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PRIERE

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cela vaut mieux que rien, et l’on aime à en prendre acte.

Plus qu’aux variations théoriques sur le thème de la prière, nous nous arrêtons volontiers aux pages vécues, qui ne manquent pas dans ce livre. Voici un clergyman anglican, le Rev. Albxandkh Foiibbs Phillips, devenu en temps de guerre chapelain d’une grande hase navale. Cet homme de coeur, qui est mort, a écouté on lui-même et autour de lui les leçons de l'épreuve, et s’est pris à philosopher sur sa croyance. Il écrit (A Chaplain’s Thoughts on Prarer), p. 161-162 :

L'échange de pensées entre personnes différentes et létude de son processus a toujours pu place dans la philosophie, surtout dans celle de l’Orient. Considérez un instunt la transmission de pensée par gestes, écriture ou parole. Chacun de ces moyens est par lui-même vide de sens ; néanmoins les symboles permettent à une personne de lire le travail intérieur d’une autre âme. Ils mettent à nu les secrets intimes du cœur et du cerveau. Pareil fait serait inconcevable si nous n’avions l’expérience de sa réalité. Il en va de même de la prière, elle aussi serait inconcevable si nous n’avions l’expérience de sa réalité. L’impossibilité apparente de la prière est un argument en sa faveur, car l’homme, de luimême, n’aurait jamais conçu l’idée d’une conversalion intime avec son Créateur. Un officier d’artillerie me disait : « Dès mon enfance, toujours la prière m’a frappé comme un trait d’effronterie impudente, au regard de l’infinie Sagesse. Un jour q ie terre et ciel me semblaient confondus dans la tempête sur nous déchaînée par les canons allemands, je sentis un moment mes sens chanceler. Je me mis à répéter : « Mon Dieu, gardezmoi ma tête pour mes hommes ! » Cette prière fut exaucée ; l’effet tangible est la décoration que je porte maintenant et qui, je le sens, doit être déposée dans quelque église. Chaque fois que je regarde ce bout de ruban, il me rappelle ma prière. »

La machine cosmique est si délicatement ajustée et emboîtée, que le moindre déplacement, fût-ce d’une partie, se fait sentir à travers toute la masse. L’univers vibre à chaque mouvement. Si j’agite la main, il y a une différence dans le cosmos, encore que je ne la sente pas. Dans l’univers spirituel, serait-il contraire à la science d’affirmer le même délicat ajustement spirituel, grâce auquel chaque idée que nous concevons, chaque résolution, chaque mouvement de la volonté lance une onde h travers l’ensemble ? Qu’est-ce qui empêche d’admettre que, quand le soldat gisant sur le champ de bataille, ou le saint dans le cloître, ou l’humble adorateur à son foyer fuit monter le cri de son âme vers Dieu, ce cri non seulement atteint l’Esprit central, mais retentit dans toute la masse spirituelle ? On nous parle beaucoup de la loi de nature ou de nécessité ; mais que dire de la loi de grâce ?…

Cette page n’est pas, tant s’en faut, la seule où l’on nous parle de ces commotions violentes où l'àme a retrouvé la croyance en Dieu et l’instinct de la prière. A son tour, un ministre wesleyen, le Rev. Ahthdr Cornaby, missionnaire à Hankow (Chine), rapporte (The Failh of a Missionary), p. 336-337, ces exclamations versleciel qu’il a recueillies même sur des lèvres païennes : elles coïncident, parfois d’une manière frappante, avec celles où Terlullien reconnaissait, il y a dix-sept siècles, le « témoignage de l'àme naturellement chrétienne ». Le même auteur cite (Ibid., p. 337, n °te)> » te propos, l’histoire de tel mineur du pays de Galles, qui volontiers posait pour l’esprit fort. Un jour, des blocs de charbon, détachés de la voùle, commencent à pleuvoir autour de lui. « Seigneur, sauvez-moi I » s'écrie-t-il. — « Ah ! ah 1 dit un camarade, il n’y a rien comme les blocs de charbon pour chasser l’incrédulité d’un homme ! »

Le même missionnaire méthodiste en Chine fait encore un récit (fbid., p. 344). que nous nous reprocherions de ne pas rapporter.

