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PENSÉE (LA LIBRE)

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un sport comme la cliasse, on se propose non le gibier, mais le plaisir de la poursuite. Ce qui provoquait déjà l’ironie de S. Paul : « seniper discentps, et nunquam ad scienliam verltatis perveiiieules », II fini., iii, 7. Il est d’ailleurs faux de prétendre que l’erreur soit, d’elle-même, un moyen d’arriver à la vérité, car l’erreur détourne de la vérité ; ce que l’on peut concéder, c’est que, dans les questions complexes, on n’arrive pas du premier coup à la vérité, mais on y arrive j)rogressivement, par des théories où se glissent certaines faussetés et qui sont dédaigneusement qualifiées d’erreurs par les systèmes plus perfectionnés. L’erreur chez les uns peut également être l’occasion pour d’autres de scruter davantage la vérité, mais cette heureuse influence est un eiret /ler accidens et ne saurait légitimer ce mal intrinsèque qu’est l’erreur.

On se demande si 1 on doit considérer comme une raillerie ou comme un sophisme ce raisonnement de Voltaire : » Vous êtes sûrs que la religion chrétienne est divine, et vous n’avez rien à craindre pour elle. » ~ Nous répondons : La certitude que la religion survivra à vos attaques ne nous dispense pas d’employer les moyens raisonnables d’assurer sa conservation et son extension. Ue plus, il s’agit de défendre la religion non en elle-même, mais dans les faibli-s qui la possèdent et qui pourraient la perdre.

Les libres penseurs libéraux aiment à citer le texte de Tkbtullikn (Apologeticum, xxiv) : « Permettez à l’un d’adorer le vrai Dieu, à l’autre Jupiter ; à l’un de lever les mains au ciel, à l’autre vers l’autel de la foi ; à celui-là de compter, comme vous dites, les nuages, à celui-ci les panneaux d’un lambris ; à l’un enfin de s’offrir lui-même à Dieu, à l’autre d’offrir un bouc. Prenez garde que ce ne soit une espèce d’irréligion, d’ôler la liberté de la Religion et l’option de Dieu, de ne pas me permettre d’adorer le Dieu que je veux adorer et de me contraindre d’adorer celui que je ne veux pas adorer. Quel Dieu recevra des hommages forcés’.* Un homme n’en voudrait pas 1 u ou cet autre texte de Tertullien (Lettre à Scapiilri, proconsul d’Afrique, 11) : « Il est de droit naturel et de droit commun que chacun adore ce que bon lui semble : la religion d’un homme n’est ni utile ni nuisible à un autre homme. Il n’appartient pas à une religion de faire violence à une autre religion. Une religion doit être embrassée par conviction et non par force ; car les ofTrandes à la divinité exigent le consentementdu cœur. » Ils reprochent aux chrétiens de n’avoir pas conservé aux heures du triomphe les principes invoqués dans le feu de la persécution.

Mais autre est l’expression d’un philosophe ou d’un théologien, autre celle d’un ardent apologiste, qui cherche avant tout à convaincre ses adversaires de contradiction. La polémique de Tertullien ne fait pas toutes les distinctions nécessaires. Il manquait de la sérénité d’esprit nécessaire à la claire vision d’un problème aussi complexe que celui que nous discutons ici.

a") Phash doctrinale. — Larousse dit que le caractère essentiel des libres penseurs est de rejeter toute religion positive. Il ne s’agit plus des lois humaines considérées comme des entraves à la liberté de la pensée ; il ne faut plus aucune religion positive, aux parties réunies et aux confins délimites, s’imposant même librement comme un tout à prendre ou à rejeter ; on la considère comme incompatible avec la liberté de l’esprit. C’est en ce sens que jviniis disait, le 26 novembre 1896, à la Chambre des députés : a Nous voulons, quelles que soient les doctrines spéciales, qu’il soit bien entendu qu’aucun dogme, qu’ancune formule imposée au préalable ne limitera la liberté intinie de la recherche. » Nous

