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PRÉDESTINATION

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utilisant le concours que nous lui prêtons librement. A défaut de ce concours, elle ne saurait nous y mener. De même que la première condition pour vivre est de respirer, la première condition pour réaliser les lins de Dieu est de correspondre à l’action divine. Ainsi gardons-nous, sous l’opération salutaire de la grâce, la propriété de nos actes. Il dépend de nous de nous sauver par la grâce de Dieu ou de nous damner malgré elle.

Pas plus que l’action divine, la prescience divine n’est une chaîne pour la volonté créée. Une analogie lointaine peut éclairer, en quelque mesure, cette indépendance de la volonté créée au regard de la prescience divine qui la devance dans toutes ses voies. Il arrive souvent que, d’après la connaissance intime que nous avons de nosseinblables, nous pouvons prédire avec une réelle certitude la détermination que prendra librement telle personne, placée dans telles circonstances. La prédiction ne saurait, en aucune manière, influer sur la détermination, qui pourtant ne laissera pas de se produire à point nommé. De même et beaucoup plus, l’intelligence divine, qui connaît le fond de la créature, a-t-elle toutes les voies de la créature présentes et les domine d’une hauteur inûnie, sans peser aucunement sur elles.

L’objection tirée delà prescience divine, se résout plus facilement que l’objection tirée de l’action divine, par la simple distinction des plans où s’exerce l’une et l’autre. La nécessité qui lie l’activité de la créature à la prescience divine n’est pas une nécessité qui découle de l’action divine comme telle et s’exerce dans le plan physique ; c’est une nécessité d’ordre logique, fondée sur l’immutabilité de la science divine ; nécessitas non consequentis, sed consequentiae, selon l’expression de saint Thomas, De verit., q.xxiv, a.i ad 13 m. Voir Ia, q. 22, a. l ad 2 m : In hoc est immobiles et certus divinæ Providentiæ ordo, quod ea quæ ab ipso providentur cuncta éventant eo modo quo ipse providet ; sive necessaïio, sive contingenter. Et q. a3, a. 3 ad 3 m.

Ainsi en est-il, du premier au dernier pas de notre carrière.

Et ceci fournit une réponse décisive à l’objection toujours renaissante : Il ne dépend pas de moi d’être ou non du nombre des prédestinés. — Il est bien vrai que Dieu ne m’a pas consulté sur le choix de l’ordre de Providence où il lui a plu de m’introduire ; niais, dans cet ordre de Providence où il m’a introduit pour y faire mon salut, il m’a investi d’une réelle souveraineté. Sous l’impulsion de sa grâce, je m’oriente souverainement dans cette carrière terrestre qui constitue à mon regard un circuit fermé ; je ne saurais verser aux abîmes qu’en le voulant. Du seul point de vue de la justice, la Providence divine est couverte ; car, en fait, ma destinée prochaine, et donc aussi ma prédestination éternelle, est dans mes mains.

Le terme suprême que Dieu a marqué dans sa prescience, et vers lequel nous nous acheminons librement sans le connaître, sera la récompense de nos efforts persévérants vers le bien, à moins qu’il ne soit le châtiment de notre endurcissement dans le mal. Il n’a pas plu à Dieu de nous le révéler : loin de nous en plaindre, nous devons louer la sagesse par laquelle il nous maintient dans la nécessité de veiller toujours, d’autant que nous ignorons le jour et l’heure où Dieu bornera notre course terrestre, selon la leçon plusieurs fois inculquée dans L’Evan< gile (Mat., xxiv, 4 j ; xxv, 13, etc.). Si le dénouement nous était connu, c’est alors que nous serions exposés soit à spéculer sur l’assurance du salut, soit au c « traire à chercher dans des plaisirs défendus un

dédommagement tel quel contre la ruine en perspective. Au contraire, l’incertitude où nous sommes sur le fait de notre prédestination, nous engage à opérer notre salut avec crainte et tremblement, selon saint Paul (Pli il., ii, 12) ; à assurer notre vocation et notre élection, selon saint Pierre (II l’et., , 10).

b) Le fait de la liberté, et donc de la responsabilité humaine, étant reconnu, l’apologie de la justice divine s’établit sur un terrain ferme. Mais il faut examiner à part le cas de la prédestination et celui de la réprobation.

En ce qui concerne la prédestination, la tâche est facile, soit que l’on considère la prédestination comme un bloc, soit que l’on descende à l’analyse de son objet. Considérée comme un bloc, la prédestination est tout entière l’œuvre dubon plaisir divin, œuvre non pas tant de justice que de gratuite munilicence, puisque Dieu élève la créature raisonnable à une tin qui surpasse infiniment toutes les exigences et les aspirations de sa nature, et se propose de couronner en elle ses propres dons.

Dans l’objet de la prédestination, l’analyse découvre une corrélation entre la béatilicalion de la créature, fin voulue de Dieu, et les mérites, moyen voulu de Dieu en vue de cette fin. Et cette corrélation peut être envisagée d’un double point de vue. Pour qui s’attache à l’ordre de l’inleniion, la fin précède naturellement les moyens : c’est ce qui autorise à parler de prédestination à la gloire ante prævisa mérita. Pour qui s’attache à l’ordre de l’exécution, les moyens précèdent la fin : c’est ce qui autorise à parler de prédestination à la gloire post prævisa mérita, ou, comme dit saint Thomas, ex meritis. Ces deux points de vue partiels, pour être distincts, n’en sont pas moins complémentaires. Mais qu’on les réunisse, on devra nier l’influence des mérites sur l’œuvre totale de la prédestination. C’est ce que fait, après saint Augustin, saint Thomas, I a, q. a3, a. 5.

Ejfectum prædestinationis considerare possumus dupliciter. Vno modo in particulari ; et sic nihil proliibet aliquem effectum prædestinationis esse causant et rationem alterins : posteriorem quidem prioris, secundum rationem causæ final 1 s ; priaient vero poslerioris, secundum rationem causæ meritoriae, quæ reducitttr ad dispositionem mat rat- ; sicutsi dicamus quod Deus præordmavit se datarum alicui gloriam ex meritis, etquad præordinavit se dalurum alicui gratiam ut mereret tr gloriam. Alto modo potest considerari prædestinationis effectua in communi. Et sic impossibile est quod lotus prædestinationis effectifs in communi habeat aliquam causant ex parte nostru…

La gratuité de la prédestination totale étant reconnue d’un commun accord par les docteurs catholiques, ils se partagent sur la prédestination restreinte à la gloire. Et les théologiens qui s’attachent de préférence à l’ordre de l’intention se prononcent souvent pour la prédestination à la gloire ante prævisa mérita. Ceux qui s’attachent de préférence à l’ordre de l’exécution se prononcent pour la prédestination à la gloire post prævisa mérita. Ces deux ordres ne sont nullement inconciliables, et l’on vient de voir saint Thomas les réunir, en spécifiant que l’ordre de la cause finale (c’est-à-dire 1 ordre d’intention ) et l’ordre de la cause méritoire (ou matérielle

— c’est l’ordre d’exécution) répondent à deux considérations inverses d’un même objet. La distinction de ces deux ordres, dans l’objet du décret de prédestination, est classique en théologie. On l’a rencontrée ci-dessus chez Bellarmin et Suarez par exemple. Nous la retrouvons chez l’auteur anonyme du traité De ordinc deque priori et posteriori (CI Tiphainb, S. J., j- 164 1), publié à Reims en iG^i, c. xlvi, p. 20, 7 :