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PROBABILISME

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ment mauvais ? En agissant avec une pareille conscience, l’homme ne viole-t-il pas l’obligation d’éviter le péché matériel ? Nullement, car cette obligation ne dépasse pas celle de connaître la loi. Quand il est satisfait à cette obligation, le législateur lui-même, sous peine de se contredire, nous dispense d’observer une loi dont l’existence ne doit plus nous préoccuper. La connaissance, prescrite comme moyen préalable à l’observation, mesure la nécessité de cette observation elle-même.

Insistera-t-on en disant, que le péché matériel est un mal qu’il nous faut fuir à tout prix ? Que ce soit un certain mal, nous en convenons. Qu’il faille l’éviter à tout prix, comment le prouverait-on ? Seul le mal moral doit être absolument évité. Mais le mal moral est celui de la volonté. La faute matérielle n’étant pas volontaire, le mal du péché matériel n’est pas moral.

Disons davantage. Ce mal du péché matériel, non seulement n’est pas volontaire ; à parler strictement, il n’est pas même l’objet d’une volonté permissive. Que prévoit-on, en réalité ? Un simple danger de péché matériel. Si cet inconvénient requiert une raison qui l’excuse, ne la trouve-t-il pas aussitôt dans le bien de la liberté humaine ?

D’ailleurs ce danger de péché matériel subsiste avec les systèmes équiprobabilistes ou probabilioristes. Il ne disparait, pour autant (vu nos chances d’erreur), qu’à condition d’adopter le tutiorisme le plus rigoureux : système officiellement censuré et universellement abandonné.

Cette nécessité logique d’opter pour le probabilisme ou pour le tutiorisme est bien faite pour nous persuader la solution probabiliste.

En résolvant la seconde hypothèse ou le second cas, nous avons aussi résolu le troisième.

Il n’en diffère que par l’extension du doute : commun auparavant à un milieu, il est cette fois circonscrit à une personne. Pour devenir propre aune personne, l’ignorance invincible ne change pas de nature et ne cesse pas d’être excusable.

Au commencement decet article, nous nous demandions quel élément viendrait s’ajouter au doute théorique pour donner lieu à une certitude. Nous venons de découvrir cet élément : il n’est autrequela volonté raisonnable du législateur. Aucune obligation ne lie plus que ne le veut celui quila crée. L’honnêteté foncière et parfaite de nos actes consiste dans l’accord de notre volonté de sujets avec celle du Souverain Maître.

Le probabilisme se préoccupe de cet accord ; il l’exige et il s’en contente.

Aucun système moral ne doit ni ne peut exiger davantage.

4. Confirmation de la preuve donnée. — Nous avons emprunté à S. Thomas tous les principes dont nous avons fait usage. C’est lui qui nous a rappelé la coutume universelle, d’appeler licite tout ce qui n’est pas interdit (In IV, D. 15, q. a, art. 4, sol. 1) ; lui, qui fait de la promulgation un élément essentiel de la loi (I » II* », q. 90, art. 4) ; lui qui pose l’équation entre l’obligation de connaître et celle d’observer la loi (DeVeritate, q. xvii, art. 3) : « Nul n’est lié par un précepte s’il n’a la science de ce précepte. — Celui qui ignore un précepte divin, n’est pas tenu de l’accomplir, si ce n’est dans la mesure où il doit connaître ce précepte. »

Il n’est pas moins évident, que ces principes s’appliquent sans distinguer divers degrés de probabilité. Us nous mettent devant ce seul dilemme : ou l’obligation est certaine, et notre devoir ne se discute pas ; ou l’obligation est incertaine, et notre liberté nous demeure.

5. Du système compensateur. — Le C. d’Anniuals I, a64) attribue au P. Potton, des Frères Prêcheurs, la paternité de ce système. Sans rejeter le principe probabiliste : « Une loi douteuse est une loi nulle », cette théorie n’en permet l’usage que moyennant une excuse proportionnée à l’importance de la loi et à la probabilité de l’obligation. Pourquoi cette excuse ? Aiin de compenser le danger de transgression matérielleMais en formulant cette exigence, le système introduit, comme l’observe le* savant Cardinal, un principe nouveau en morale ; il donne un démenti à S. Thomas, en traçant d’autres limites à l’obligation de connaître la loi qu’à celle de l’observer ; et il oublie que la franchise de l’activité humaine est un bien certain, qui l’emporte déjà sur l’inconvénient problématique d’une transgression matérielle incertaine. Du reste, que de doutes surgiraient dans l’appréciation de cette compensation ! Comment, d’après quel système se résoudraient-ils ? On néglige de nous le dire.

6. Quelques mots sur les objections possibles. — Nous n’avons pas voulu donner une allure polémique à notre exposé. Aussi nous abstenons-nous de citer, pour y répondre, les objections anciennes ou récentes que l’on a faites au système probabiliste. Nous croyons les avoir suffisamment rencontrées et réfutées dans les notions préliminaires. Elles supposent ou bien l’élision mutuelle des probabilités ou bien le recours au principe de possession. Or, nous l’avons montré, cette élision n’a pas lieu, et le principe de possession ne saurait être invoqué en cette matière.

Le désir de faire la part égale à la loi et à la liberté ne renforce aucunement la position équiprobabiliste. La liberté est un don du Législateur suprême, qui peut la restreindre à son gré, mais qui veut être gloriflépar elle. Il faut dire résolument : si la loi existe, elle l’emporte toujours sur la liberté qu’elle enlève ; et si la loi est douteuse, le sens commun, d’accord avec les auteurs, ne dicte qu’une seule réponse : une loi douteuse n’oblige pas.

Enfin le probabilisme ne méconnaît pas le devoir de rechercher la vérité. Il exige une information sincère et diligente. Mais quand l’enquête n’aboutit qu’au doute, au vraisemblable, il refuse de confondre la vraisemblance avec une vérité approximative, alors que la vérité peut se trouver du côté le moins vraisemblable.

9. Conciliation des systèmes. — Avant le recours aux principes réflexes, comme le P. db Blic en fait ci-dessus la juste observation, la théorie ne pouvait être que tutioriste ; mais le sens pratique faisait oublier cette rigueur dans les applications. En va-t-il autrement depuis que les systèmes probabilistes, équiprobabilistes, probabilioristes ont été construits, défendus et se sont parfois un peu vivement entrechoqués ? Les ûdèles s’aperçoivent-ils d’une grande différence de traitement au tribunal de la Pénitence, suivant l’école à laquelle appartient le confesseur ? Il ne paraît pas.

Nous ajoutons même. Cet accord pratique était nécessaire. Dans une question qui intéresse à ce point la moralité, le silence de l’Eglise, duSaint-Siègenous semblerait inexplicable, si le désaccord théorique avait entraîné dans la pratique de notables conséquences.

Du point de vue théorique lui-même, si l’esprit de lultesurvit encore dans quelques théologiens qui croient le salut des âmes intéressé à leurs fâcheries ; si des lutteurs d’antan parlent encore par leur bouche, la plupart se persuadent heureusement que les diverses écoles catholiques sont moins faites pour se combattre que pour s’éclairer. C’est plaisir de