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PROVIDENCE

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Nous ne pouvons détailler ici ce miracle permanent qu’est l’œuvre de » Petites Sœurs des Pauvres, nourrissant au jour le jour, depuis un siècle, des centaines de millier » de vieillards, sur les seuls fonds de la Charité ; ou les créations admirables de Dom Bosco ; ou oelle de Coltolengo, aux portes de Turin [Voir, sous ce titre : Une ville de la Charité, trois articles par J.Guillbrmin, Etudes, t. CXXXV (io, 13]). Au risque de faire sourire ceux qui ne croient pas aux miracles évangéliques, nous transcrirons quelques lignes d’une publication toute récente Notice sur ï Etablissement de la Providence saint Charles, 3, rue Oudinot, Paris, Evrax, imprimerie de l’Eure 1923, in-S, 89 pages. Tout nous est connu, dans cet opuscule : et la maison, et la religieuse qui tint la plume pour cette histoire de cent ans. On lit, p. 15 :

On crut à cette époque (après 1830) que l’établissement allait crouler, puisqu’il avait perdu tout appui humain. On conseilla à la bonne Mère de consulter les règles de la prudence et de renvoyer un certain nombre d’entants ; elle ne recevait de pension pour aucune. « Je ne saurai prendre un semblable parti », répliqua-t-elle sans balancer, « je croirais outrager la Divine Providence. J espère fermement que Celui qui donne aux petits oiseaux la pâture ne laissera pas manquer ses enfants du nécessaire. » — La Sœur ui s’occupait avec elle de la dépense, était un peu du bord e ceux que dominait l’inquiétude : l’arrivée des notes à régler la bouleversait Un jour, elle fut encore moins maitresse de ses appréhensions que de coutume, à la réception de celle du boulanger réclamant le solde de dix-huit mois de pain ; elle laissa paraître tout son effroi. La bonne mcre lui >iit en souriant : « Le Bon Dieu n’est-il pas notre trésorier ? Pourquoi donc tant d’inquiétudes ? Le croyez-vous solvable, oui ou non ? La dépense a été faite pour Lui, 11 saura combler sa dette au moment marqué dans ses desseins. » Une espérance si bien fondée eut sa réalisation. Une année, le pain était fort cher, la bonne Mère recommanda de ne pas le mesurer aux enfants. « Nos pauvres petites béniront le Bon Dieu, dit-elle, quand elles ne sauront que parleurs parents ce que coûtent les vivres, dont nous ne les laissons pas manquer. » Ce généreux mouvement de son cœur reçut presque immédiatement sa récompense. A l’entrée de l’hiver on fit une petite provision de haricots ; après un temps assez long, sœur Madeleine dit à la sœur de la cuisine décommander un nouveau sac au fournisseur ; celle-ci répond : « Je donne depuis deux mois deux services de haricot par semaine à toute la maison, et le sac est toujours au même point. » Le miracle se prolongea tout l’hiver, et se renouvela de la même manière, une autre année. pour la provision de charbon… De ces extraits de protection, l’histoire de La Providence est semée. Le cœur se fond de reconnaissance à ces souvenirs, et nous aurons occasion d’en citer bien d’autres avant la lin de ce récit…

Il fallait entrouvrir ces horizons de lumière, sous peine de montrer dans un faux jour le gouvernement de la Providence, qui, loin de s’identifier ici-bas au problème du mal, est le problème du bien.

III. La Providence et le mal moral. —La question du mal moral et de sa conciliation avec le dogme de la Providence offre des difficultés incomparablement plus grandes que toutes celles soulevées au sujet du mal physique. D’autant que les attributs moraux de Dieusonten cause : comment la sainteté infinie peut-elle tolérer un tel désordre dans son œuvre ?

La difficulté se complique ultérieurement de divergences entreécoles. Les théologiens qui croient pouvoir faire entrer le dogme de la Providence dans le moule d’un prédéterminisme physique, assument par là même l’obligation de justifier la Providence sur ce terrain. C’est un soin qu’il leur faut laisser. Les autres, désintéressés d’un tel système, ont, en un sens, une tâche plus simple. En revanche, ils doivent justifier leur option. En présence d’efforts persistants pour solidariser les prédéterminations bannésiennes avec la pensée de saint Thomas, et

par là même avec la doctrine catholique, ceux qui ne croient pas à une telle solidarité ne peuvent se soustraire à l’obligation de dire pourquoi ils la repoussent.

