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PKOBABILISME

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Potirètre en règle avec la loi objective, ne pèche-t-il pas contre sa conscience ? Ex con.scientia autan aliquis obligatur ad peccatum, sive habeat ce’lam fidem de contrario ejus quod agit, sive etiam habeat opinionem cum alirjua dubilalione. On doit donc examiner à son sujet trois cas distincts : — Il se peut en effet qu’il croie à part lui, comme les docteurs de 1 opinion plus sure, que le cumul des prébendes est chose illicite (habet conscientiam de contrario ) : agissant alors contre sa conscience, il commet un pechi, bien qu’en réalité il ne viole aucune loi. — Il se l’eut en second lieu, que, sans croire le moins du monde d’une manière ferme (non habet conscientiam seu certitudinem ) qu’il soit défendu de garder plusieurs prébendes, tamen in quamdam dubitationem inducitur ex contrarietile opinionum et lie, si, manente lali dubilatione, pluies præbendas habet, periculo se committit, et sic procul dubio peccat. — Il se peut enfin qu’après avoir bien examiné le pour et le contre, sans trouver du côté de l’opinion plus sivère aucune raison qui l’ébranlé (nec invenit aliquid quod cum moveat ad hoc quod sit illicitum, [dans le Sed contra)) en pleine assurance et sans le moindre doute (ex contrariis in nullam dubitationem adducilur), il croie licite la pluralité des prébendes : et lie non committit se discrimini nec peccat.

Ici s’arrête la réponse, sans qu’ait été expressément résolue la question de principe posée dans le Deinde quærebatur et touchée au Videtur quod : dans le conflit d’opinions morales opposées, a-t-on le droit de suivre la moins sûre ? » Ses distinctions établies, saint Thomas a jugé superflu d’exprimer une conclusion qu’il estimait obvie : < Et sic patet solutio ad objecta ». Le lecteur a cependant vii, sans aucun doute, qu’il se dégage en réalité de cet article non pas une mais deux conclusions, distinctes bien qu’assez voisines, selon que l’on s’en lient à l’un ou à l’autre des développements amenés par les deux hypothèses initiales.

En effet, puisque la vérité de l’opinion plus sûre peut coïncider avec ma persuasion de sa fausseté, et puisque, si elle est vraie, quelque persuadé que je sois qu’elle est fausse, c’est péché de ne pas la suivre, il est évident qu’en aucun cas je ne puis, sans m’exposerau péché, suivre l’opinion la moins sûre, et que, par le risque de ce péché toujours suspendu sur ma conscience, je me trouve pour toujours enfermé dans le plus absolu tutiorisme. C’est là la conséquence de ce principe : Illud quod agitur contra legem sernper est malum, nec excusatur per hoc quod est secundum conscientiam.

Mais, soit qu’il n’ait pas aperçu la portée absolue de cette première réponse, soit qu’il veuille en corriger l’extrême rigidité, saint Thomas poursuit, et, raisonnant dans l’hypothèse où l’opinion plus sûre est fausse, — comme elle peut l’être, quoi que nous pensions d’elle, — applique son second principe :

« Aliquis obligatur ad peccatum, sive habeat certain

fidem de contrario ejus quod agit, sive etiam habeat opinionem cum aliqua dubitalione » ; d’où il fait tirer au lecteur cette conclusion : on peut suivre l’opinion moins sûre, à condition d’en être certain.

Telle est, dans son exposé littéral, la double pensée de cet article. Elle semble si peu cohérente, et si peu d’accord au surplus avec nos idées actuelles, que la plupart des interprètes se sont demandé si elle nous livrait l’exacte opinion de saint Thomas. Il convient donc d’examiner, en les comparant à l’ensemble de son enseignement et aux idées de ses contemporains, les deux principes qui commandent tout le reste.

A) Premier principe : Illud quod agitur contra legem, semper est malum.

