Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée

23

PESSIMISME

24

funeste, auquel celle-ci ne sait se soustraire ellemême. Le monde, fruit de la science absolue de l’Inconscient, est cependant totalement malheureux et pire que le néant. C’est que, si le « comment » du momie a été déterminé par une raison souverainement sage, le « fait » de son existence doit être rapporté à un principe étranger à la raison. L’Inconscient tend à ce que les consciences ou les volontés individuelles s’unissent dans un immense non-vouloir collectif. Le vouloir s'éteignant dans le monde, l’univers s’effondre. C est le suicide cosmique, la cessation de la souffrance, le règne de l’universelle félicité dans le néant.

4. La qualification de pessimistes convient aussi aux doctrines darwinistes, qui ramènent la destinée des êtres à la lutte pour la vie : elles sont à la base du Nietzschéisme, avec la théorie de la volonté de puissance ; elle convient aux doctrines nihilistes, plus humanitaires chez un Tolstoï et un Gogol, plus âpres chez un Alfred de Vigny, une Ackbrmann, et de nos jours une Ada. Negki.

III. Critique. — Il y a dans le Pessimisme systématisé par les philosophes allemands toute une métaphysique panthéisiique. La Volonté de Schopenhauer, dont l’Inconscient de Hartmann n’est qu’un démarquage, c’est l’Un Tout, avec la série des contradictions que pareil concept entraîne. (Voir Monisme, Panthéismb) Le pessimisme de l'école darwinienne repose sur l’idée de la lutte universelle pour la vie, idé> fausse, au moins inexacte : une autre idée ; se réalise aussi largement dans la nature, "JVSà ! /entr’aide pour l’existence.

La négation de la morale, qui se trouve dans le pessimisme nihiliste, a contre elle tout ce qui a été établi au sujet de la distinction du bien et du mal, de l’existence d’une fin dernière, de la loi morale ou du devoir.

En outre, on ne peut guère séparer le pessimisme de Leopardi et de Schopenhauer des souffrances, des déceptions, des douloureux avortements qui ont rempli leurs vies. Il n’est pas téméraire de conjecturer que leur philosophie aurait été plus sereine si leur existence avait été moins traversée. L’exemple de Hartmann, le pessimiste cossu et satisfait, ne prouve que peu en faveur de la vérité du pessimisme : on sent trop en lui le copiste ou le disciple voulu de Schopenhauer. Cependant nous ne sommes pas de ces simplistes qui ramènent tout le pessimisme à une question de mauvais estomac. Il y a chez ses partisans certaines affirm :  ; tions qui valent d'être examinées.

Le bonheur de l’homme est vanité et illusion. — Ici il ne convient pas de répondre par une fin de nonrecevoir. La doctrine chrétienne aussi proclame, avec les Livres Saints, la vanité des plaisirs de ce monde, l’inanité de nos efforts pour atteindre le bonheur. Les pessimistes souvent parlent comme elle. Seulement, la doctrine chrétienne précise : tout est vain qui ne va pas à Dieu, qui ne se rapporte pas à notre (in dernière ; tout a valeur qui nous rapproche de Dieu, qui travaille à nous mettre en possession de notre On. L’Ecclésiaste, qu’aiment à citer les pessimistes, débute par la plainte : « Vanité des vanités ! Tout est vanité. » Il clôt son discours par cet enseignement : » Crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là tout l’homme. » C’est à la fois son devoir et son bien.

La somme des maux l’emporte sur la somme des biens. — En dépit des déclamations les plus éloquentes, cette maxime est contraire au sentiment universel. L’homme est attaché à la vie. Devant la mort il tient le même langage que le Malheureux ou le Bûcheron de la fable. Il lui arrive de sentir plus

vivement l'àpreté de certaines douleurs physiques ou morales que la continuité de certains biens. Mais, comme à son insu, il se rend compte de la valeur de ceux-ci et les fait entrer dans sa supputation totale. Notons-le en passant : la théorie de Schopenhauer, qui veut que tout plaisir soit purement négatif, est fausse. Le plaisir est autre chose que la cessation d’un besoin. C’est la jouissance goûtée dans le fonctionnement normal d’une faculté, dans l’exercice de la vie ; la cessation du besoin ne se produit que par voie de conséquence.

La lie est mauvaise. — Si tout est mal, comment pourrions-nous porter cette condamnation ? Si nous nous indignons contre la douleur, l’injustice, le désordre, c’est au nom du bien, de la justice, de l’ordre. D’où vient cette notion ? Est-ce de la raison humaine ? Et alors, elle en a pris les éléments quelque part. Est-ce une efTloraison de la nature ? Et alors la nature n’est pas toute mauvaise, puisqu’elle peut faire germer de son sein l’idée du bon et du juste. Ainsi le pessimisme est condamné à se dépasser nécessairement en se niant.

La vie est mauvaise. C’est le blasphème pessimiste, son allirmation essentiellement anti-chrétienne. Pour le christianisme, la vie est bonne parce qu’elle est le don d’un Être qui est bon. De Dieu appelant les êtres à l’existence, il est dit dans la Genèse : « Et Dieu vit que cela était bon. » L’univers est bon parce qu’il est la manifestation des perfections de Dieu, parce qu’il donne à l’homme quelque moyen de le connaître, de l’adorer, de l’aimer. « Ses perfections invisibles, son éternelle puissance et sa divinité sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. » (Eo/n., 1, ao.) Notre destinée d’homme consiste à nous élever à la connaissance et à l’amour de Dieu, et ainsi à une perfection toujours plus grande et conséquemment à la félicité. C’est là notre fonction, c’est là ce qui donne un sens à notre vie, ce qui en fait le prix. Cette destinée, cette fonction est chose essentiellement bonne et noble et grande.

Le dogme chrétien du péché originel (Voir cet article) apporte la meilleure lumière au fait de la souffrance en ce monde. Il répond à cet instinct confus qui voit que la souffrance n'était pas dans le plan premier du Créateur, qu’il y a dans la souffrance une expiation et une préparation. La souffrance purifie, détache des jouissances passagères, dispose à goûter les biens solides et véritables. La vie future ne vient pas redresser l’erreur de celle-ci, comme si Dieu reprenait dans l’au-delà l'œuvre manquée icibas. La vie future prolonge, achève la vie présente. Elle la stabilise dans l’ordre des sanctions qui découlent de ses actes. Ainsi s'établit le règne total de l’ordre, qui comprend deux stades, le stade de la préparation et le stade de l’achèvement. El toute intelligence saine dit que cela est bon.

BiBLiocnvruiB. — James Sully, Le Pessimisme (Histoire et Critique), trad. de l’anglais, Paris, Alcan, 1882 ; E. Caro, Le Pessimisme au XIX" siècle, Paris, Hachette, 1880 ; Léon Jou viii, Le Pessimisme, Paris, l’errin, 1892 ; œuvres de Leopardi, Schopenhauer, Hartmann, passim ; Edouard llod, Les Idées morales du temps présent II, Schopenhauer), Paris, Perrin, 1891 ; L. Route, S. J., Schopenhauer, Utilisation de son Pessimisme, Etudes, 20 mars igo5 ; Camille Bos (interprète de la pensée de Victor Brochard), Pessimisme, Féminisme, Moralisme, Paris, Alcan, 1907 ; Léon Ollé-Laprune, Le Prix delà Vie, Paris, Belin, 189/J ; W. Hurrell Mallock, Is the Life worthy Living ; trad. française par P. James Forbes, S. J., La vie vaut-elle la peine de vivre P Paris,