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PRÉDESTINATION

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La sagesse de Dieu ne permet pas de croire que la puissance de Dieu se laisse mettre en échec par la mauvaise volonté de l’homme.

La justice de Dieu ne permet pas de croire que Dieu condamne des innocents, ni qu’il laisse le mérite sans récompense.

La bonté de Dieu ne permet pas de croire que Dieu crée l’homme pour son malheur.

Sur ces trois points, la doctrine catholique apporte des réponses qui, si elles ne suppriment pas le mystère, du moins écartent le scandale.

A. Elle rend hommage à la sagesse de Dieu en affirmant l’efficacité souveraine du gouvernement de la Providence.

B. — Elle rend hommage à la justice de Dieu en affirmant, d’une part le dogme de la liberté humaine, d’autre part les sanctions de l’autre vie.

C. Elle rend hommage à la bonté de Dieu en affirmant l’universalité de la volonté salvifique antécédente et présentant la réprobation conséquente comme un pur châtiment, imputable à la faute de l’homme.

A. — Apologie de la sagesse divine

La sagesse divine atteint ses fins, par l’efficacité souveraine du gouvernement de la Providence. L’ellicacité souveraine du gouvernement de la Providence est un dogme de la foi catholique, dogme dont on a vu en saint Augustin l’expression particulièrement énergique, en ce qui concerne la direction de la créature raisonnable vers sa un surnaturelle.

Toutes les écoles catholiques s’accordent à reconnaître que rien n’arrive ici-bas sans une volonté de Dieu, volonté positive ou du moins permissive. Volonté positive quant au bien surnaturel auquel Dieu meut la créature par sa grâce. Volonté permissive quant au mal moral auquel la créature peut se porter en déclinant l’impulsion supérieure de la grâce. Quant au mal physique, il peut être ici-bas un châtiment temporel — ainsi les suites du péché originel. Il peut encore être une épreuve salutaire, en vue du bien surnaturel de l’homme.

Toutes les écoles catholiques s’accordent encore à reconnaître que Dieu n’est pas à court de moyens pour fléchir la volonté de l’homme. Mais il répugne à sa Providence universelle d’intervenir, dans l’ordre de la création, par deperpétuelscoups d’état ; c’est pourquoi il laisse les causes secondes à leur jeu normal, sans préjudice des opérations de grâce par lesquelles il les incline au bien surnaturel sans les violenter, et aussi des interventions extraordinaires par lesquelles, de loin en loin, il affirme son souverain domaine.

La volonté créée, qui se dérobe aux sollicitations de la grâce et s’écarte de sa On, ne déserte l’ordre de la grâce divine que pour retomber sous l’ordre de la justice vindicative. Et ainsi l’ordre total de la Providence divine n’est jamais frustré, puisque les écarts même de la créature concourent en définitive au resplendissement des perfections divines, au resplendissement de la justice, à défaut du resplendissement delà bonté. Parler d’un fiasco dans l’œuvre divine, serait le fait d’un rationalisme borné — sinon d’une ignorance voulue.

B. — Apologie de la justice divine

La justice de Dieu se manifeste, dans l’œuvre de la prédestination, par le rôle qu’elle assigne au libre arbitre de l’homme, artisan responsable de sa destinée surnaturelle, et par la fidélité de Dieu à ses promesses.

a) Dans la prédestination divine, toute initiative salutaire appartient à la grâce ; mais cette initiative atteint ses fins parla libre correspondance de l’homme aux invitations de la grâce. La doctrine catholique n’autorise aucune conclusion fataliste ou déterministe.

Par fatalisme, on entend une doctrine qui fait tout plier sous l’empire d’une nécessité inéluctable, émanée de la Cause première. Par déterminisme (voir ce mot), on entend particulièrement une doctrine qui explique par l’engrenage aveugle des causes secondes tout effet venant à se produire dans l’univers.

La doctrine catholique ne suggère rien de tel. Soit que l’on considère l’action divine, soit que l’on considère laprescience divine, on n’y trouvera pas trace d’attentat à la liberté de l’homme.

L’action divine respecte la nature des êtres qu’elle a créés. Si le mode d’activité qu’elle leur a départi comporte une part d’initiative, l’action divine consacre cette initiative. C’est ce qu’affirme saint Thomas, toutes les fois qu’il se demande : Utnim volunlas Dei sit causa rerum. — Utrum voluntas Dei necessitatem rébus volitis importât.

I a, q. 19, art. 4 * Secundurn hoc effectus procedunt a causa agente secundurn quod præexistunt in ea ; quia omne agens agit sibi simile. Præexistunt autem effectus in causa secundurn modum causae. Unde, cum esse dis’inum sit ipsum eius intelligere, præexistunt in eo effectus eius secundurn modum intelligibilem ; et per modum intelligibilem procédant ab eo, et sic, per consequens, per modum voluntatis. — Ib., art. 8 : Cum voluntas divina sit efficacissima, non solum sequitur quod fiant ea quae Deus vult fieri, sed et quod eo modo fiant quo Deus ea fîerivult. Vult autem quædam fieri Deus necessario, quædam contingenter ; ut sit ordo in rébus, ad complementum universi. Et ideo quibusdam effectibus aptavit causas necessarias quæ deficere non possunt, ex quibus effectus de necessitale proveniunt ; quibusdam autem aptavit causas contingentes defectibiles, ex quibus effectus contingenter eveniunt.

Le dogme de la prédestination n’autorise donc nullement un raisonnement comme celui-ci : Si je suis du nombre des prédestinés, Dieu me conduira sûrement au terme du salut. Si je n’en suis pas, mes efforts ne sauraient prévaloir contre ma destinée. Donc inutile de m’en mettre en peine. — Raisonnement fataliste. Il ne serait pas plus déraisonnable de dire : Si je dois me briser la tête contre le sol. rien ne saurait mepréserver d’un tel accident ; sinon, un tel accident ne saurait m’atteindre. Donc peu importe que je me jette ou non par la fenêtre de mon cinquième étage.

Le dogme de la prédestination n’autorise pas davantage un raisonnement comme celui-ci : Le réseau des secours divins que Dieu me destine est fixé de toute éternité, avec l’efficacité propre à chacun. Je ne puis ni les devancer ni m’y soustraire. — Raisonnement déterministe. Il ne serait pas plus déraisonnable de dire : L’équilibre de ma santé dépend des conditions atmosphériques, et ma fortune dépend des circonstances économiques. Donc je puis me désintéresser, soit de la conservation de ma santé, soit de la gestion de ma fortune.

Un raisonnement dont l’absurdité saute aux yeux s’il se rapporte à un objet sensible et proche de nous, ne cesse pas d’être absurde, pour se rapporter à un terme invisible et plus ou moins éloigné. Le fait que l’action divine nous domine de très haut ne nous dispense pas de nous conduire sous elle. Si quelques esprits ne sont pas frappés de cette parité, la faute n’en est pas au dogme de la prédestination.

L’action divine nous enveloppe à la façon de l’air que nous respirons. Et elle nous mène à ses fins en

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