Peut-être il convient d’ajouter ceci. Celte tâche ne rentrait pas dans le cadre primitif de notre Dictionnaire. L’esprit dans lequel fut traité l’article Libbrtk, après l’article Dbtkrmiînismb, témoigne de l’attitude que nous avions souhaité conserver jusqu’au bout : attitude non certes de scepticisme ni de désintéressement en matière de doctrine, mais d’abstention îespectueuse dans les questions librement débattues entre écoles catholiques. Nous espérions pouvoir nous abstenir d’apologie conlentieuse. L’expérience semble avoir démontré que cette hauteur de détachement n’allait pas sans une part de chimère. S’il a fallu s’en départir, on voudra bien croire que ce n’est pas pour le plaisir de la discussion.

On trouvera donc à la fin de cet article quelques considérations sur les vues systématiques relatives au gouvernement de la Providence. Comme ces considérations neressortissentqu’indirectement à l’Apologétique et ne présentent qu’un intérêt restreint, nous les reléguerons dans un appendice.

Constatons d’abord que la pensée philosophique la plus dégagée de toute préoccupation confessionnelle n’est pas désarmée devant le problème du mal moral. Nous citerons l’auteur distingué d’un essai, d’ailleurs parfois discutable, sur Problème du mal (Paris, 1919). Au terme de longs développements sur le conflit permanent entre la Volonté créative et les volontées créées, M. E. Lasbax, écrit, p. 4-’19 :

Notre tentative d’interprétation… fait droit tout d’abord aux aspirations profondes du cœur ; car, par-dessus tout, elle sauvegarde la bonté du Principe des choses. Tel que nous l’avons défini en effet, il est plus que bonté, plus que libéralité, il est Amour sans bornes, expansion véritablement débordante, condescendance infinie. Tout cela parce qu’il est, dans sa vie immortelle, éternellement libre de tout contact avec le mal, sans avoir eu, pour autant, besoin de se libérer, comme cela est nécessaire par contre aux êtres qui sont au-dessous de lui. Pour tous ceux-ci la liberté s’achète ; elle s’achèto au prix du plus constant et souvent du plus douloureux effort de libération, et cet effort est « raiment une purification. Comme l’eut dit Aristote, elle nous conduit à 1 Acte pur, le seul Etre qui possède la plénitude de la liberté.

Par là, l’existence du Mal n’est pas un obstacle a la Puissance du Bien, puisque le maximum de puissance ne saurait se définir autrement que par le maximum de liberté. C’est au contraire l’attraction du mal qui seule limite la puissance des créatures, parce qu’elle s’oppose toujours à l’expansion de la vie et au déploiement de son immortalité : à un seul être il est permis de manifester toute l’infinité de sa puissance d’expansion, détaler sans entraves la surabondance de sa vie : Celui là seul est souverainement puissant et souverainement libre, non pas de cette liberté d’indifférence, perpétuelle hésitation entre les contraires, sorte de cas limite où l’expansion de Dieu est exactement contre-b.-ilancée par une attraction de sens inverse, mais de la véritable liberté, qui est affranchissement de tous les obstacles, possibilité d’expansion infinie.

… II ne s’agit d’ailleurs pas d’un dualisme radical où les deux Principes placés sur le même plan, auraient même degré dé réalité. Des deux principes, un seul possède à proprement parler l’existence, puisqu’il est l’expression intégrale de la vie, et que dès lors tout ce qui au monde possède de réalité ou d’être ne saurait procéder que de lui ; l’autre consiste simplement en une volonté de haine et de mort, infini négatif si l’on veut, dans le sens où négatif implique un néant de vie, et par suite d’existence. Mais il ne saurait, par cela même, constituer en dehors des êtres créés, un Principe réel, effectivement réalisé en soi…

Ces considérations rejoignent celles que nous indiquions plus haut, d’après saint Thomas. De soi, le mal n’est rien de positif, mais une absence du