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PROBABILISME

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autre critère avait-on de la probabilité même, que la fantaisie de chacun ? Tout pouvait donc devenir probable, et l’on renouvelait ainsi, d’une manière déguisée, le subjectivisme absolu de Protagoras : l’homme mesure de toutes choses. C’est contre l’immoralité dece scepticisme raffiné, que proteste Augustin au IIIe livre du Contra Academicos, nn. xiivxxxvi, P. L., XXXII, 95a D (cf. Retract., 1. I, c. I, P. L., XXXII, 585 B, 58^ C).

A écarter également, l’axiome fameux prêté par le moyen âge à saint Augustin et destiné à aiguiser longtemps la subtilité des probabilisies : Tene certain et Jimittc incertnm (Serin., cccxciii, P. L., XXX IX, 1715 B). Il s’agit là de l’incertitude de la pénitence in extremis, et du danger de compter sur elle.

a° Indices de sévérité. — Le terrain ainsi déblayé, il ne suffit pas, pour trancher le problème qui nous occupe, d’en appeler à la sévérité des premiers temps du Christianisme, mais il convient d’examiner de près l’objet et la raison de cette sévérité.

C’est dans la discipline de la Pénitence qu’elle se manifeste surtout, en ce qui concerne l’application de la peine plus encore que l’admission à la réconciliation (cf. art. Pknitbncb, col. 1772 ss.). Tant que les communautés de fidèles ne formaient que des Ilots dans le paganisme, il était nécessaire de réprimer avec énergie des fautes auxquelles l’origine païenne d’un bon nombre et le contact de tous avec les vices païens constituaient un entraînement dangereux. On comprend facilement que cette nécessité se soit imposée aussi longtemps que la nouvelle civilisation n’eut pas profondément pénétré la société. On ne doit donc pas être étonné de ne voir se relâcher la rigueur des vieux pénitentiels, que dans la mesure où s’affinent les mœurs ; comme parallèlement ne se généralise la pratique du secret delà confession, que quand se sent plus vivement le droit de l’individu à sa réputation. Ce serait un contresens de juger en fonction de nos idées modernes l’extrême énergie du moyen âge dans la répression du mal. Toute législation, dans sa partie p’nale et jusqu’à un certain point dans ses éléments préceptifs, est solidaire de l’ordre social et de l’état des esprits contemporains.

Une seconde manifestation, souvent signalée, de la sévérité des Pères, c’est le peu de place que tient dans leurs œuvres la distinction, aujourd’hui si familière à tout chétien, du péché mortel et du péché véniel, d’une part ; du précepte et du conseil, de l’autre. Il semble qu’aux yeux de ces rudes chrétiens toute faute soit également grave, toute bonne action également obligatoire. Pareille. lacune pourrait surprendre dans une étude méthodique de la moralité : elle n’a rien au contraire que de naturel dans des homélies destinées à stimuler l’auditoire. Vienne la controverse pélagienne, Augustin n’hésitera pas un instant à entrer dans les distinctions nécessaires, et il aura conscience, en le faisant, de ne rien innover (cf. Portalik, dans Vacant, Dut. de théol. cnthol., I, a44") Beaucoup plus grave serait la théorie augustinienne de l’ignorance morale, si elle nous donnait non seulement l’opinion personnelle de l’évêque d’IIippone, mais l’écho de la tradition chrétienne. Il ne semble pas douteux, en effet, qu’à partir des controverses pélagiennes et en dépendance de sa conception du peccatum poena peccati, saint Augustin ait incliné de plus en plus à admettre que, pour qui méconnaît son devoir, le péché d’ignorance est oujours imputable. Ce n’est pas qu’il ait jamais

