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PROPHÉTISME ISRAÉLITE

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tfssu de rapprochements arbitraires, de conjectures grotesques, d’anachronismes monstrueux, fondés sur une ignorance crasse des tangues sémitiques, comme on pourra s’en convaincre en lisant les quatre pages consacrées à ce volume dans les Recherches de Science Religieuse, ig14, p. 5’t 5-548.

Faut-il parler aussi de l’étrange théorie de M. EDOUAnn N’AViLLK.égyptologue ? Dans un ouvrage publié en anglais, en uj13, et traduit fidèlement en français par M. Segond, Archéologie de l’Ancien Testament (titre trompeur, corrigé aussitôt par le soustitre : L’Ancien Testament a-t-tl été écrit en hébreu ?), M. Naville prétend que jusqu’aux environs de notre ère aucune page de la Bible n’a été écrite en hébreu. Tous les anciens livres, de Moïse à Salomon, ont été, d’après lui, composés en langue babylonienne et écrits en caractères cunéiformes ; les prophètes Amos, Osée, Isaïe, Jérémie, etc., ont composé leurs œuvres en araméen, et ces textes araméens, avec le Pentateuque traduit d’abord du babylonien en araméen par Esdras, ont été traduits en hébreu par des rabbins juifs vers les débuts de notre ère ! — Un des meilleurs arguments de M. Naville, exposé par lui à mainte reprise depuis 1907, est fondé sur deux suppositions gratuites. Il s’agit de la découverte du

« Livre de la Loi » sous Josias (II (IV) Reg., xxn).

1. Suivant M. Naville, ce livre aurait été trouvé dans les fondations du Temple, donc mis là par Salomon. Le texte biblique dit plutôt : trouvé près du trésor (cf. II /’ « r., xxxiv, i^). — a. Le grand-prêtre Helcias communique le livre à Saphan le secrétaire. M. Naville en conclut : a) que Helcias n’a pas pu lire le livre I b) que le livre était donc probablement écrit en babylonien et en caractèrescunéiformes ! — Qu’on lise l’article magistral du P.Skb. Ronzevallb, h Langues et Ecritures en Israël », dans les Recherches de Science Religieuse, oct.-déc. 1917 ; on y verra comment M. Naville ne tient nul compte de ce fait, que la version des Septante, antérieure à l’ère chrétienne,

« suppose constamment un original hébreu ». De

plus, le trop ingénieux égyptologue ne peut pas expliquer la différence de langue et de style des prophètes et autres auteurs, ni l’évolution linguistique qui se poursuit dans les divers livres de la Bible. Diluée dans de nombreuses formules de courtoisie, cette réfutation n’en reste pas moins efficace et définitive.

Evidemment, on ne saurait ici discuter en particulier l’authenticité des différents écrits prophétiques. Il faut du moins rappeler en général l’importance d’un élément beaucoup trop négligé jusqu’à nos jours dans les questions de critique textuelle et de critique littéraire. Plusieurs exégètes reconnaissent maintenant, avec M. le professeur Desnoybrs, que, dans l’œuvre des prophètes, « la reconstitution des strophes, indépendamment de son intérêt littéraire, possède un intérêt critique de premier ordre : elle permet, elle contraint de conserver comme authentiques nombre devers qu’une critique arbitraire voudrait supprimer… » Quelques lignes plus haut :

« … il a fourni, de cette théorie, des exemples si

enractéristiques (voir, par exemple, les schémas du Lwn> d’isaie, pp. a32-a3g) qu’on ne peut vraiment guère douter de la valeur objective de ce système strophique » (Bulletin de Littérature ecclésiastique. 19*1, p. 69). Le P. C. Lattey, dans The Tablet (17 juil. 1920), M. Edward J. Kissane dans The Irish Theidogical Quarterly et le P. Sydney-Smith dans The Mont ii, à la même date, M. l’abbé H Pérennès, professeur d’Ecriture sainte, s’expriment dans le sens ; de même, le professeur Albert Valensin (Rmip Apologétique, i cr mars 192a, p. 687-693).

