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PENSEE [LA. LIBRE

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plaire à un ceilain ombre d’esprits, mais les libres penseurs professionnels ne manqueront pas de l’éviter tout d’abord, ensuite de le fuir et peut être plus tard, s’il réussissait trop, de l’excommunier. »

Les libres penseurs discutent tantôt en disciples de Descartes, pour qui tout est rationnel et susceptible d’être acquis par la raison individuelle, tantôt en agnostiques, pour qui aucune conquête intellectuelle n’est délinitive ni absolue. Dans le second cas, ils ont contre eux le bon sens des masses ; dans le premier, ils convaincront de moins en moins les savants, qui diront avec Pasteur, Discours de réception à l’Académie française, a^ avril 1883 : « Celui qui n’aurait que des idées claires serait assurément un sot… Les notions les plus précieuses que recèle l’esprit humain sont tout au fond de la scène et dans un demi-jour. C’est autour de ces idées confuses, dont la liaison nous échappe, que tournent les idées claires pour s’étendre, se développer et s’élever… Si nous étions coupés de cette arrière-scène, les sciences exactes elles-mêmes y perdraient toute leur grandeur. »

Il serait d’ailleurs chimérique d’imposer au savant l’obligation de n’admettre que ce qu’il aurait lui-même constaté et vérilié, de ne s’en lier à aucune autorité. Cette prétention ruinerait non seulement l’histoire, mais rendrait impossible toutes les sciences de la nature. La science n’est pas une œuvre exclusivement individuelle, elle résulte d’un labeur collectif et social. Le savant fait appela l’autorité, même dans l’ordre spécial de recherches où il est compétent ; mais il ne le fait qu’à bon escient, soumettant son esprit critique aux règles de la méthode historique.

Lacordairr, avec un sens aigu des besoins de son temps, attaquait de front le préjugé de la Libre Pensée lorsqu’il montrait dans sa i’ « Conférence de Notre-Dame de Paris (1835) que l’homme est un être enseigné : a L’homme est un être social… son intelligence aussi doit vivre par la société, et la nourriture de l’intelligence étant la Vérité, la vérité doit lui être transmise socialement, c’est-à-dire par l’enseignement. »

Aujourd’hui le terme de lilire penseur est devenu synonyme de sceptique ; d’après cette signification, est libre penseur quiconque ne croit à rien ; et moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement. Ainsi l’athée serait plus libre penseur que le simple déiste, et le sceptique plus que l’athée. Quelques-uns essayent d’arrêter cette progression aux questions métaphysiques pour sauver la morale. Mais c’est en vain : et, d’après l’échelle précédente, on sera forcé de dire que celui qui nie la morale est i)lus libre penseur que celui qui l’affirme… Ce préjugé, qui mesure la libertéà la négation, pourrail aller jusqu’à cette conséquence, que le plus haut degré de liberté d’esprit consiste à ne pas même croire à la liberté… Et cependant il y a des incrédules, qui, bien loin de i)enser librement, ne pensent même pas du tout, et acceptent les objections aussi servilement que les autres les dogmes. Combien de croyants, au contraire, qui ont la manière de penser la plus libre et la plus hardie ! Ce n’est donc pas la chose même que l’on pense qui fait la liberté, mais la manière dont on la pense. Cf. P. Ja-NBT, Heue des deux mondes, i" septembre 1866. Rbnouvibb affirme la même pensée (Critique philosophique du ai février 1898) : « La libre pensée est une croyance purement négative… Son symbole est qu’il ne faut croire à rien. »

3*) Phase politique. — D’ailleurs les meneurs de la libre pensée ont compris cette nécessité de l’être humain, incapable de penser librement par lui même s’il n’est soutenu par la cohésion d’un groujio. De là, ces innombrables sociétés qui se forment avec uneaclivité prodigieuse dansions les pays ; de là, ces journaux qui agissent ellicacement sur les abonnés recrutés à la suite d’une conférence retenlissante ; de là, ces congrès multipliés où des chefs, toujours les mêmes, viennent proposer leur profession de foi.

La libre pensée est devenue une religion négative : on y invoque constamiiient l’autorité de quelques savants illustres, comme Bertublot et Habckb :., Lo.MBRoso, Skrgi. Le Gomp’e rendu officiel du Congrès de Rome (igo^) met en exergue ce mot de Blanqui : u Ni Dieu, ni raaitre. » On discute longuement au Congrès de Paris (igo5) la morale sans Dieu » ; on finit par déclarer « qu’elle se borne à synthétiser en des règles perfectibles les moyens pratiques d’action utile, conforme à l’ensemble des connaissances de chaque temps ; elle se résout en somme à une hygiène physiologique et morale des individus et des sociétés… elle est sans Dieu, puisqu’elle veut être scientifique >>.

Il y a cependant quelques surprises : ainsi, au moment où M. Buisson lit son projet condamnant les morales fondées sur une métaphysiciue quelconque, comme supposant encore un reste de dogmatisme rationnel, et fait joyeusement remarquer « que c’est l’élimination de tout système aprioristique », un anarchiste l’interrompt et lui demande : y compris la loi ? » ce qui provoque une discussion confuse.

Au congrès de Paris, on organise des missions laïques à l’intérieur. Les groupes sont invités à provoquer de fréquentes causeries éducatives. Il y aura chaque année une fêle civique et un banquet. On célébrera chaque année une fêle des enfants. Le jour de la fête de la Libre Pensée est choisi à la date da Pâques. On décide : i" Que les fédérations nationales de la Libre Pensée trouvent dans leur caisse de propagande, où les fonds devront être centralisés, les ressources nécessaires pour pouvoir fournir : A — Au.^ mariages civils : orateurs, musiciens et chanteurs ; B —.ux obsèques civiles : orateurs. 2 " Que la |)lus large publicité soit faite afin que les libres penseurs puissent assister en grand nombre aux cérémonies civiles ; 3’^ Que les mariages civils aient lieu de préférence le dimanche.

On émet le vœu : i" Que les Sociétés de Libre Pensée exigent de tous leurs adhérents le dépôt d’un testament en forme légale par lequel ils exprimeront leur volonté d’avoir des obsèques purement civiles ; 2" Que, dans un avenir prochain, la loi défende à tout ministre du culte de procéder aux cérémonies religieuses du baptême et de la première communion, sans une demande expresse et écrite du père et de la mère, du tuteur et subrogé tuteur (si les ](arenls sont décédés), ou de procéder à un enterrement religieux sans une demande en forme légale de la personne défunte.

A propos de la propagande par l’enseignement (p. 145). un citoyen propose de faire un catéchisme civique ». Le congrès réclame comme réformes immédiates : l’abrogation de la loi Falloux et le monopole de l’enseignement ; la laïcité et non la neutralité de l’enseignement.

Sans doute quelques esprits supérieurs sentent l’illogisme auquel la foule prétend les conduire, ils tiennent à dégager leurs responsabilités.

M. Skaillbs : « Nous n’avons que faire d’apporter ici des outrages, des violences, des déclamations ; nous avons moins encore à transformer notre congrès en un concile qui promulgue son petit Syllabus à la majorité des sufTrages ; ji. 90… La science n’est ni une métaphysique, ni une religion ; elle nous laisse dans le relatif, et nous devons nous refuser à toute