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PROBABILISME

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S) Les adversaires du Saint ne pouvaient s’y tromper. Très instructive à cet égard est la critique du gazetier janséniste des Xouvelles ecclésiastiques (1766, p. 10) :

« Quiconque a de bons yeux, aperçoit aisément qu’il [le

système liguorien] renferme le probabilisme pur, puisque, ne rejetant l’opinion favorable à la liberté que lorsqu’elle est notablement moins probable, c’est l’admettre dans les eai oit, étant moins probable, elle ne le serait pas notablement ; el de même, permettant de la suivre lorsqu’elle est presque également probable, ce « presque » suppose encore un « moins- ». Tout ceci n’est par conséquent qu’un exposé frauduleux. »

Il y aura lieu de revenir plus loin sur la parade opposée par saint Alphonse à ce coup, quand d’impérieuses circonstances l’obligeront à écarter toute accusation de probabilisme ; l’embarras de la réponse sera alors un indice de plus que sur la question de fond le critique avait vu juste.

c) Quoi qu’il en soit, en i ; 65 au moins, le saint Docteur ne songe nullement à renier le probabilisme. C’est ce que garantit un texte capital où, répondant à une objection de Patuzzi, très voisine de celle qu’on vient de lire, il livre sans détours la clé de son système.

« Je n’ai point prétendu et je ne prétends pas faire des

systèmes nouveaux. Je sais bien qu’aucun probabiliste de doctrine siîre ne permet l’usage de l’opinion faiblement ou douleusement probable ; mais, parce que beaucoup de probabilistes disent indistinctement qu’on peut suivre l’opinion moins probable, quand elle a quelque fondement de raison ou d’autorité, j’ai voulu établir une distinction en disant u’on ne peut suivre l’opinion moins sure quand la préponérance pour la plus sûre est grande et certaine, … parce qu’alors l’opinion moins sure ne peut être regardée comme certainement probable. » Apologie de 1760, t. XXVIII, pp. 3 1 3-3 1 4 Même point de vue dans une lettre de la même année, où il s’agit précisément de l’ouvrage cité à l’instant :

« Beaucoup de savants qui ont lu mon Apologie, disent

que cette matière était autrefois fort embrouillée, mais qu’elle est aujourd’hui éclaircie. De fait, l’usage del’opinion probable, en la façon que le soutenaient autrefois les probabilittrs, ne me plaisait pas, et je n’étais pas moi-même tranquille sur ce point, car ils prenaient pour point d’appui certains principes et certains raisonnements qui n’étaient pas concluants. » C. S., 1 63, 19 sept. 1765.

Quelques lignes de l’année précédente, 1764, expriment déjà la même pensée :

Je ne nie point… que beaucoup de probabilistes ne soient tombés dans des opinions relâchées ; je ne nie pas non plus que, pour prouver l’usage licite de l’opinion probable, ils ne se soient servis de certains principes faibles. Par exemple, ils se prévalent de celui-ci : qui probabiliter agit, prudenter agit ; mais ce principe est mal fondé… C’est pourquoi je disque c’est le grand relâchement des opinions dans lequel sont tombés certains probabilistes du siècle passé, et l’insuffisance de ces principes faux par eux enseignés, qui ont fait que les probabilioristes se sont élevés

ans une perversion des notions de certitude et de probabilit é.

— Dans les deux cas, vous vous heurtez à l’expérience et fa’tes violence au langage. C’est le sentiment confus de ce dilemme crucial qui empêcha toujours saint Alphonse de s’expliquer nettement. Après 1767 surtout, dans ses réponses aux objections pressantes du P. Blasucci, sa pensée devait en venir à un degré de fluidité qui défie tout essai de détermination [C.S., 217, 219).

