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PENSÉE (LA LIBRE)

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tyrannie qui, en sou nom, prétendrait nous imposer une tliéorie de l’absolu. »

Bbkthblot (p. 26) : « Cependant conservons toujours la sérénité bienveillante ipii convient à notre amour sincère de la justice et de la vérité, l.a voix d<^ la science n’est ni une voix de violents, ni une voix de doctrinaires absolus. Quel » qu’aient été les crimes de la théocratie, nous ne saurions méconnu i Ire les bienfaits que la culture chrétienne a répandus autrefois sur le monde… Il serait contraire à nos principesd’opprimer à notre tour nos anciens oppresseurs, s’ils se bornent à demeurer lidèles à des opinions d’autrefois, sans vouloir les imposer… Certes nous n avons pas les prétentions du prophète descendu du Sinaï pour exterminer ses ennemis et promulguer un nouveau Déealogue. »

M. SÉAiLLBS disait dans sa lettre au Conférés de Genève de 1902 : « Que ceux qui ont le i ; oùt de la (iropagande mettent en avant des raisons, et non des apostrophes et des injures. »

Le ai sept. 1904, Demblon disait : « Citoyens, il ne faut pas qu’au moment où le monde a les yeux lixés sur nous, au moment où nous délibérons dans la ville des papes, nous nous amoindrissions en manquant de tolérance les uns à l’égard des autres… Il ne faut pas que demain on puisse dire que nous, qui avons toujours lutté contre la persécution, nous sommes désireux de devenir à notre tour des persécuteurs. »

Mais la logique de l’erreur triomphe de ces protestations isolées, et le Compte rendu oUiciel de Rome insère l’exposition du Monisme en trente thèses, dont la 25 » prône la religion moniste. La Libre Pensée est ainsi une religion nouvelle, avec des dogmes décidés, comme dans un concile, à la majorité des voix. Quel sera le devoir de la minorité, si elle prétend rester libre ?

La Libre Pensée est généralement plus populaire que la Franc-maçonnerie et n’exige pas de cotisation aussi élevée ; cependant les deux organisations sont étroitement liées par une certaine communauté de but poursuivi. Pour choisir parmi les preuves, qui surabondent, il suflit de citer le /liilletin du Grand Orient (18ga, p. 3aa), qui montre que l’Assemblée générale duG. 0. de 18ga a adopté l’adhésion des loges de la Fédération aux f>roupes de la Lthre Pensée et la création jiar les Loges de groupes de la I ibre Pensée. A la page 490 du même Bulletin, il est dit que « Les Loges du Grand Orient de France sont invitées à encourager et favoriser le développement des Sociétés de la Libre Pensée, qui complètent et clendent l’action de la Maçonnerie dans sa lutte contre le cléricalisme ".

L’attitude de la Libre Pensée a donc nettement ilisgénéré ; c’était d’abord un mouvement de défense individuelle pour protéger sa vie intellectuelle contre une ambiance doctrinale jugée dangereuse, elle est devenue une entreprise de conquête audacieuse des eiprits populaires au profit de certains politiciens.

C’est contre les organisateurs de Congrès de la Libre Pensée que Brunetiére énonçait ces propos énergiijues : « C’est à nous de montrer qu’il n’y a pas lie pensée plus esc lave que la leur, du plus inintelligent fanatisme et des préjugés les plus vulgaires. C’est à nous de montrer que le dogme ne contraint ni ne gène en rien la liberté de la pensée, à moins que ce ne soit en matière de dogmatique, ce qui est sans doute assez naturel ; et c’est à nous de montrer que la liberté de penser, telle qu’ils l’entendent et qu’ils la pratiquent, n’est ([u’un contre-dogmatisme sans substance ni fondement, v (Discours de combat, l. III, /, « dogme et la Libre pensée, p. 224) C’est ce que dit aussi JoBRGKNSBN ( l’i/a fera, p. 158) : « On oubliait

seulement, et l’on se gardait bien de le voir, que dans le domaine des sciences nul n’est libre de penser ce qu’il lui plaît, l’esprit doit se soumettre au fait, s’incliner devant l’expérience. Il y a des lois qu’il ne peut modifier, des réalités qui s’imposent à lui. El dans le domaine religieux on voudrait que le caprice et l’imagination fussent les maîtres incontestés ?… Comme si tonte la liberté de la pensée ne se ramenait pas à accepter le joug de la vérité I >