Ceci remonte aux jours de mon enfance ; les détails ne sont aussi présents que n’importe quel fait de l’année dernière. Une pieuse mère de douze enfants fut frappée d’une grave crise de paralysie, avec complications. Le docteur craignait une issue fatale et le dit à la famille, une après midi. Il [ici. sait que la malade n’atteindrait pas le jour suivant. Or, dans l’après-midi, eut lieu une grande réunion de prière, à laquelle prirent part les fidèles de plusieurs églises. Le président de la réunion était un homme de Dieu, qui avait apprise prier sur la côte occidentale d’Afrique. Il lut la parabole de la veuve importune (Luc, xvm), et après le verset 7* s’interrompit : U Je n’ai pas ouï dire que les élus de Dieu, aient aujourd’hui coutume de crier vers lui-nuit et jour. S’ils le font, quelque chose de grand se produira. » Puis, après diverses prières offertes avec instance pour les besoins de toutes les églises, le président reprit : « Une sainte de Dieu, connue de vous tous, est à l’article de la mort. Sa famille ne peut se passer d’elle ; nous ne pouvons nous passer d’elle. Prions le Seigneur delà guérir. » Au milieu d’une émotion intense, la prire fut offerte. Je retournai, angoissé, à la maison (car c’est pour ma mère qu’on avait prié), et trouvai le docteur dans la salle a manger, appuyé à la cheminée et disant : « Je n’y comprends rien. Quelque chose lui est arrivé. Un changement merreillrux s’est produit. Vous pouvez compter la voir debout et circulant sous peu de jours. » Il en fut ainsi. Sa vie se prolongea jusqu'à ce que sa tache fût accomplie.

Le récit qu’on vient de lire, garanti par un homme qui, il y a plus de trente ans, a porté l’Evangile en Chine, et dont les paroles ont un accent profond de sincérité, commande le respect ; nous ne nous permettrons pas de le discuter. On pourra s'étonner de ce fait, d’apparence miraculeuse. Mais qui dira ce que peut la foi des simples ? La question des revivuls n’est pas de celles qui s’accommodent d’un jugement hâtif et sommaire. Il n’y a là rien qui passe évidemment la vertu de la prière offerte à Dieu dans une assemblée de croyants.

L’Eglise catholique enseigne que la grâce n’est pas restreinte à ses seuls fidèles. Le miracle est une grâce que Dieu dispense plus parcimonieusement, parce qu’elle est un signe, et ordinairement un signe du chrislianismecomplet.Maisnousignorons la mesure. A maintes pages et sous maintes formes, le livre que nous venons de parcourir rend témoignage, non seulement de l’inquiétude religieuse qui, sous tous les cieux, travaille des âmes sincères, mais encore des avances que Dieu multiplie envers ceux mêmes qui ne prient pas, et beaucoup plus envers ceux qui prient. Ne renfermât-il rien d’autre, le recueil du Walker Trust nous paraîtrait fort digne d’attention

IX. Conclusion. — Nous nous sommes arrêtes bien longuement — trop longuement peut-être, — aux manifestations diverses de la prière, non seulement hors de l’Eglise catholique, mais en dehors même du christianisme. C’est qu’il y a là un fait universellement humain qui frappe même les yeux des incrédules, fait par lui-même révélateur des relations mystérieuses qui unissent l’homme à la divinité et qui, à travers tous les travestissements imputables à une hérédité superstitieuse ou à la perversion individuelle, s’aflirment, aux heures tragiques et décisives, comme renfermant le vrai sens de la vie. Ce fait universellement humain ne semble pas dénué de valeur apologétique.

Revenant de cette longue excursion, nous constaterons que pour les chrétiens, habitués à invoquer Dieu comme un Père, la prière prend une signification plus précise et plus touchante. Elle est pour tous le ressort essentiel de la vie chrétienne ; et l’exemple des saints montre qu’une vertu héroïqueprocédé assez communément d’une oraison sublime, œuvre proprement divine, qui manifeste par des effets merveilleux l’amour de Dieu pour sa créature.