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PROPHÉTISME ISRAELITE’.16

Mais, en somme, ce rapprochement montre, par un exemple de plus, que les prophètes ont bien compris la nature humaine et la mentalité de leur peuple. Tout l’art de la réclame n’est que l’application de ce principe psychologique : parler aux yeux, pour piquer la curiosité, forcer L’attention et produire par la répétition des images une sorte d’obsession. De tout tenips les prédicateurs populaires l’ont compris, et ils ont employé des méthodes analogues aûn de remuer les âmes. A Leipzig (i 451) saint Jean de Capistran prêcha sur la mort, en tenant un crâne à la main ; à la suite de ce sermon, cent vingt étudiants environ entrèrent dans dilFérents ordres religieux. Saint Syméon stylite, par le seul fait de demeurer debout sur sa colonne, était une prédication vivante ; et justement pour expliquer la vie de cet homme extraordinaire, Théodorut apporte l’exemple des prophètes, il rappelle les actions symboliques d’Isaïe, île Jérémie, d’Osée, d’Ezéchiel, et il conclut : « C’est le souverain de toutes choses qui a ordonné tout cela, pour exciter l’attention par l’étrangeté du spectacle, et faire entendre les divins oracles à ceux qui se rendaient sourds à sa parole » {P. G., LXXXI1, 1473).

Du point de vue apologétique, il importe de distinguer, dans ce langage d’action, L’accomplissement réel de la chose proposée et l’accomplissement Lictif ou le simple récit de la scène montrée en vision. Le prophète ne marque pas toujours la différence par sa manière de s’exprimer. Il ne sulïit pas qu’il dise : a lahvé m’a ordonné de faire cela et je le lis », pour que L’on puisse conclure aussitôt à la réalité de la démarche. Jcr., xxv, 15-ag est un exemple typique :

« Ainsi m’a parlé lahvé, Dieu d’Israël : Prends de

ma main cette coupe de vin’fumeux’, et fais-la boire à toutes les nations vers lesquelles je t’enverrai. .. Et je pris la coupe de la main de lahvé, et je la fis boire à toutes lesnations vers lesquelles lahvé m’avait envoyé. » Il ne saurait être question pour Jérémie d’entreprendre un voyage circulaire, pour offrir une coupe de vin à une vingtaine de nations, représentées, si l’on veut, dans la personne de leurs chefs, ou (comme on l’a imaginé) de visiter quelques sujets de ces nombreuses nations alors présents, on ne sait pourquoi, à Jérusalem. Certainement tout cela s’est passé en vision, et Jérémie raconte ce qu’il a vu. Au contraire, rien ne s’oppose à l’exécution de l’ordre mentionné au chapitre xix, et, d’après la suite du récit, il fut accompli. Jérémie doit acheter une cruche d’argile et se rendre avec des témoins à l’entrée de la vallée de Ben-IIinnom : « Tu briseras la cruche sous les yeux des hommes venus avec toi, et tu leur diras : Ainsi parle lahvé des armées : Je briserai ce peuple et cette ville comme on brise la cruche d’argile qu’on ne peut plus réparer » (io-ii).

Mais, remarque Cornely, bon nombre d’actions symboliques sont de telle sorte que l’on ne sait si elles ont été seulement montrées en vision aux prophètes comme des allégories, ou s’ils les ont réelle-, ment exécutées » (Inlrod.. II, a, 305, n. 18). Parmi les cas douteux, le plus célèbre est assurément celui qui se rencontre dans les trois premiers chapitres du livre d’Osée. Le prophète reçoit l’ordre de prendre une femme dont les adultères symboliseront les infidélités du peuple à l’égard de lahvé ; ce mariage est-il réel ou simplement fictif ? Chacune des deux opinions compte des partisans également convaincus, chez les exégètes protestants comme chez les catholiques ; et déjà les Pères de l’Eglise sont partagés sur cette question. Le chapitre iv d’Ezérliiel donne lieu à des discussions du même genre. Quand il est prescrit au prophète de rester couché sur le côté gauche pendant trois cent quatre-vingt-dix

jours, et pendant quarante jours sur le côté droit, on se demande si l’interprétation historique s’impose. Plusieurs exrgètes le nient énergiquement : tel Ed.Koenig, dans un article spécial sur les actions symboliques (Hastings’Dicl., Extra vol., p. 170). D’autres l’admettent, en expliquant le fait par l’hypothèse d’une paralysie.