Quelques-uns, admettant en principe cette forme

de poésie, croient devoir faire des réserves, un peu vagues, il est vrai, et générales ; ils insinuent qu’il pourrait y avoir exagération à rechercher partout des strophes. D’autres enfln restent hésitants et méliants ; et l’on peut expliquer cette attitude par l’atmosphère de scepticisme que produit le désaccord persistant des innombrables essais de métrique hébraïque. Peut-être n’avons-nous pas les données suffisantes pour formuler ce code de métrique ; cela n’empêche pas de comprendre et de goûter, dans ses éléments essentiels, la poésie des Livres saints. Le parallélisme des membres du vers, assez facile à reconnaître, et le développement du sens, avec la symétrie du nombre des vers et les répétitions de mots symétriques ou parallèles, permettent de distinguer des strophes. Bien avant l’apparition de la plupart de ces théories de métrique, un des plus célèbres hébraïsants et exégètes du xix « siècle, Henri Ewald se prononçait catégoriquement pour une strophique dont le schéma fondamental est « saz, gegensaz, schluss, wie strophe, antistrophe, epodos » (Die Dichter des Alten Bundes, a" éd., 1866, p. 13^ ; la i r « édition, avec un titre différent, est de 1839). Un passage oublié de son introduction aux Prophètes mérite d’être souligné : « Une sorte de strophe prédomine ; aussi bien, la structure strophique s’étend à tout l’ensemble de la poésie hébraïque. Un examen attentif, une étude sérieuse de tout ce qui reste des compositions prophétiques mène à cette conclusion ; et c’est un fait de la plus grande importance, aussi bien pour concevoir une idée juste dusujeten général, que pour élucider des points de détail. D’autre part, si l’on veut considérer la chose a priori, il n’y a pas la moindre difficulté à supposer l’emploi de ces strophes dans la littérature prophétique. >< Il l’explique, et il conclut un peu plus loin : « Voilà quelques-uns des principaux traits caractéristiques de la structure des strophes chez les Prophètes. [Je souligne]. Mieux nous connaîtrons les écrits prophétiques, mieux aussi nous saisirons jusqu’à quel point cet agencement rythmique, qui leur convient si excellemment, y règne d’un bout à l’autre. » (Die Prophelen des Alten Bundes erklàrt, 1840-1841, 2e éd., 1867-68 ; je le cite d’après la traduction anglaise de J. Fr. Smith, 1876, t. I, p. 72-73, 76).

Quand on reconstitue les poèmes prophétiques, en distinguant strophes et antistrophes, qui se répondent par le nombre et le groupement des vers, on reconnaît parfois, ici et là, quelques mots qui rompent la symétrie, une glose ; mais on voit, plus souvent encore, que des vers entiers, des groupes de vers, des morceaux considérables, pris trop légèrement pour des interpolations par les critiques radicaux, entrent bel et bien dans le cadre rythmique, et que les enlever, c’est mutiler le poème : tels Is., xliv, 9-20 etxLvi, 6-8, retranchés par Duhm, CheyDe et Marti, et quantité d’autres passages. Voyez dans le livre de Jérémie, comme exemples les plus notables, le beau poème messianique xxx-xxxi et ni, 1’, 18. La distinction des neuf poèmes de la seconde partie du livre à’Isaïe est d’une importance capitale pour la question du Serviteur de lahvé. Les exégètes qui identifient avec Israël le Serviteur souffrant font valoir avec beaucoup de force l’argument tiré du contexte. Cet argument est ruinépar la simple transposition de xlii, 1-9 après xi.ix, 7, d’où il suit que deux serviteurs bien distincts, d’une part le peuple d’Israël et, d’autre part, le Serviteur innocent, le Messie sauveur, se présentent dans des contextes différents. (Voir dans la Revue Biblique, 1908, les preuves de cette transposition, p. 170-172, et le plan des poèmes, p. 173-178 ; cf. Revue prat. d’Apologétique, iô avril 1920, p. 107.)