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PRÉDESTINATION

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ment pour Cajetan, si l’on n’a égard qu’à la pensée de saint Thomas.

Saint Thomas parle de prédestination totale, depuis le premier appel de la grâce jusqu’à la consommation dans la gloire ; et il parle de réprobation seulement conséquente au péché de l’homme, la, q. a3, a. 3 : Sicut præde.stinalio incluait voluntatem conferendi gratiam et gloriam, ita reprobatio incluait volunlatem permitlendi aliquem caære in culpain, et inferendi damnationis poenam pro culpa. — Ibid., ad a m : Reprobatio vero non est causa eius ejuod est in præsenti, sr. culpæ ; sed est causa derelictionis a Deo. Est tamen causa eius quod redditur in futuro, se. poenæ aeternae. Sed culpa provenit ex libero arbitrio eius qui reprobatur et a gratia deseritur. ELsecundum hoc verificatur dictum prophetæ (Os., xni, 9) : Perditio tua, Israël, ex te. Le premier élément de la réprobation, c’est l’abandon de l’homme par Dieu. Mais cet abandon n’est rien de positif, et présuppose toujours quelque défection de l’homme. Non deserens nisi deseratur, dit saint Augustin.

a) Dans la mesure où il favorise la thèse de la prédestination antécédente, saint Thomas favorise aussi la thèse de la réprobation négative antécédente. Cette mesure nous paraît restreinte. Car saint Thomas s’abstient d’isoler, ainsi qu’on le fera après lui, le don de la gloire, comme objet d’une prédestination spéciale. Il considère l’objet total de la prédestination, à la fois selon l’ordre de l’intention, et ceci favorise la thèse de la prédestination antécédente ; et selon l’ordre de l’exécution, — et ceci favorise la thèse de la prédestination conséquente. Ceux-là nous paraissent bien entrer dans la pensée des saints docteurs qui, avec Bellarmin, associent intimement, dans leur exposition, les deux ordres.

Sur la justice divine envers les réprouvés, nous citerons encore Mgr Pbrriot, a586-7.

Sans les exclure de ses bienfaits, sans leur rien enlever de ce que leur assure sa volonté antécédente de les sauver, sans les soustraire à la salutaire influence de la rédemption, Dieu les laisse dans cette masse pécheresse : il n’a po’ircela aucun décret à porter. Mais, parce qu’ils sont pécheurs et demeurent dans leur péché, malgré les innombrables secours que leur procure la volonté antécédente qu’il a de les sauver, il décrète, par sa volonté conséquente, de leur infliger la juste peine de leur perversité. Ainsi le décret divin concernant les réprouvasse compose de deux parties. La première comprend la préparation des moyens à l’aide desquels ils pourront se sauver, et des grâces par lesquelles il les en sollicitera et les en pressera, de telle sorte qu’il soit bien évident que Dieu veut sérieusement les sauver et que, s’ils ne se sauvent pas, c’est leur mauvais vouloir seul qu’il faudra en accuser : cette première partie est toute de bonté ; elle est commune aux prédestinés et aux réprouvés. La seconde ne comprend que deux choses : l’une qui n’a pas même be-Hoin d’être spécialement voulue, c’est que Dieu les laisse dans leur péché sans leur préparer les secours spéciaux qu’il tient en réserve pour ses élus, mais qu’il ne doit à personne ; l’autre est le décret de la condamnation qu’ils auront volontairement et librement encourue par leurs péchés.

Ainsi, lorsque toute la prédestination est de Dieu et que tout est gratuit pour les élus dans le décret qui les appelle b la gloire, tout dans la réprobation est du réprouvé, sauf une seule chose, le châtiment, non pas décrété gratuitement et sans raison, mais justement décrété pour les péchés prévus. On voit, par la, combien il serait déraisonnable de parler de la réprobation comme de la prédestination et de se faire une arme contre la prédestination de ce qu’il y aurait de répugnant a appliquer à la réprobation les notions qui conviennent à la seule prédestination,