cru que l’erreur invincible n’excuse pas. Luther et Jansknius n’ont pu voir cela chez lui. Le contraire est nettement supposé dans De lib. arb., III, xix, 53 ; xxii, 64 ; P. L., XXXII, 1297 A, 130a C-1303 A ; Deduabus animabus, X, ia-14 ; P. L., XLII, io3-io4 ; Contra Faustum, XXII ; xlix, P. I.., XLII, 4*7 A ; Epist., xciii, 4, 15 ; />.£., XXXIII, 3a8 D. Mais il faut bien constater que, du jour où il se retourna du front manichéen pour faire face aupélagianisme, la distinction d’erreur volontaire etinvolontaire n’eut plus aucun rôle dans ses œuvres. Dès lors son unique thèse est celle-ci : l’ignorancedubien est toujours coupable, car elle est toujours volontaire, au moins dans sa cause première, le péché originel. Déjà naissante dans les écrits contre les Manichéens, où il importait de mettre la liberté à l’origine de tout mal, cette thèse va ens’accentuant à mesure que la polémique avec Julien oblige le grand Docteur à insister sur le péché originel et ses suites. C’est pour la souligner, en montrant la continuité de sa pensée, qu’Augustin reprend en 4’5, dans le De Nat. et Gr., Lxvir, 81 ; P. L, xliv, 387, ces mots du De lib. arb., « Non tibi deputatur ad culpamquod invitus ignoras, sed quod negligis quærere quod ignoras ». Entourée de son contexte, cette citation n’a pas le caractère d’indulgence qu’on lui attribue souvent (par exemple, Portalib, Dict. de théol. cath., I, a 4 06).

On trouvera la pensée de saint Augustin exposée sans ambages dans l’importante lettre cxciv, à Sixtus, c. 6 ; P. /.., XXXUI, 88a-883, et dans un grand nombre d’autres passages, faciles à trouver.

Reste que ce système, dontnous ne contestons pas l’excessive rigueur et qui est aujourd’hui parfaitement inassimilable, ne saurait être présenté comme l’opinion commune des Pères. Propre à saint Augustin, il n’a même pas pénétré si profondément sa pensée qu’on ne trouve chez lui, à côté des formules rigoureuses, des solutions pratiques annonçant déjà le probabilisme. C’est ce qui reste à montrer.

3° Solutions de sens probabiliste. — Comment d’abord ne pas rapprocher du principede la loi douteuse ces mots de Lactancb, traitant précisément de l’obligation à propos des moralistes païens : « Cum omnia conjecturis agantur, multa etiam diversa et varia proferantur, stullissimi est hominis præceptis eorum velle parère, quæ utrum’era sint an falsa dubitatur. » (De div. instit., III, xxvii, P. L., VI ; 434 A.) Soit dit uniquement pour mémoire, car nous ne songeons pas à attribuer à cet admirable styliste une ombre quelconque d’autorité doctrinale.

Dans l’entourage de saint Gkégoirb de Nazianzb, des rigoristes blâmaient l’admission à la pénitence après le baptême : « Pour quelles raisons ? demande le Saint. Qu’on prouve que nous avons tort, ou qu’on cesse de nous condamner. E « Se àjifi^o’/w, vixoctw tô ftloLv$ pu-nov. » (Orat., xxxix, 19 ; P. G, XXXVI, 357 B).

Plus significative encore est la solution adoptée et constamment maintenue par saint Jrrômh au sujet des ordinations de bigames. Le Pape Sihicb s’était expliqué là-dessus dans sa lettre du 3 février 385 à llimerius (P. F.., XIII, 11 4a A), et Innocent I y était revenu en 400 dans une décrétale destinée aux évêques du Concile de Tolède (P. L., XX, 4g3 A), pour y insister à nouveau en 404 dans sa réponse à saint Victrice (P. L., XX, 47$ A). Jérôme, selon son propre témoignage, connaissait ces documents. Mais les mots de saint Paul : « Unius uxoris vir » (I Tint., 111, 2 ; TH., 1, 6) lui semblaient n’exclure que la bigamie simultanée (Comment, in Ep. ad Titum (387), /’. /,., XXVI, 504 CD) ; et, s’en tenant à cette opi-