En somme, c’est l’affaire des commentateurs de discuter les divers cas particuliers ; mais, d’une façon générale, pour bien juger et ne pas conclure trop vite à une impossibilité physique ou morale, il faut se placer dans le milieu des mœurs anciennes et orientales. Ne serait-on pas tenté de déclarer impossible, a priori, ce qu’on lit des stylites qui restèrent debout sur une colonne durant de longues années ? Saint Syméon l’ancien trente-sept ans, saint Alypius, au vu 6 siècle, plus longtemps encore : « lorsque, après cinquante-trois ans, passés debout sur la colonne, il sentit que ses pieds ne le porteraient plus, loin de songer à descendre, il se coucha sur le côté, et vécut quatorze ans encore sans changer de position » (P. H. Dblbhxyb, <t Les Stylites. Saint Syméon et ses imitateurs) ! , dans la Revue des Questions historiques, janvier 18y5, p. 5a-ioa, v. p. 66 et 8a).

Prophéties écrites. — Les livres d’Isaïe et de Jérémie paraissent bien courts pour représenter l’œuvre de ces prophètes pendant une quarantaine d’années Mais, remarquons-le avec Gormbly, « la plupart îles livres prophétiques semblent n’être qu’un résumé des discours adressés au peuple » ; et dans ce travail de rédaction les auteurs, sous l’inspiration divine, usaient d’une certaine liberté pour modifier leurs oracles, les abréger, comme aussi les compléter. Au jugement du même exégète, diverses pièces, parfont même assez étendues, ont été seulement écrites et jamais prononcées en public, tels, dit-il, As..xl-lxvi et £z., xl-xlvhi (on en conviendra facilement), et presque tous les oracles contre les nations (ce dernier point est beaucoup moins probable). Les prophètes mentionnent quelquefois L’ordre divin qui leur enjoint d’écrire (Is., xxx, 8 ; Hab., 11, a ; Je ; , xxx, a, xxxvi, a, a7-3a). Le chapitre xxxvi de Jérémie est particulièrement intéressant ; c’est après vingt-doux ans de prédication orale, que Jérémie, pour obéir à lahvé, dicte à Baruch ses précédentes prophéties.

Pour bien comprend rel’œuvre des prophètes et la juger équitablement, il faut, avant tout, se rendre compte des caractères propres du style prophétique. A propos de la prophétie messianique, c’est-à-dire 1 sur le point le plus difficile et de beaucoup le plus important, des explications doctes et judicieuses ont été déjà données dans ce Dictionnaire par M. J. TouzAR », et je suis heureux d’y renvoyer le lecteur (Art. « Juifs », col. 163q-1651). Il suffira main- | tenant d’insister sur la forme poétique, aujourd’hui généralement reconnue, des oracles de l’An- 1 cien Testament.

Volontiers, on l’a vii, les prophètes israélites, I comme tous les orientaux, s’expriment par allégo-l ries, paraboles, images symboliques ; niais, de plus, I comme poètes, ils emploient des figures de langage, f auxquelles une interprétation servilement littérale I donnerait un sens ridicule ou monstrueux Isaïe an-| nonçant que, dans les derniers temps, le mont Sionl serait affermi au sommet des montagnes et s’élèveraitl au-dessus des collines (n, a), plusieurs rabbins pen-l sent que le mont Thabor et le mont Carmel seionti transportés à Jérusalem, pour former un piédestal ! à la colline du Temple. D’après /s., xi, 7, des juifs ! et des judaïsants estiment que le lion, a la mciuel époque, changera de mœurs et deviendra végétarien. D’autres ont imaginé trop facilement des symboles