La doctrine de Vignorance était loin d’avoir au xm’siècle la même précision qu’aujourd’hui : pour peu que l’on soit familiarisé avec l’histoire des idées, l’on ne saurait s’en étonner. Tout en reconnaissant

que la négligence seule de s’instruire pouvait être coupable, on gardait les formules anciennes qui qualifiaient péché l’état même d’ignorance (S. Thomas, Sent., II, d. 22, q. 2, a. i ; De malo q. 111, 7 : Sum., 1" Il Ae, q. 76, 2), vestige, évidemment, de cette vieille opinion augustinienne, encore survivante au temps de Pibrrb dk Poitibhs, -j- I205(A(7>. sent., II, 18 ; / /.., CCXI, 10Il ss.), qui avait vu dans l’ignorance une portion du péché originel. L’ignorance était-elle coupable dans sa cause, tout acte mauvais, prévu ou non, qui en était la suite, devenait péché (S. Thomas, Sum., II » II a8, q. ibo, 4 ; In Ep. ad Rom., c. 1, 1.7). Il n’y avait pas dans l’ignorance dite concomitante une excuse valable pour la malice interprétative supposée dans le sujet (id., Sent., II, d. 22, q. 2, a. a ; In Arist. Eth., iii, 1. 3 ; Sum., la Hae^ q. 76, 1.3). Rectitude intentionnelle, autrement dit bonne foi et bien moral, n’étaient pas choses convertibles (De ver., q. xvii, 4 ; De malo, q. 11, 2, ad 8 ; Sum., I a II* », q. 19, 6). Mais surtout, c’était un axiome reçu, que l’ignorance de droit n’excuse pas. Il faut insister làdessus.

k) Lisant dans Gratibn (Decr., p. II, caus. 1, q. 4 » c. 12, concl.) : « Ignorantia juris naturalis omnibus adultis damnabilis est », les théologiens ne songeaient pas, semble-t-il, que, si les canonisles avaient pu emprunter ce principe au Droit romain (Digeste, 1. XXII, t. vi) pour leurs procédures juridiques, c’était tout autre chose de le transporter de ressort des tribunaux au domaine de la conscience, Abrlard autrefois avait bien deviné la distinction du for interne et du for externe, dans les pages géniales où il analysait la responsabilité (Scito teipsum, c. v-vii, P. L., CLXXVIII, 647-650), mais sur ce point-là, ses disciples même avaient marque un recul. Chez saint Thomas, la distinction des deux fors, mentionnée çà et là (elle l’était aussi dans Gratien, Decr., p. II, caus. xv, q. 1, c. 13), n’a qu’une place effacée. Elle n’intervient jamais, dans les passages où il s’agit de la conscience, pour corriger l’effet des formules générales. Comme ses contemporains, le saint Docteur applique sans transposition à l’ordre moral les principes du Droit (par exemple : De ver., q. xvii, 4, ad. 5).

/3) Dans le même sens travaillait l’influence d’ÂRistotr. Dès les premières années du treizième siècle, Aristote avait été admis à monter dans les chaires de morale. Or, l’ignorance involontaire ne pouvait porter, selon lui, que sur le fait particulier, jamais sur l’universel (Ethique A Nicomaque, iii, 1, 15-iq ; v, 8, 3). S’il admettait qu’on pût n’être pas coupable d’ignorer certains articles des lois, peu nécessaires à la fois et difficiles à connaître (id., iii, 5, 8), il restait intransigeant pour l’ignorance du droit naturel : il y voyait la notion même du vice et refusait de croire à la bonne foi en cette matière (id., ni, 1, 14-15 ; 3 ; 5, io). Il est hors de doute que la morale toute objective de l’Ethique a puissamment contribué à amoindrir dans l’esprit desScolastiques l’imporlance des facteurs subjectifs de la moralité.

y) De là la gêne qu’on éprouve en face de certaines formules : « Unicitique peccatum est ignorantia eorum quæ ad bonos mores et fidei virtutem pertinent (Sent., II, d. xxii, q. 2, a. 1). Si autem ex ignorantia juris, … ipsa ignorantia peccatum est (De ver., q. xvii, 4, ad, 5 ; cf. ibid., ad. 3) ; Ignorantia juris ad negligcntiam repulatur (De malo, q, ni, 8). Ignorantia juris non excusât a peccato (Quodl., ru, 37, ad. 2 ; cf. Quodl., ni, 10) : Ignorantia juris, quæ non excusât. » (Summ., II* II ne, q. 5a, a. 4 ad. i m.)

Il ne faudrait pourtant pas conclure de ces textes, très voisins, on le voit, de celui du Quodl., viii, 13, que S. Thomas n’a aucun égard au caractère volon-