Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/113

Cette page n’a pas encore été corrigée

213

PREDESTINATION

214

La prescience, signalée par l’Apôtre comme préliminaire de la prédestination, disparait peu à peu de la perspective d’Augustin. Il s’attache à la considération d’une autre prescience, qui procède de la prédestination, ou se confond avec elle. La prescience pure a pour objet les démarches de la créature contraires à la volonté de Dieu.

La prédestination à la grâce, objet immédiat de la considération de l’Apôtre, n’est plus qu’un moment dans la série des bienfaits divins envisagés par Augustin. Au contraire, la prédestination à la gloire, qui apparaissait seulement dans le prolongement de la pensée de l’Apôtre, vient chez Augustin au premier plan.

L’appel divin est supposé absolument efficace, non plus seulement pour la foi, mais aussi pour la gloire, par Augustin qui s’occupe des seuls élus.

La justification est, chez Augustin, supposée acquise à titre définitif, ou du moins destinée à être reconquise avant la mort, à litre définitif.

La gloire est, chez Augustin, supposée garantie, non plus seulement par une volonté divine antécédente et conditionnée, mais par une sentence absolue de prédestination.

D’ailleurs tous les éléments mis en œuvre patsaint Augustin existaient, à l’état diffus, dans l’œuvre de saint Paul. Augustin les groupe artificiellement dans la perspective d’un même texte (Rom., vin, a8-30), qui tendait, de fait, à un but quelque peu différent. En cela consiste son originalité.

Pour apprécier correctement la position d’Augustin dans la question de la Prédestination, il faut nécessairement se souvenir de l’aspect particulier par où il l’aborde : il s’agit pour lui de revendiquer, contre une hérésie naturaliste, la souveraine indépendance de la grâce divine. Il écrit, Prued. SS., xxi, 3/J, P. L., XLV, 1027 : Prædestinatio præd-.canda est, ut possit vera Dei gralia, h. e. quæ non secundum mérita nostra datur, insuperabili munitione defendi. On ne cherchera point ailleurs la raison d’une lacune très apparente de sa doctrine, relative à l’universalité du pouvoir salvifique en Dieu. En 400, cette universalité a trouvé une expression non équivoque dans De calechiz. nid., xxvi, 5a, P. L., XL, 345 : A quo interitu, h. e. poenis sempiternis, Deus misericors volens homines liherare, si ipsi sibi non sinl inimici et non résistant misericordiæ Creatoris sui, misit unigenitum Filium suum, h.e. Verbum suum aequale sibi…, ut…, deletis omnibus peccatis præteritis, credentes in eum omnes in vitam aeternam ingrederentur. Sur l’exégèse du texte fameux de saint Paul, I Tim., 11, 4, Augustin a beaucoup oscillé. Encore au commencement de la controverse pélagienne, en 4 12,’écrit, dans De spir. et litt., xxxiii, 58, P. L., XLIV, a33 : Vult autem Deus omnes homines salvos fieri et in agnitionem veritatis venire ; non sic tamen ut eis adimat liberum arbitrium. — En 4 2 1. il propose concurremment deux explications : A) Dieu veut le salut de tous les hommes, en ce sens que nul ne se sauve que par sa volonté, Enchiridion, ciii, *), P. /-., XL, 280 et Contra litlianuin, IV, viii, 42-441 P. L., XLIV, 759-760 ; B) Dieu veut sauver des hommes de toute catégorie, Enchir., ibid. — A partir de 4<>ô, sans rétracter ses exégèses précédentes (voir Dr corr. et grut., xiv, 44, P. t-, XLIV, 943), il insiste particulièrement sur l’exégèse A) : Ep., ccxvii, 6, 19, /--. /.., XXXUI, 985-986 ; Præd. SS., viii, 14, P. L, XLIV, 971, ou sur B) : De corr. et %r., 1. c. Il en ajoute même une nouvelle : Dieu veut le salut de tous les hommes, en ce sens qu’il en inspire le désir à ses saints, CÎ9. Dei, XXII, 11, a, P. /.., XLI, 753. Ces variations montrent que, pour faire front devant l’hérésie, peu à peu il évacue le terrain de la volonté

divine conditionnelle, qu’il occupait encore en 4 12, pour se fixer sur le terrain de la volonté divine absolue, qui est celui du décret de prédestination.

