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PRÉCOLOMBIENS (AMÉRICAINS)

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Au bord du plateau de Bogota, dans le pays de Tunja (état de Boyaca), chez les Cunas du Dabaibe (vallée de l’Alrato), ailleurs encore, on constate l’existence de traditions dont le héros est parfois Bochica lui-même, parfois un être qui, sous un nom différent, joue un rôle civilisateur analogue. On y constate également, et aussi jusque chez les Caraques du Manabi (littoral de 1 Ecuador), l’usage de sacrifices humains, plus ou moins fréquents, plus ou moins importants (non seulement de prisonnfers de guerre, mais de femmes et d’enfants chez les Garaques ) et parfois même la pratique de l’anthropophagie rituelle (chez les Cunas). On y signale enfin l’existence d’une caste sacerdotale dont certains représentants à tout le moins étaient des devins, et l’érection de quelques temples : celui de Guaca (Etat de Santander) dans le pays des Cunas, celui de la petite île de la Plata, non loin de la ville de Mania, chez les Caraques du Manabi.

5. Les peuples db l’ancien Pérou. — Les territoires occupés par les plus méridionaux des peuples de langue chibcha continaient aux plus septentrionaux des pays habités par des populations d’un type très différent, par les Andins du savant Alcide d’Orbigny. Comme celles dont il vient d’être question et davantageencore, ces populations méritent à plusd’un titre d’être qualiliées de « civilisées » ; leur organisation politique et sociale, cette culture matérielle, et ce développement artistique qu’attestent des documents archéologiques très nombreux et très variés, tout légitime cette expression. Sans doute ne doit-on pas tenir pour civilisés tous les peuples qui vivaient, à la veille de la conquête espagnole, sous la domination plus ou moins réelle des Incas du Pérou, sur les hauts-plateaux des Andes, depuis la Ligne équinoxiale jusqu’à l’extrémité méridionale des hautes terres boliviennes. Mais du moins les dominateurs l’ont-ils été ; parfois même, ils ont, semblet-il, assis leur autorité sur des populations (Yuncas du Gran Chimu, au Nord de Lima ; gens d’Ica et de Nazca sur la côte Sud du Pérou ; Aymarras ou Collas de la Bolivie, à Tiahuanaco, etc.) dont les fouilles attestent le réel développement matériel. Cela suffit pour que toute la contrée puisse être tenue pour parée d’un véritable vernis de civilisation.

Un progrès matériel si manifeste a-t il pour pendant un progrès des croyances ? Pour nous en rendre comple, examinons ce que les textes les plus dignes de foi racontent des mythes et du culte des populations de l’ancien Pérou.

Partout apparaît à l’origine un héros éducateur et civilisateur, correspondant au Quetzalcoatl des Mexicains et au Bochica des Chibchas. Que ce héros s’appelle Viracocha, comme le veut Cibza de Léon, ou Manco Capac, comme l’affirme Garcilasso de la Vbga, peu importe ici ; peu importe, de même, qu’on doive tenir ou non pour avérée l’existence de ces deux personnages légendaires, dont l’un, Viracocha ou Huiracocha, aurait été le héros civilisateur des Quichuas des environs de Cuzco et serait demeuré celui des tribus du Nord et de la côte du Pérou, tandis que l’autre, Manco Capac, se serait substitué à Huiracocha parmi les Quichuas de Cuzco, après leur soumission parles Aymaras que dirigeait le clan des Incas. Il importe davantage de constater que Manco Capac fut envoyé sur la terre par le soleil, dont il était le fils, pour apporter aux hommes les lois et la civilisation. Si donc, par lasuite, ce messager divin a établi le culte du soleil chez les peuples qu’il avait éduqués et civilisés, on ne peut nullement s’en étonner.

Voilà effectivement ce qu’a fait Manco Capac. Au culte purement totémique pratiqué d’abord sur la

plus large échelle par les Quichuas (à en croire un auteur très digne de foi, Garcilasso delà Vbga), les Incas, instruits par le fils du soleil, ont superposé, sinon complètement substitué, un culte nouveau, stellaire, ou même plutôt encore solaire. En effet, Inti ou Apu Punchau, le « chef du jour » et sa femme Quilla, la lune, — mais celle-ci subordonnée nettement à celui-là — constituaient le couple central d’un panthéon dans lequel les autres astres faisaient cortège au Soleil et à la Lune, formaient leur cour et tenaient le rôle de dieux secondaires. De même en était-il des constellations, de la terre-mère et du feu. Il y avait, parmi ces divinités, une hiérarchie semblable à celle qui existait dans le clan inca, et voici qui ajoute encore à la ressemblance : l’anthropomorphisme de toutes les divinités. Audessousd’elles, on connaltl’existencede dieux domestiques ou Conopas, dont on ne sait guère que le nom, et celle d’innombrables huacas ou esprits.

Les divinités anthropomorphiques dont il vient d être question n’étaient pas les seules que révérassent les Aymaras. A ces dieux populaires s’en opposaient d’autres, d’un caractère plus spirituel et plus abstrait, dont Pachacamac est le plus connu. On discute beaucoup sur le cas de cet être suprême, de ce dieu invisible, créateur du monde, source de vie pour les hommes et pour les autres créatures, qu’il était interdit de représenter sous aucune forme. On se demande si ce descendant des Incas et ce converti qu’était Garcilassode la Vega, n’a pas donné, inconsciemment, à Pachacamac une physionomie trop européenne et trop chrétienne à la fois ; on se demande encore si le célèbre temple de Pachacamac, ce lieu de pèlerinage des Yuncas, n’est pas à l’origine du dieu homonyme. Quoi qu’il en soit, que l’on accepte l’existence du dieu Pachacamac ou non, force est bien de constater que cette divinité immatérielle n’est pas la seule dont on connaisse l’existence chez les peuples du Pérou ; de même nature encore était Huiracocha, introduit sans doute par les Incas vainqueurs du panthéon des Aymaras ou Collas dans le leur propre ; de même en était-il pour un dieu Cum, dont la personnalité est assez pâle.

Seuls, les plus cultivés des Péruano-Boliviens vénéraient ces dieux et leur rendaient un culte mystique ; tel sans doute, ce Tupac- Yupanguiqui.au xve iiècle, aurait déduit de la course uniforme du soleil que celui-ci n’était pas vraiment libre et qu’une puissance supérieure devait contraindre « notre père le soleil » à toujours suivre une même route rigoureusement déterminée. Au contraire, tous adoraient les divinités de la religion solaire, qui habitaient au-dessus de la terre dans quatre cieux superposés dont le supérieur élait celui du « Grand Dieu ».

C’est sous la direction et sous le contrôle de prêtres que se faisaient les différentes cérémonies du culte rendu à ces divinités. Les prêtres étaient, comme les dieux, très hiérarchisés. Au plus bas rang de l’échelle se trouvaient les serviteurs des temples ou prêlres assistants (devins ou sorciers, humus, et aides sacrificateurs). Les hacuc ou oracles et commentateurs des oracles et les hamurpa, augures et devins, d’autres encore, venaient immédiatement au-dessus des précédents. Plus haut, on rencontrait les huillac ou amautas, les prêtres supérieurs. Ceux-ci, qui appartenaient au clan des Incas, avaient à leur tète un grand prêtre nommé à vie, le Huillac f/umu, lequel s’entretenait avec la divinité, en communiquait les volontés au peuple, et veillait à la stricte observance des rites, comme au maintien du culte dans toute sa pureté, avec l’aide de collaborateurs choisis parmi les huillac. En marge de ce cierge vivaient des moines, les huancaquilll qui, enfermes dans des