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PERSECUTIONS

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Il s’est pas douteux que la politique des empereurs devenus chrétiens ait été d'établir, à leur tour, l’unité de religion dans l’Empire, en faisant prévaloir le christianisme. Je n’ai pas à apprécier ici cette politique : ce n’est point de mon sujet. Mais je dois rechercher si par elle le christianisme se fit persécuteur.

Il y aurait une grande injustice à rapprocher les moyens employés par les princes du ive siècle des sanglants procédés dont s'étaient servis leurs prédécesseurs païens. Sous Constantin, la liberté de tous les cultes, proclamée par l'édit de Milan, demeure intacte. Les faveurs accordées au culte chrétien lui donnent seulement une situation égale à celle du culte païen. Ce dernier demeure oiliciellement reconnu, et l’empereur en reste le chef, avec le titre de Souverain Pontife. Si quelques temples sont abattus, par l’ordre de Constantin, en Egypte, en Phénicie, en Syrie, c’est parce que ces sanctuaires dégénérés abritaient de révoltantesimraoralilé » : mesure de police, non de persécution.

Les choses demeurèrent en cet état jusqu’en 337. Sous les fils de Constantin, et particulièrement quand Constance fut devenu seul empereur, elles commencèrent à se modifier. Des lois de 34 1, de 353, de 356, ordonnent la fermeture des temples et interdisent, sous peine de mort, les sacrifices. Mais ces lois, en Occident, demeurèrent inexécutées : à tel point que le sénateur païen Symmaque pourra écrire de Constance, quelques années plus tard : « Il conserva l’ancien culte à l’Empire, bien qu’il suivît luimême une autre religion. » On le vit même, pendant son voyage à Rome, en 35^, nommer aux sacerdoces païens. En Orient, où la population chrétienne était maintenant en majorité, les temples furent fermés par elle en certaines villes, laissés ouverts en beaucoup d’autres : c’est l’opinion publique, plus que la loi, qui détermina le mouvement.

Après l'éphémère tentative de restauration païenne essayée non sans violence par Julien, la tolérance est rétablie en 363 par Valentinien. Il tient la balance égale entre tous les cultes, confirmant môme ou augmentant les privilèges des pontifes dans les provinces. L’historien païen Ammikn Marckllin le loue d’avoir respecté partout la liberté religieuse.

Valens (364) proscrit les arts magiques, mais ne porte aucune loi contre le paganisme : fauteur des hérétiques, il réserve ses rigueurs aux catholiques. Le premier (3^5), Gratien refuse le titre de Pontifex ma.cimus, porté par tous ses prédécesseurs, et supprimant les subsides conservés jusqu'à lui au culte pann, réduit celui-ci à la condition d’une religion privée, qui subsiste par ses propres moyens : c’est la séparation de l’Eglise païenne et de l’Etat. Il faut attendre les dernières années du îv" siècle et les règnes de Théodose et de ses fils pour voir interdire, efficacement cette fois, les sacrifices non seulement publics, mais privés, et détruire les temples des campagnes, tandis que ceux des villes sont généralement conservés à cause de leur valeur architecturale et des objets d’art qu’ils contiennent.

Le paganisme était déjà bien malade, et tout près de s éteindre, quand ce dernier coup lui fut porté. Mais ni avant, ni après, aucune persécution ne fut exercée contre les personnes. Il y eut des violences populaires, comme ces émeutes contre les temples dont se plaint amèrement Libanius, ou la triste échauirourée d’Alexandrie, dans laquelle périt la savante Hypatie. Mais l’histoire ne peut citer le nom d’un païen condamné à la mort ou à la confiscation de ses biens pour avoir conservé et continué de pratiquer sa religion. On a vu plus haut que,

dans l’aristocratie, tout à la fin du iv' siècle, le paganisme comptait encore des sectateurs. Ils exerçaient sans obstacle, en Orient aussi bien qu’en Occident, les plus hautes magistratures. Beaucoup d’entre eux professaient, en même temps que le culte des dieux romains, celui de Mithra, qui paraît avoir été le dernier boulevard de la religion païenne. « Les empereurs chrétiens, écrit M. Bouché-Leclercq (p. 260), le firent disparaître par les moyens qui n’avaient pas réussi à leurs prédécesseurs contre le christianisme. » On croirait, en lisant ces lignes, à une proscription en masse et aune répression sanglante des milhriastes. Il n’y eut rien de semblable. Un préfet de Rome, en 3^6, détruisit, sans en avoir reçu l’ordre, un sanctuaire de Mithra. Mais le culte de Mithra, avec celui de Cybèle, continua d'être librement exercé jusqu'à la lin du iv* siècle : des inscriptions conservent le souvenir de tauroboles offerts par de grands personnages romains sur le Vatican, à deux pas de labasilique élevée par Constantin en l’honneur de saint Pierre, jusqu’en 390.

J’avais le devoir de rétablir ici l’ordre des faits, que M. Bouché-Leclercq présente d’une façon un peu confuse. Une phrase, qui pourrait servir de conclusion à son exposé, mérite d'être citée. « En ce genre de conflit, dit-il, le nombre des victimes sacrifiées n’a qu’un intérêt secondaire » (p. 343). Beaucoup de ses lecteurs hésiteront à souscrire à un tel jugement. D’un côté l’absence complète de victimes, de l’autre un nombre de victimes impossible à évaluer, mais énorme, leur paraîtront devoir entrer en ligne de compte et faire une différence appréciable. J’ajouterai que le titre donné au chapitre qui vient d'être analysé ou complété manque de vérité autant que de justice. L' « intolérance religieuse » des empereurs du iv* siècle, dont plusieurs n'étaient pas orthodoxes, et se montrèrent parfois plus rigoureux envers l’Eglise qu’envers le paganisme, ne peut équitablement être appelée « le christianisme persécuteur « .Elle n’eut d’ailleursque peud’etTet sur l’issue certaine de la lutte. Les princes païens s'étaient acharnés sur un corps vivant, ou plutôt immortel. Les coups portés au paganisme par les successeurs de Constantin ne firent que hâter la fin d’un mourant.

V. Question de méthode. — Je viens d’examiner les idées ou plutôt l’idée générale du livre de M. BouchéLeclercq. J’ai volontairement laissé de côté les détails, dont la discussion aurait obligé à passer en revue toute l’histoire des persécutions. M. BouchéLeclercq la raconte d’une manière assez inégale. Il consacre quarante pages à rechercher les coupables de l’incendie de Rome en 64, et, à la suite de M. Carlo Pascal, sans tenir un compte sulfisant des études de nombreux érudits sur le même sujet, il conclut à la culpabilité de quelques chrétiens, tout en indiquant, avec une honnêteté de critique dont personne ne sera surpris, les raisons excellentes de les mettre hors de cause. Mais à la persécution de Dioctétien, qui dura près de quinze années, causa de véritables massacres, et fut attisée successivement par six édits, il accorde trois pages seulement. Sur le fondement juridique des persécutions, si discuté depuis les récentes théories de Mommskn, et à propos duquel un retour très marqué se l’ait, chez les érudits de toute opinion, vers l’idée traditionnelle d’un initial ut non sint christiani (Voir la récente étude de M. Callewakrt, La méthode dans la recherche de la base juridique des premières persécutions, 191 1 ; cf. ci-dessus, art. Martyhk, t. III, col. 346 sqq.), il ne dit rien, bien que la question soit d’une importance capitale pour l’histoire des persécutions aux deux premiers siècles, et que sans