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PROVIDENCE

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Ces mots de saint Thomas indiquent, avec toute la précision possible, le principe de la distinction entre grâce efficace et grâce purement suffisante. Ce principe ne peut pas être cherché dans le don créé de la grâce ; il doit être cherché en dehors d’elle, dans l’ordination infaillible de la divine Providence.

Dernières considérations sur la motion de grâce

Cet aperçu serait par trop incomplet si nous ne touchions l’une ou l’autre des équivoques accumulées sur la notion de grâce efficace.

D’abord, il est parfaitement juste de dire que toute grâce peut, en un sens vrai, être appelée efficace, par le seul fait qu’elle est une touche divine dans l'âme. Si elle ne produisait dans l'âme aucun effet, aucun mouvement même indélibéré, elle ne serait rien. Une certaine efficacité physique est donc inhérente à l’idée de grâce, et d’abord de la grâce qui, selon l’expression de l’Ecole, est in nobis sine nobis.

Toutefois cette acception large n’est pas celle à laquelle s’attache d’ordinaire le langage théologique. Il vise la grâce qui se distingue de la grâce purement suffisante parce qu’elle produit un plein consentement. Mais des confusions peuvent naître, sous le couvert de textes énergiques empruntés à l’Ecriture. On lit, par exemple, Rom., ix, 19 : « Qui résiste à sa volonté? » et Prov., xvi, 1 : « Le cœur du roi est dans la main de Dieu ; il l’incline à son gré. » Ces textes expriment une doctrine certaine : la plénitude du domaine divin sur toutes les opérations de l’homme. Mais autre chose est d’affirmer cette doctrine, autre chose d’y appuyer une théorie métaphysique particulière surlemodede l’opération divine dans l’homme. Tout ce qu’on en peut tirer sans abus, c’est que Dieu sait rendre l’opération de sa grâce infailliblement efficace ; on n’en saurait tirer que cette infaillible efficacité est inhérente à l’entité physique de la grâce et non à l’intention divine qui présuppose et inclut l’acquiescement de l’homme.

La fausseté du raisonnement par lequel on absorberait dans la prémotion divine la détermination de l’homme dans l’ordre du salut, est rendue manifeste par l’aptitude égale du même raisonnement à absorber dans la prémotion divine la détermination de l’hommedans l’ordre du péché. Ce raisonnementpart d’un principe incontestable : la volonté créée a besoin d'être réduite en acte par une cause extérieure. Mais il suffit d’appliquer brutalement ce principe, pour rendre Dieu responsable de la trahison de Judas aussi bien que de la conversion de saint Paul. Ce n’est pas nous qui disons que Dieu ne meut pas autrement Judas que saint Paul. Mais le principe, manié avec quelque maladresse, y mène tout droit. On parlera de prédétermination physique à l’acte du péché, et l’on croira mettre hors de cause la sainteté de Dieu en disant : l’acte du péché est physiquement prédéterminé de Dieu ; mais sa déficience morale est le fait du seul pécheur. Si Dieu prédétermine physiquement cet acte précis qu’est la trahison rie Judas, que reste-t-il d’imputable à Judas ? La seule déficience morale de cet acte, dont l’entité physique est prédéterminée par Dieu. Se repose qui pourra dans cette conception.

La prédélermination de grâce est, sans doute, un grand bien. Mais tous ne l’ont pas. En l’absence d’une telle prédétermination, l’homme, abandonné de Dieu, sera-t-il physiquement prédéterminé à l’entité physique du péché? Comment alors sera-t-il tenu pour responsable de ses actes ?

On conçoit que Dieu se résigne à damner l’homme pour s'être déterminé à l’ofTenser, dans un ordre

de Providence où il aurait pu se déterminer à le servir. Ce qu’on ne conçoit pas, c’est que Dieu, pour faire resplendir sa justice, abandonne l’homme à des prédéterminations qui entraîneront sa perte éternelle. Un tel aboutissement de la théorie invite à reprendre la série des déductions et à rechercher où une défaillance a pu se produire.

Analysons les démarches successives d’une âme soumise à des attraits contraires. Pierre est placé entre l’attrait de la grâce, qui le porte à confesser son Maître devant les hommes, et l’attrait de la tentation, qui le porte à le renier. La tentation revêt l’aspect d’un bien : dignité personnelle à sauvegarder. En soi, la dignité personnelle est un bien, et l’attrait qu’elle exerce sur la volonté de Pierre est un attraitde nature. Maisdans les circonstances présentes, en présence de l’attrait impérieux d’un devoir contraire, ce bien ne peut être ici poursuivi sans crime. Entre deux sollicitations contraires, Pierre se détourne de l’attrait de grâce et suit l’attrait de nature ; il se détermine au reniement. Tout à l’heure, sous l’impulsion d’une grâce victorieuse, il se déterminera à pleurer sa faute et à réparer, coûte que coûte. La nature et la grâce sont de Dieu ; Pierre s’est déterminé successivement à suivre l’une et l’autre. Dirons-nous qu’il y fut prédéterminé ? Si l’on a égard au dessein étemel qui est en Dieu, le mot est deux fois juste. Si l’on a égard au ternie créé que sont les impulsions contraires, de nature et de grâce, auxquelles Pierre s’est prêté successivement, le mot est deux fois impropre : impropre quant aux impulsions de nature qui l’ont abattu ; impropre quant aux impulsions de grâce qui l’ont relevé sans le contraindre.

On voudra bien ne pas nous faire dire que Dieu n’agit pas avec plus de prédilection selon la grâce que selon la nature. Mais l’ampleur du principe, d’ailleurs très juste, invoqué en faveur de la prédétermination physique, déborde le cas particulier des motions de grâce. Pour comprendre quelles équivoques il recèle, il est bon d’en poursuivre l’application au cas du péché actuel et de l’impénitence finale.

On voudra bien aussi ne pas nous faire nier que Dieu nous meut à nous déterminer nous-mêmes dans tel sens plutôt que dans tel autre. Dieu ne fait pas autre chose par sa grâce, et saint Thomas, qui enseigne cette doctrine à chaque page, lui donne l’expression la plus précisé en affirmant que Dieu meut l’homme vers un but déterminé, tout en niant qu’il l’y détermine. Au reste, la précision de cette terminologie s’impose aujourd’hui à des thomistes militants, qui s’interdisent avec beaucoup de soin le nom de prédéterminations. C’est un progrès considérable. Souhaitons aux mêmes auteurs d’aller dans cette voie jusqu’au bout.

Le dernier retranchement du predeterminisme physiqueest la distinction du sens composé et divisé ; distinction qui peut se formuler ainsi : En présence de la motion divine efficace (in sensu composite), il est impossible que la volonté créée ne se détermine pas. Cependant, absolument parlant (in sensu dh’iso), elle pourrait ne pas se déterminer. C’est pourquoi elle demeure libre, même sous la motion divine efficace.

Cette distinction, empruntée à saint Thomas, a été l’objet de commentaires divergents. D’ailleurs nous l’avons rencontrée ci-dessus, appliquée soit au cas d’une grâce particulière, soit à la grâce totale de la prédestination. Il importe de la ramènera son sens originel.

Voici le commentaire prédéterministe. La motion