La raison profonde de cette inconsistance paraît être dans l’essai de conciliation qu il tenta entre deux conceptions opposées de la probabilité : la conception probabilioriste : 1 l’opinion reconnue moins probable n’est pas probable » {C.S., 185j ; — et la conception probabiliste : et opinio[probabilion ] contraria etiam probabilit censetur » (Tneol. mor., 1, 40).

avec tant do chalour et de fureur contre l’usage de l’opinion probable, et qu’ils ont trouvé tant do partisans. Mais tout homme aimant la vérité et parlant sans passion doit juger autrement, lorsque la probabilité de l’opinion est accompagnée d’uni raison certaine, et du principe réfléchi qui rend certain en pratique. » Réponse apologétique, 1764 : t. XXIX, pp. 370-371. Cf. De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 5, n. a5 ; c. 6, n. 6 ; t. XXIX, pp. a45, a56, C.S., 188.

Ces textes sont concluants. Ils ne traduisent pas seulement l’impression qu’a saint Alphonse d’être d’accord en substance avec le » probabilistes ; en nous révélant l’originalité de son propre système, ils montrent que son seul but a été de perfectionner le probabilisme, d’un côté par le triage et le renforcement des preuves, de l’autre par la recherche d’une formule de délimitation qui suffit d’elle-même à écarter le laxisme (Le Bachblbt, La question liguorienne, 1897, p. 199).

3° Opposition forcée à partir de 1767. — A. — L’attitude de saint Alphonse vis-à-vis du probabilisme, après 1767, est conditionnée par diverses circonstances historiques, dont la connaissance est indispensable. Nous ne pouvons, faute de place, que les mentionner ici. Berthe, C. SS. R., Saint Alph. de Lig., 1900, 2 vol., renseignera utilement.

Ce sont : les progrès du rigorisme janséniste en Italie ; la recrudescence de la campagne contre les Jésuites, aboutissant à leur expulsion de Portugal en 1759, de France en 1762, d’Espagne et de Naples en 1767, et à leur suppression totale en 1778 ; enfin la persécution essuyée par la Congrégation du Très Saint Rédempteur, que ses ennemis cherchent à confondre avec la Compagnie de Jésus, pour l’englober dans la ruine de celle-ci (C. S., a16, 219, a54, a84, 315. C. G., 5g6, 818, 8aa).

Sous la pression de ces événements et dans l’intérêt de l’œuvre que Dieu lui a confiée, le saint vieillard — il a soixante et onze ans en 1767 — cède peu à peu ((7. 5., 3g, 49, 51 » 60, 10a, aoi, aoa, 206, 2a4, a44, a°4, 307, 314). et cherche de plus en plus à séparer sa cause de celle des Jésuites, en atténuant la parenté de son système avec le leur (C. S., aog, au, 216, 317, 219, aa4, aa5, a30, a31, 249, a50, a54, a60, a84, 398, 305, 308, 309, 314)

« Certaines choses que l’on écrivait jadis, ne plaisent

plus aujourd’hui au public » (C. S., 31a) : cet aveu de 1777 peint la situation faite à Alphonse de Liguori durant la dernière période de sa vie ; à qui étudie son évolution doctrinale, il fait déjà conjecturer qu’ici encore le changement sera plus dans la forme que dansla pensée.

B. — C’est ainsi qu’à partir de 1767 on trouvera dans sa correspondance et ses ouvrages de morale bon nombre de déclarations dures au probabilisme (Vindiciæ Alphonsianae, éd. 1874, t. I, pp. 466 ss.). Mais, à y regarder de près, ces déclarations apparaissent comme le système de défense d’un plaidoyer, bien plus que comme la conclusion d’un raisonnement. La preuve en est dans :

ai) leur exagération même : le Saint va jusqu’à s’y qualifier de probabilioriste (C. 5., 185, 261, 315. C.G., 818, 822), — à réprouver l’équiprobabilisme (Déclaration du système, 1774. nn. 4, 7 ? t. XXIX, p. 431),

— et à admettre que l’opinion quasi communia des théologiens du xvu « siècle n’a été qu’un laxisme (Homo apost., 3e éd., 1770, n. 31. Comparer : De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c.6, n. 5 ; t. XXIX, p. a55, et les textes cités col. 3a3) ;

p) leur occasion caractéristique : elles coïncident presque toujours avec une aggravation de l’état de choses signalé plus haut (au § A) ;

-/) le genre de publicité auquel elles sont desti-