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PROBABILISME

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taire ou involontaire de l’ignorance. D’un commun accord, les seolastiques enseignent avec I’iehub Lombaiid {Sent., II, d. xxii, n. 8-105 /’. /.., CXCI1, 699) qu’on n’est jamais coupable de manquer à un devoir invinciblement ignoré. Mais, d’un commun accord aussi, ils enseignent que les préceptes du droit naturel au moins les principaux, ne sont jamais, ne peuvent pas être invinciblement ignorés. Saint Paul n’a-t-il pas dit : « Si quis ignorât, ignorabtiur » (I Cor., xi v, 38) ?

« Jgnorantia [secundum quod aliquis ignorât quid

oporteat facere vel vitare

on causât involuntarium,

quia ignorantia hujusmodi non potesthomini habenti iisum rationis provenire nisiex negligentia. » (S. Th., In Elh., iii, 1. 3.) « Dicitur ignorantia voluntaria ejus quod quis potest scire et débet, … et secundum hune modum ignorantia universalium juris quæ quis scire tenetur, voluntaria dicitur, quasi per negligenliam proveniens. » (Sum., I » II « ", q 6, 8 ; cf. I » II »  », q. 76, 2.) La raison en est simple : « Præceptajuris naturalis. .. secundum se sunt de necessitate salutis. » (Sum., II a II aa, q. 147. 4, ad’) Comment comprendre dès lorsqu’on puisse les méconnaître autrement que par sa faute ?

Une seule fois, saint Thomas invoque l’ignorance invincible du droit naturel, mais c’est pourindiquer qu’à son avis elle ne se rencontre pas cbez d’autres que chez les idiots. Au Quodl., ni, 27, ad 2, après les mots cités plus haut : « Ignorantia juris non excusât a peccato », il ajoute : « nisi forte sit ignorantia invincibilis.sicutest in (urinsis cl amentibns ». Comparer De malo, q. ii, 3, ad 9. Ailleurs, quand il est question d’ignorance invincihle du droit, c’est du droit positif qu’il s’agit (Quodl., 1, 19).

Logiquement, cette théorie de l’ignorance conduit à admettre dans certains cas une sorte de nécessité de pécher, puisque, si une conscience erronée se croit astreinte à un acte que réprouve en réalité la loi de Dieu, elle ne peut ni agir ni s’abstenir sans faute. Saint Thomas, comme tous les seolastiques, accepte cette conséquence (Sent., Il, d. xxxix. q. 4, a. 3 ; De ver., q. xvii, 4, ad3 ; xvn, 5 ; Sum., I » II » « , q. 19.6 ; Quodl., iii, 27, ad 2 ; In. Ep. ad. liom., c. xv, 1. 2). Mais, dit-il, la perplexité qui résulte de là n’est qu’accidentelle, puisqu’on peut toujours et que l’on doit même déposer la conscience erronée (Ibid.).

Telle est, redisons-le, la doctrine générale au treizième siècle. Le désaccord ne commence qu’avec l’extension qu’on donne aux formules.

Les uns, avec Guillaume d’Auxbrre (7 1 23a ?), estiment que chacun doit savoir « de quolibet mortali quod sit mortale » (Sum., 1. II, tr. xxix, c. 1, q. 3). Les autres, plus modérés, restreignent cette obligation aux préceptes les plus importants, ceux du décalogue, admettant que l’on puisse ignorer invinciblement tout le reste. Saint Thomas est de ces derniers (De main, iii, 7, aumilieu ; Quodl, , viii, 15 ; Sum., I » Ilae, q. 6, 8 ; q. 19, 6 ; q. 76, 2 ; q. y4, 2.4. 6 ; q. 100, i.3) :

Parallèlement à la théorie de l’ignorance morale, il faudrait étudier celle de l’ignorance religieuse. Nous ne pouvons ici que renvoyer à quelques textes où s’accuse la mentalité que nous essayons de décrire (Sent., III, d. xxv, q. 2, a. 1, sol. 4, ad 3 ; Quodl., ni, 10).