lisons dans la Déclaralion de principes, présentée au Congres de Kome par M. Ferdinand Buisson et votée à l’unanimité le 22 septembre 190/1 : La Libre Pensée ne i)ouvanl reconnaître à une autorité quelconque le droit de s’opposer ou même de se superposer à la raison humaine, elle exige que ses adhérents aient exj)ressément rejeté non seulement toute croyance imposée, mais toute autorité prétendant imposer des croyances (soit que cette autorité se fVjnde sur une révélation, sur des miracles, sur des traditions, sur l’inluillibilité d’un homme ou d’un livre, soit qu’elle commande de s’incliner devant les dogmes ou les principes a priori d’une religion ou d’une philosophie, devant la décision des pouvoirs publies ou le vote d’une majorité, soit qu’elle fasse appel à une forme quelconque de pression exercée du dehors sur l’individu pour le détourner de faire sous sa responsabilité personnelle l’usage normal de ses facultés). D

BcissoN s’exprime en ces termes : « La libre pensée consiste dans la négation du dogmatisme. Notre seul credo est de n’en pas avoir, parce que tout credo est une immobilisation illicite de la pensée humaine. .. C’est une pensée qui, non seulement s’est libérée un jour de l’autorité du dogme et de la foi, mais qui se garde à jamais libre de tout servage doctrinal. > Et M. Séailles, dans sa lettre au Congrès de Genève 1902, définit la libre pensée : le droit au libre examen. « Elle exige que toute aflirmation soit un appel de l’esprit à l’esprit, qu’elle se présente avec ses preuves, qu’elle se propose à la discussion, qu’aucun homme, par suite, ne prétende imposer sa vérité aux autres hommes au nom d’une autorité extérieure et supérieure à la raison. Est donc libre penseur quiconque — quelles que puissent être, d’ailleurs, ses théories et ses croyances — ne fait appel pour les établir qu’à sa propre intelligence et les soumet au contrôle de l’intelligence des autres. »

RÉPONSE. — Il y a là une équivoque capable d’abuser les esprits peu exercés. Quand on parle de l’indépendance de notre raison, nous demanderons quelle indépendance on réclame. Serait-ce l’indépendance par rapport aux règles de la logique ? mais c’est alors la déraison ; — serait-ce par rapport à la vérité ? mais la vérité est précisément la lin de l’intelligence, et la noblesse de cette faculté consiste à atteindre sa fin, non à s’en affranchir ; — serait-ce par rapport à l’autorité ? mais si je vois que cette autorité est respectable, sera-ce obéir à ma raison que de mépriser cette autorité ? St Tho.mas d’Aquin dit : « Non crederet nisi tideret ea esse credenda fel propter evideiiltam signorum vel propter aliquid hujusmodii (Sum. Theol., Il’llae, qu. i, a. 4).

Il y a sans doute une liberté de l’esprit consistant dans la disposition à admettre toute vérité nouvelle, à remplacer toute proposition non démontrée par toute autre proposition dont la preuve sera fournie. Mais la liberté d’esprit ne saurait consister à être disposé à rejeter une vérité établie, ce qui laisserait l’esprit dans un provisoire perpétuel. Cf. Fonsegrivb, Eléments de philosophie. M.MAURRAsa pu dire dans la Politique religieuse, p. 33-33 : « La libre pensée est la pensée indéterminée. C’est la pensée libre d’elle-même et par conséquent destructive d’ellemême. C’est une pensée vague et qui se renie en vaguant. Donc une pensée vague est nulle ; il a bien fallu que certains libres penseurs y prissent garde… Ce qu’il y a de consistant dans sa pensée (à Hæekel) est dû à un certain degré de détermination, de rigueur et de servitude… Cet homme veut fonder une ligne en vue d’une libre pensée nouvelle, d’une libre pensée qui aurait le privilège assez paradoxal d’être aussi une penséedélerminée… Jel’averl isqu’il pourra