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PROPHÉÏISME ISRAÉLITE

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naître par miracle toutes les circonstances d’un événement futur, les prophètes dans ce cas s’en tiennent, pour les détails de leur mise en scène, à ce qui se passe d’ordinaire ; ils placent le fait prédit, qui est certain, dans son milieu probable ; car ils ne peuvent pas présenter au peuple des idées abstraites : la langue hébraïque ne s’y prête pas, ni le génie des auditeurs. Comme ils font une peinture vive et passionnée, à la prédiction proprement dite ils mêleront parfois, sous forme de souhaits, leurs sentiments personnels. Quand ils n’auraient pas reçu des lumières d’ordre supérieur sur une foule de points accessoires, ils n’en sont pas moins divinement inspirés dans tout ce qu’ils écrivent et, par suite, exempts d’erreur. Mais l’inspiration J n’empêche pas les prophètes d'être des hommes, des poètes, et de parler hébreu. Ainsi, n’exigeons pas des écrits prophétiques plus que ne comportent le but des auteurs, le style elle genre poétique, et nous verrons s'évanouir une foule de difficultés ou d’erreurs prétendues qui venaient seulement de notre ignorance.

Ces distinctions n’ont rien d’alarmant pour l’apologiste ; au contraire, il peut en tirer un grand avantage contre les partisans des vaticinia post eventum. En effet, le prophète, en prédisant avec certitude un fait important, a pu, comme on vient de voir, en conjecturer comme probables les circonstances accessoires, et imaginer ainsi quelques détails pour rendre sa description plus concrète et plus vive. Mais il est bien clair que, s’il avait écrit après l'événement, i aurait omis ces détails dans le cas où ils ne répondraient pas à la réalité. Une prophétie de la chute de Babylone, faite après 53g, se garderait de représenter la ville comme ruinée et déserte.

Autre exemple : les prophéties d’Isaïe contre Damas. Au temps de la guerre syro-éphraïmite (735), quand Jérusalem est attaquée par les rois de Damas et d’Israël coalisés, Isaïe doit donner à son (ils qui vient de naître unnomsymbolique, « Proniptbutin-Proche-pillage », « parce que, avantquel’enfant sache dire « mon père, ma mère », on portera les richesses de Damas et le butin de Samarie devant le roi d’Assour » (fs., viii, 3-4). Le châtiment de Damas et d’Israël est encore annoncé dans l’oracle du chapitre xvii, qui débute ainsi :

Voici Damas retranchée du nombre des villes ;

ce n’est plus qu’une ruine !

" Ses villes sont désertes à jamais " ;

elles sont aux troupeaux,

ils s’y couchent, nul ne les chasse. Plus de forteresse pour Ephraïm,

ni de royauté à Damas ! …

Comparons à ce tableau les documents assyriens.

« Au pay s de Damas », telle est la légende du Canon B

des Eponymes pour les 13* et i/|" campagnes de Téglalhphalasar en ^33 et 732. Damas assiégée résista longtemps, et ne fut prise vraisemblablement que vers la lin de 732. Pendant le blocus l’armée assyrienne fut occupée à des razzias dans les plaines des environs. Les Annales de Téglathphalasar parlent de 5qi places saccagées dans seize districts de Damas. Les habitants de la capitale conquise fuient envoyés en captivité à Qlr ; Kason fut mis à mort (IV Reg., xvi, i|) ; un gouverneur assyrien fut installé à sa place ; et le territoire d’Aram de Damas fut annexé à l’empire ninivite. Les Annales de Sargon, pour l’année 720, nomment Damas parmi plusieurs -villes révoltées et coalisées contre l’Assyrie. A la lin du siècle suivant, une prophétie de Jérémie renouvelle contre elle les anciennes menaces (xux, 23-27).

