philosophie positive et la Politique positive forment, au jugement d’Auguste Comte, un tout indissoluble. Dès 1822, il proclamait qu’il était résolu à consacrer sa vie à la recherche d’une politique positive, que son système de philosophie n’avait pour objet que de donner un fondement scientifique à « la réorganisation spirituelle des sociétés modernes ». Et, plus tard, dans l’Appendice général mis à son Système de Politique positive, il déclare : « Ma politique, loin d'être aucunement opposée à ma philosophie, en constitue tellement la suite naturelle que celle-ci fut directement instituée pour servir de base à celle-là. » Son but dernier est de mettre fin à l’anarchie, qui est à la fois intellectuelle et sociale.

De bonne heure, Littré et J. Stuart Mill voulurent faire une part dans l'œuvre du maître, adopter la philosophie et rejeter la politique. Plusieurs même ne craignirent pas d’attribuer toute la construction religieuse et sociale d’Auguste Comte au retour d’une de ces crises d’aliénation mentale dont jadis (1826-1827) il avait été la victime. La résurrection d’une religion avec prescriptions cultuelles et caste sacerdotale embarrassait manifestement les « scienlistes «.Ils ne remarquaient pas assez que la religion à la manière de Comte n’avait rien de théologique, qu’elle n'était que l’expression des facultés affectives de l’homme et de sa tendance à l’altruisme, que les pratiques rituelles répondaient au besoin positif qu’a notre nature de traduire en symboles extérieurs ses sentiments, que la caste sacerdotale représentait l’autorité spirituelle nécessaire à toute société humaine. A. Comte était seulement plus logique et moins timide que les « scientistes i> qui restaurent leculte de la Science sans oserl’avouer. On lui reprochait encore d’avoir substitué la méthode subjective (Synthèse subjective) à la méthode objective. Mais Comte lui-même notait que la méthode subjective doit être conduite selon les règles de la méthode objective, qu’il faut étudier le sentiment et le cœur en se bornant aux faits internes qui peuvent être perçus.