C. — Apologie de la bonté divine

Reste la bonté divine, qui permet la réprobation des pécheurs. L’objection prend une forme pressante si l’on emprunte les paroles pronciu-ées parle Sauveur lui-même au sujet de Judas (Afaft., xxvi, a4) : « Mieux vaudrait pour cet homme-là n’être pas venu au monde. » On peut l’appliquer, proportion gardée, à tous les réprouvés. Et la réalité même de la volonté salvilique se trouve mise en question, surtout pour certaines catégories d’hommes qui semblent exclues du salut éternel par une volonté divine absolue. Tels sont notainmentles enfants morts sansbaptême. Tels encore beaucoup d’adultes qui, n’étant jamais atteints par la prédication chrétienne, se voient fermer, par une ignorance invincible, l’accès de la foi et du salut. Sans parler du très grand nombre de ceux qui pourraient se sauver s’ils recevaient des grâces de choix, et ne reçoivent pas ces grâces.

a) Le cas des enfants morts sans baptême constitue l’objection la plus spécieuse contre l’universalité delà volonté salvilique. Le jansénisme ne devait pas manquer d’exploiter cette veine ; l’assimilation injurieuse établie par le synode de Pistoie entre certaine rêverie pélagienne et la croyance, de plus en plus autorisée dans l’Eglise, au limbe des enfants, donna au Saint-Siège occasion de se prononcer en faveur de cette croyance et par là de limiter la portée de l’objection tirée du sort des enfants morts sans baptême. La question nous entraînerait fort loin ; bornons-nous à recueillir ici les conclusions.

1) Il est certain que ces enfants n’ont aucun droit à l’héritage du royaume céleste, autrement dit à la vision de Dieu. L’enseignement de l’Eglise était ferme là-dessus dès le temps de saint Augustin ; catholiques et Pélagiens en convenaient également ; seulement les Pélagiens cherchaientà s’autoriser de Ioan., iv, a : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures », pour imaginer une zone inférieure du royaume des cieux, où ces enfants jouiraient de la vie éternelle, sans pourtant voir Dieu. Là-dessus, canon 3 (d’authenticité douteuse) des conciles de fililève (4 16) et de Carthage (4 18), voir D. B., 10a (66), note. Saint Augustin, Serm., ccxciv, P. /, ., XXXVIII, 1335-1348 ; De anima et eius origine, 111, ix, 12 ; xi, 15-17, / /.., XL1V, 516-5ao ; C. lulianum, III, iii, 8, P. /.., XLIV, job. Malgré quelques flottements purement accidentels (voir l’épitaphe du jeune Theudosius, citée dans ce dictionnaire, t. 1. col. 1 444)> l’enseignement de l’Eglise fut constamment maintenu : par Innocent III écrivant à l’archevêque d’Arles (laoi), D. B., 4’0 (340 ; P ar’e concile de Florence, pro Jacob itis (1440> D. B., 71a (603) ; par le concile de Trente, sess. v, can. 4, (1546), D. B., 791 (673) ; l’Eglise n’a pas encourage les tentatives faites à diverses reprises pour autoriser la thèse du salut des enfants ; notamment par Cajktan, /h p. III « iii, q. 68, art.i et 2, fondant l’espoir du salut sur le votum pareiltum [texte effacé de ses œuvres par ordre de S. PibV ; cf. là dessus, Billot, De sacramentis*, t. 1, p. 2Ô4a 55] ; par Bianciii, De remedio aeternæ salutis pro parvulis in utero clausis sine Baptismo morientibus, Venetiis, 1798 ; par Kler, h’athol. Dogmatik, t. 111, p. 158, Bonn, 1 835 ; par Caron, La vraie doctrine de l’Eglise sur le salut des hommes, Paris, 1 855 (mis à l’index) ; par Schell, Katholische Dogmatik, t. III, p. 479-480, Paderborn, 1893. L’échec deces multiples tentatives montre clairement la pensée de l’Eglise sur la nécessité du baptême pour le salut.

Peut-on néanmoins affirmer que, d’une volonté antécédente et conditionnée, Dieu veut le saint même de ces enfants, alors que manifestement il ne le veut pas d’une volonté conséquente et absolue ? On le peut avec probabilité, à condition d’assigner le terme (ou la condition) par rapport auquel on parle de volonté antécédente et conséquente. Ce terme ne peut être, comme dans le cas des adultes, le péché