bref, on ne comprendrait pas les moralistes du treizième siècle, si l’on ne tenait compte de leur extrême objeclivisme. De là vient qu’ils voient plutôt dans le péché matériel un maleriale peccati qu’un materiale peccatum. Ils admettent, bien entendu, que la moralité découle de l’objet « non ut est, sed ut apparet u ; d’où ce corollaire. « Quicumque vult

aliquid sub quacumque ratione boni, kabet voluntatem conforment vnluntati divinæ quantum ad rationem voliti. » (Sum., I a II » " -, q. 19, 6, ad. 1) Et cependant ils ne croient pas que certains actes

« per se mali » puissent jamais se faire honnêtement

(De ver., q. xvii, 4, ad 3 ; De malo, q. ii, 3 ; Quodl., ix, 15). C’est pour cette raison qu’en pareille matière l’ignorance même leur paraît coupable. A qui fait l’effort convenable, Dieu ne refuse pas la grâce nécessaire pour éviter de tels péchés d’erreur. Jusqu’où Guillaume i>k Paris (-]- 1248) n’étend-il pas ce principe ? (De legibus, c. xxi) De là, la tendance générale de ce temps à associer hérésie et mauvaise foi, ignorance morale et aveuglement.

On s’explique ainsi que saint Thomas ait pu écrire dans l’article qui nous occupe : lllud quod agitur contra legem, semper est malum. Ailleurs il déclare que le cumul des prébendes n’est pas un acte » per se malus », et ici même il reconnaît qu’on en discute l’illioéité ; il n’en cède pas moins aux idées de son époque, et le tour absolu de la formule adoptée nous montre l’une des directions que suit volontiers son esprit.

B) Deuxième principe : Ex conscientia aliquis obligatur ad peccatum, sive habeat certam fidem de contrario ejus quod agit, sive etiamhabeai opinionem cum aliqua dubitatione.

Traduit en langage moderne, ce principe défend d’abord de suivre l’opinion moins sûre, quand l’autre est moralement certaine : aucune hésitation làdessus. Mais les derniers mots étendent-ils cette défense au cas d’une probabilité quelconque en faveur du parti le plus sûr, ou seulement au cas d’une plus grande probabilité dans ce sens ? Exigent-ils par suite, du côté de l’opinion suivie, une certitude morale ou seulement une plus grande probabilité ?


a) La réponse se doit chercher dans l’application que saint Thomas fait lui-même de son principe. Nous en avons rapporté plus haut les termes essentiels (col. 307). On y voit que seule est en règle la conscience parfaitement exempte de doute touchant le parti adopté par elle. Or, l’absence du doute, c’est là ce qui dislingue la certitude de tous les degrés de l’opinion. Celle-ci, selon saint Thomas, bien qu’elle marque une préférence de l’esprit, et résulte d’un choix qui la met au-dessus du doute proprement dit (In post. anal., I, I. 1. In Eth., vi, 1. 7), est cependant caractérisée par l’inclusion d’une formido alterius partis » (De ver., q. xiv, 9, ad 6 ; Sum., ' a > 9- 79- 9 » ad- 4 ; H a II ac, q. 2, 1 ; In Ep. ad liom., 1, 1. 6 ; etc.), d’une « dubitatio de opposito » (De ver., q. xiv, 1 ; In Ethic, vi, 1. 3 ; Sum., II a II » ", 1, 4), d’un

« motus ad contrariant » (Sent., III, d. xxiii, q. 2, 

a. 2, sol. 1) ; ce qui ne saurait étonner, puisque « de ratione opinionis est, quod id quod quis existimat, existimet possibile aliter se habere » (Sum., II a II æ, q. 1, 5, ad. 4)’.

Conséquemment, c’est bien la certitude qui est exigée de qui suit une opinion moins sûre, et il faut admettre, en dépit de l’interprétation reçue, que cette seconde partie du Quodl., viii, 13, tout en corrigeant la première, n’en va pas moins, elle aussi,

1. Nous ne pouvons que mentionner les pages originales où le R. P. Gakdeil [Revue des Se. philos, et théol., 1911, pp. 441 ss.), puis ! < R. P Richard [Le probabilisme moral et la philosophie, 1922, pp. 60 ss.) ont essayé de dégHffer le concept thomiste d’opinion de tout éléroentde doute. L’exégèse en est, à nos yeux, trop arbitraire pour pouvoir être utilement discutée ici. Voir Revue Thomiste. 1 » 12, p. 676 ; Etudes, 1918, T. CXXXV1I, p. 404 ss. ; Recherches de Se. relig., 1922, p. 352.