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PERSECUTIONS

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de loi et de convenance 1. Il est vrai que l’Eglise, dès ce temps-là, n’aimait pas le mariage entre les gensde religion différente : elle y voyait des inconvénients pour la paix des consciences et pour la paix des ménages : l’expérience nous montre qu’il n’en est pas autrement même de nos jours. Mais M. BouchéLeclercq ne se trompe-t-il pas en disant que l’Eglise primitive considérait < un pareil mariage comme annulé par la conversion de l’un des époux » (p. a84), c’est-à-dire, car la phrase est un peu énigmatique, considérait le mariage de deux païens comme annulé par la conversion de l’un d’eux au christianisme ? Saint Paul dit précisément le contraire : il prévoit le cas où l'époux païen se séparera de l'époux devenu chrétien ; mais il prévoit aussi le cas où l'époux païen voudra continuer la vie commune avec l'époux devenu chrétien, et, loin de prononcer la rupture de leur union, il déclare que celuici sera sanctilié par celui-là, sanctificatus est vir infidelis per militèrent jidelem(VCor., vii, ia-15). Les exemples sont nombreux de ces ménages mixtes : jusqu’aux premières années du v* siècle, on rencontre, surtout dans l’aristocratie, des familles composées de membres païens et chrétiens : l’un des derniers tenants du paganisme, le pontife Albinus, avait une épouse chrétienne, particulièrement estimée de saint Jérôme et de saint Augustin. (Voir Kamfolla, à'. Melania Gittniore, p. 13^) Une semblable tolérance, cent ans après le triomphe politique du christianisme, montre assez qu'à aucune époque il ne fut un élément désorganisateur delà famille romaine.

III. La paix publique. — Il me paraît résulter de tout cela que la « raison d’Etat » n’imposait nullement la proscription des chrétiens. Ils ne faisaient courir aucun danger à l’Empire, ils soutenaient même, par la forte constitution de leurs familles, les mœurs chancelantes, et, tout bien considéré, ils étaient plutôt, pour la chose romaine, un secours et un appui qu’un péril. M. Bouché-Leclercq le reconnaît lui-même implicitement, au risque de se contredire, quand il écrit : « Avecunpeu de bonne volonté de part et d’autre, on eût pu s’entendre » (p. 287). Les protestations et les avances des apologistes montrent que ce n'était pas de la part des chrétiens que manquait la « bonne volonté ». Elle ne manqua même pas toujours de la part de l’autorité romaine, puisque la persécution ne fut pas continue, et qu’il y eut de longuespériodes de temps pendant lesquelles elle laissa respirer les chrétiens. On « s’entendit » alors, et l’entente fut parfois de longue durée. M. Bouché-Leclercq parle de « suspension d’hostilités voulue par les empereurs » (p. a38), ce qui indique qu'à ces époques de trêve on avait cessé de voir dans les chrétiens des ennemis. Il dit que les réveils de persécution, dont la cause était « généralement un désastre éprouvé à la fron 1, Sur le sujet du mariage, M. Bouché- Lecleicq a fait une méprise bien amusante. Il prétend montrer que l’Evangile n’est point contraire à la polvgumic. « Jésus, dit-il (p. 338), n’a cru scandaliser personne en racontant la parabole des dix vierges qui attendent la venue dl’Epoux, et en louant celles qui furent assez vigilantes pour ne pas manquer l’occasion de devenir ses femmes légitimes. » Si le savant auteur avait relu l’Evangile, il aurait vu (Matth., xxv, 1-13) qu’il s’agit ici des vierges faisant partie du cortège nuptiul, qui attendent la venue de l'époux pour lui faire escorte et prendre part au festin. Celles qui étaient sortie*, et qui en rentrant trouvèrent la porte fermée, manquèrent le festin des noces, mais non (> l’occasion de devenir ses femmes légitimes ». Le yuu « (6$ de la parabole n’est nullement l’extraordinaire polygame, capable d'épouser dix femmes à la fois, qu’a rêvé M. Bouché-Leclercq.