Tel n’est pas l’avis de Jansi’: nius. A l’en croire, l’interprétation de I lïm., ii, 4, consignée en 400 clans le De cateebizandis rudibus, rééditée en 412 dans le De spiritu et littera, se confondrait avec l’erreur semipélagienne, dont Augustin se détacha vers la fin de sa vie, et devrait être tenue pour condamnée par son propre et définitif suffrage. Augustinus, t. III, De gratia Christi, 1. III, c. xi, p. 15^ sqq., Bouen, 165a.

Jansénius oublie qu’Augustin n’avait pas attendu 41a ni même 400 pour désavouer cette erreur de sa jeunesse ; il avait rompu avec elle dès le temps des livres Ad Simplicianurn, c’est-à-dire dès 397, d’après les témoignagesde De præd. SS. etdeZ>e dono pers., que nous avons cités. Mais surtout Jansénius n’a pas su voir que les conditions particulières de la controverse pélagienne amenèrent Augustin à laisser en dehors de son horizon toute une partie du genre humain et à s’occuper des seuls prédestinés, quand il commente le texte de saint Paul. En effet, les Pélagiens ne niaient pas seulement la nécessité de la grâce pour le salut ; ils niaient encore la puissance de la grâce pour fléchir la volonté humaine. Contre la première erreur, Augustin devait se borner à mettre en lumière l’indigence de la nature. Contre la deuxième erreur, il devait se borner à mettre en lumière la puissance efficace de la grâce pour le salut. Dans la poursuite de ce double but, il néglige volontiers la condition misérable des âmes qui, par leur infidélité, se soustraient aux sollicitations de la grâce, et il insiste très fort sur l’efficacité victorieuse des grâces que Dieu dispense à ses prédestinés. Dans ces développements, les non prédestinés sont pour lui comme n’existant pas, et il ne faut pas chercher ailleurs la raison d’un silence qui n’est pas un désaveu de son exégèse antérieure. Augustin n’a jamais oublié que l’homme peut, par sa faute, déchoir de la grâce. Voir, à ce propos, Du San, Tractatus de Deo uno, t. II. c. iv, p. 35-54, Louvain, 1897.

L’évolution réelle, aocomplie par Augustin adversaire du pélagianisme, n’est pas une rétractation de sa doctrine sur la grâce : c’est un changement de front, pour faire face à un nouveau danger. Pour ressaisir l’unité de plan, il n’est que de se placer au point de vue que ramenait le même traité, point de vue qui désormais commande tout : celui d’une prédestination de fait, d’une persévérance de fait.

Dedon.persev., i, 10, P. L., XLV, 999 : Deilla perseverantia loquimur qua perseveratur usque in finem : quæ si data est, perseveratum est usque in finem ; si autem non est perseveratum usque in finem, nonest data… Non itaque dicant homines perseveraniiam cuiquam datam usque in finem, nisi cum ipse venait finis et persévérasse, cui data est, repertus sit usque in finem. Dicimus… perseveraniiam usque in finem, quoniam non habet quisquam nisi qui persévérât usque in finem ; multi eam possunt habere, nullus amiltere. Neque enim metuenduin est ne forte, cum perseveraverit homo usque in finem, aliqua in eo mata voluntas oriatur ne perseveret usque m finem. Hoc ergoDei donum suppliciter emereri potest ; sed cum datum fuerit, amilti contumaciter non potest. Cumenim perseveraverit usque in finem, neque hoc donum potest amittere née alia quæ poterat ante finem.Quomodo igitur potest amilti, per quod fit ut nonamittatur etiam quod possetamitti ?

Du point de vue de la prédestination de fait, la prescience divine antécédente au décret de prédestination s’éclipse, et une autre prescience divine, celle-ci conséquente au décret de prédestination,