111. Discussion — Quoique notre e.xposé historique ail été accompagné de certainesréfutatlons sommaires, il convient de le faire suivre d’une discussion purement objective fondée sur le rappel de principes certains.

Saint Thomas (Summu Tlieol., l’, q. 83, a. 3) montre que la liberté consiste dans l’acte de l’élection ou pouvoir de choisir. Nous sommes dits libres par le l’ait que nous pouvons prendre une chose et laisser l’autre, ce qui est précisément choisir. Or deux éléments concourent à l’élection : l’un qui se trouve dans la faculté de connaître, 1 autre qui relève de la faculté appétitive.Du côté delà faculté cognoscilive, se trouve le conseil ou l’enquête, qui nous permet de juger ce qu’il faut préférer ou choisir. La faculté appétitive, à son tour, accepte ce qui a été proposé par le conseil. Le libre choix consiste dans cette acceplMiion facultative. Mais de quelle faculté relève proprement la liberté ?

Aristote avait hésité. Dans son Ethique (L. VI, ch. ii, n. 5), il laisse la question dans le doute, disant que l’élection est soit un entendement qui désire, soit un désir intelleclif, mais au L.Ill (oli. iii, n.19) il incline plutôt à la seconde opinion, puisqu’il l’appelle un désir éclairé par le conseil.

C’est bien l’opinion qu’il faut admettre, car l’élection a pour objet propre ce qui est ordonné à la fin, ce qui a raison de moyen, ou encore un bien utile.Ov le liien est objet de l’appétit ; ils’ensuit quel’élection est un acte de la faculté appétitive : en elle résidela liberté. Mais si la liberté réside dans la volonté, la source ou la racine de la liberté se trouve dans la raison, cf. de Veritate, q. xxiv, a. a : Totius libertatis radix in ratione constituta. Seule la raison peut connaître la notion de fin et la relation contingente de tel moyen par rapport à telle fin : connaissance requise pour fonder l’indépendance de la volonté et sa liberté par rapport à tel moyen choisi. En ce sens Lbibnitz a pu dire : a L’intelligenceest comme l’àme de la liberté, »

La raison n’est pas libn- mais un acte d’intellection peut être impéré par la volonté libre, et à ce titre peut être libre, par suite entraîner la responsabilité. Il sera libre non quant à son objet, mais quant à son ejercite(liberté d’exercice, non de spécification). C’est ainsi que la volonté interviendra pour mettre fin à l’enquête, œuvre de l’intelligence, dès qu’elle se portera vers l’alternative qui lui est proposée àce moment par l’intelligence, alors qu’elle aurait pu, par son abstention, attendre qu’on lui propose l’alternative contraire. S’il est vrai que c’est toujours le dernier jugement pratique que suit la faculté appétitive, il ne faut pas méconnaître que c’est celleci qui fait que ce jugement soit le dernier pratiquement, elle le fait par sa libre acceptation. Cf. PiiouBs, Comm. fr. lilt. delà Somme /Viéo/., t. IV, p. 699.

Il ne faudrait pas en conclure que l’intelligence est un simple instrumentaux mains de la volonté. Ce serait étrangement méconnaître les droits de la raison, que l’école thomiste considère comme la plus noblede nos facultés,.i la suite d’ABisTOTB(/’e.^H(ma, Livre III, ch. v, a ; Ethique, X, ch vu) et de saint Augustin (.^up. Gen. ad lilt., ch. xvi). Saint Thomas va répondre par une distinction (q. 8a, a. 4