liera ou une calamité intérieure », qui avaient » soulevé les clameurs de la populace contre les contempteurs des anciens dieux », étaient a importuns au pouvoir » (p. 3 10). Celui-ci, de l’aveu de mon savant contradicteur, se reprenait donc à persécuter, non pour suivre une politique raisonnée, mais en cédant malgré lui à la pression superstitieuse de la foule et aux cris des fanatiques. M. Bouché-Leclercq ajoute que quand, après de longs intervalles de tranquillité, « une reprise soudaine des poursuites rompait cet accord tacite », c'étaient « maintenant les empereurs qui semblaient conspirer contre la paix publique » (p. 3n). La « paix publique » non seulement possible, mais assurée, pendant que l’on ne persécute pas les chrétiens, et troublée de nouveau quand un accès de superstition populaire ou une initiative mauvaise des empereurs réveille la persécution : je n’ai jamais dit autre chose.

M. Bouché-Leclercq écrit encore cette phrase : « Justifiée et raisonnée à l’origine, contre de petits groupes de sectaires réputés insociables, la persécution se fait injuste et impolitique, exercée contre des masses compactes, au nom de principes affirmés un jour et abandonnés le lendemain… Elle n’avait plus d’autre effet que d’arrêter la fusion commencée… » (p. 3n). J’avoue que je ne comprends plus. Comment la persécution était-elle « justifiée et raisonnée » quand elle s’attaquait à de « petits groupes », et devint-elle « injuste et impolitique » dès qu’elle se heurta à « des masses compactes » ? Comment les « petits groupes » étaient-ils « insociables », ou plutôt « réputés insociables », et comment, dans « les masses compactes », la « fusion » avec l’Empire se faisait-elle ? Probablement parce que, à mesure que s’accroissait la population chrétienne, et que, plus nombreuse, elle était mieux connue, on s’apercevait qu’elle n'était et n’avait jamais été d’une autre sorte que le reste de la population de l’Empire, et qu’elle ne constituait, en aucune façon, un élément réfractaire. Mais alors, quelle excuse, même apparente, eurent les dernières persécutions ?

Ce qui est clair, c’est qu'à aucune époque la persécution ne fut imposée par « la raison d’Etal », puisque « l’entente » était possible, puisque « l’accord » exista toutes les fois que les empereurs le voulurent bien, puisque « la fusion » s’accomplissait, et puisque, en déiinitive — suivant une statistique que j’ai faite naguère, et qui n’a pas été contestée — de Néron à Constantin l’Eglise fut l’objet des rigueurs du pouvoir impérial pendant cent vingt-neuf ans, et laissée par lui en repos pendant cent vingt autres années (Histoire des persécutions, t. I, 4* éd., 1 911, p. ii-iv). En deux siècles et demi, cent vingt années durant lesquelles se tut « la raison d’Etat » et durant lesquelles les chrétiens cessèrent de paraître un danger public !

Ai-je eu tort d'écrire, comme M. Bouché-Leclercq me le reproche dans sa préface, qu’il y eut à la base des persécutions beaucoup plus de passion, d’erreur, de superstition, de fanatisme, que de nécessité politique, que la prétendue incompatibilité entre le christianisme et les institutions romaines est une invention des modernes, et que « c’est en bas, dans les régions inférieures de la pensée, dans les ténébreux replis du cœur humain, que se formèrent les orages dont l’Eglise fut tantde fois enveloppée » ? — (Pour un exposé plus complet de la question, je renverrai à l’article Martyrs, ch. ii, p. 342-375.)

IV. l.e christianisme persécuteur ? — Le lecteur jugera, comme il jugera aussi le plus ou moins d’exactitude de ce titre mis à l’un des derniers chapitres du livre de M. Bouché-Leclercq : l.e Christianisme persécuteur.