L’apologiste KBITS ne connaissait pas les inscriptions cunéiformes. Sa méthode préférée consiste à

rechercher si une ville, menacée de ruine par un prophète hébreu, a été ruinée en un temps quelconque jusqu'à nos jours. Par exemple, il écrit au sujet de Tyr : « Sa désolation avait été prédite 2.000 ans avant l’existence du peuple qui a été l’instrument de sa destruction et de sa ruine » (l. c, p. io5-io6). Comme Damas existe encore, il ne dit rien des prédictions d’Isaïe ; mais il n’a point de raison d’assigner un terme à leur échéance, et il peut renvoyer leur accomplissement à une époque future jusqu'à la lin des temps. Un des derniers commentateurs d’Isaïe (1912, The International Critical Commentary, protestant), M. G. Buchanan Gray, estime que ies prédictions en question ont été accomplies « pour une large part ». Il explique : « Quoique moins complète et moins durable qu’Isaïe ne l’attendait (car Damas n’est jamais devenu un lieu inhabité), la dévastation de Damas et de la contrée environnante en 732 av. J.-C. fut grande. » C’est perdre de vue le caractère poétique de ce passage, alors que M. Gray vient de l’appeler <t poème » quatre lignes plus haut. Si l’on cherchée comprendre la pensée du prophète, au lieu de se faire esclave des mots, on concédera, avec l’abbé Trochon, que cette victoire de Téglathphalasar

« suffisait pour que les rois de Damas et de

Samarie fussent désormais impuissants contre Juda, et c’est là ce que Dieu voulait surtout faire connaître à Achaz et à son peuple » (in fs., viii, 4). Le début de l’oracle, xvii, 1-2, est une hyperbole poétique, une vive image pour signifier la prise de Damas, et sans doute la destruction partielle de ses remparts, mais principalement la chute de cette importante puissance ; et de fait, comme Isaïe l’avait annoncé, sa royauté fut supprimée. Il n’en est pas moins vrai que, par ces détails mêmes de l’expression poétique, la prophétie est datée d’avant 731 (Voir aussi Crampon, La Sainte Bible, t. V, p. 62).

VIII. — L’authenticité des écrits prophétiques

Une théorie de la « modernité des prophètes » a été présentée en 1889 par M. Erniïst Havrt dans la Revue des Deux Mondes (t. XCIV). Les écrits prophétiques ne remonteraient pas aux vm'-vi* siècles avant Jésus-Christ, mais auraient été composés au cours du n d siècle ! L’auteur nous dit ingénument (p. 517) comment ses idées, exposées ailleurs par lui une première fois, furent accueillies : t Cette nouveauté n’eut aucun succès, ni au moment même, ni depuis. Les hébraïsants qui en ont parlé l’ont rejetée, sans daigner même la discuter, comme une fantaisie qui ne pouvait être prise au sérieux ; ceux-là seulement l’ont ménagée qui n’en ont rien dit. » Cependant, à la suite de M. Havet, M. Mauricr Vbrnks a surgi en partisan convaincu de la même hypothèse. Il l’a soutenue dans son Précis d’Histoire juive, 1889, p. 803 sqq., à la fin de son étude Du Prétendu Polythéisme des Hébreux et dans l’article « Bible s de la Grande Encyclopédie. Le P. J. Bruckhh l’a réfutée solidement dans les Etudes, mai 1892, t. LVI, p. 13-24. Mais l’auteur y est revenu encore dans le misérable pamphlet donné par lui à la Grande Encyclopédie sous le litre « Les Prophètes et le Prophétisme en Israël ». et, en 191 l, dans Les Emprunts de la Bible hébraïque au grec et au latin, où il conclut ses « longues, délicates et laborieuses recherches » en disant :

« Dans l’ensemble, nos résultats confirment les vufli

sur la composition des livres bibliques que nous avons soutenues depuis vingt-cinq ans. Il n’est, selor. nous, dans la Bible aucune rédaction un peu étendue, où ne se fasse sentir une connaissance du vocabulaire i, r rec, difficilement explicable avant le cinquième siècle précédant l'ère chrétienne » (p. 227). En réalité, ces « délicates recherches » ne sont qu’un