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MARIE, MERE DE DIEU

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Marie devant la loi de la puiiCcaton, il résulte d’abord avec évidence que l’idée d’une souillure morale quelconque doit être écartée de son esprit, soit quant à Jésus, soit quant à sa mère. L’assertion des homélies sur saint Luc, rétractée dans les homélies sur le Lévitique, se rattache sans doute à la théorie générale d’Origène sur les relations entre l’esprit et la matière : la matière, lieu provisoire de détention et de purification pour l’esprit. C’est la conclusion déjà indiquée par Huet, Origeiiiana, II, ii, q. 4, P.O., XVII, 838 sqq. Voir notre article sur les erreur.t d’Origène, Etudes, t. CXLll, p. 312, 5 mars igiô. Elle est solidement appuyée sur le texte d’Origène, qui dit dans son homélie xiv sur saint Luc : « Toute âme revêtue d’un corps humain a ses souillures », et applique aussitôt après à Notre Seigneur cette loi générale. C’est bien la même assertion qu’il rétracte, et quant à Notre Seigneur et quant à sa mère, dans l’homélie xn sur le Lévitique. Et dans l’homélie vni, il s’est demandé si la teneur même de la loi relative à la purification des femmes n’atteste pas l’intention prophétique d’excepter Marie, destinée à concevoir sans souillure.

M. Neubbrt, Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 184, explique autrement ces textes, et pense qu’Origène, après avoir nié dans les homélies sur saint Luc la virginité in partu, l’affirma dans les homélies sur le Lévitique. Il ne me paraît pas évident qu’Origène se soit prononcé dans un sens ni dans l’autre, et je ne crois pas que telle soit la ligne de sa pensée. La souillure qu’il a en vue est une souillure d’ordre tout à fait général, résultant du contact entre l’esprit et la matière. Après y avoir assujetti même Jésus, il en exemple même Marie.

Sur la virginité posi partum, il s’est prononcé plusieurs fois et avec une grande énergie. On remarquera qu’il professe l’opinion, alors généralement répandue, d’après laquelle les « frères de Jésus » étaient des lils nés à Joseph d’un premier mariage, et se réfère à deux apocryphes : l’Evangile de Pierre et le Protéi>angile de Jacques. In Matt., t. A’, xvir, P. G., XIII, 876B-877A :

Ceux qui ignoraient que Jésus fut fils d’une vierge et ne l’auraient pas cru quand même on le leur eut dit, mais supposaient qu’il était fils du charpentier Joseph, disaient, étonnés : « N’est-ce pas le fils du charpentier ? » Et dans leur mépris pour tout ce qui semblait être sa jtroche parenté, ils répétaient : « Sa mère ne s’appelle-t-elle jias Marie ? Ses frères, Jacques, Joseph, Simon, Jude ? Ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? » On le tenait pour fils de Joseph et de Marie : quant aux frères de Jésus, quelques-uns, d’après une tradition consignée dans l’Eran^i/e de Pierre et dans le Livre de Jacques, les tiennent pour fils de Joseph, nés d’une première femme qu’il avait épousée avant Marie. Ceux qui parlent ainsi veulent sauvegarder jusqu’au bout l’honneur de Marie en sa virginité ; ils ne sauraient admettre que le corps choisi pour instrument du Verbe qui a dit : (I L’Esprit saint viendra sur voua et la ^’ertu du Très Haut vous couvrira de son ombre », ait connu la couche d’un homme, après avoir reçu la visite de l’Esprit saint et l’ombre de la Vertu d’en haut. J’estime que la palme de la virginité doit appartenir, entre les hommes à Jésus, entre les femmes à Marie, On ne saurait, sans impiété, attribuer à une autre la palme de la virginité.

Le langage d’Origène est très digne d’attention. Il touche deux points : 1° l’origine des « frères de Jésus » ; 2° la perpétuelle virginité de Marie. Sur le second point, Origène n’admet aucune contestation, il ne veut pas entendre dire, ce que l’Ecriture n’insinue nulle part, que Marie pût avoir d’autres enfants après Jésus. Sur le second point, il se contente de noter que quelques-uns (tiv=ç) tiennent les « frères de Jésus » pour des enfants nés à Joseph d’un premier mariage, et il loue leur intention, qui est de concilier

la mention des « frères de Jésus » dans l’Evangile avec la perpétuelle virginité de.Marie, supposée indiscutable. Mais il n’ajoute pas qu’il fait sienne leur solution, et la manière dont il la présente marque assez clairement qu’il la considère comme une solution entre autres, non comme l’unique solution possible. A ses yeux, le champ demeure ouvert à d’autres hypothèses, pourvu qu’elles respectent la Vierge. Ailleurs, il flétrit, sans le nommer, un auteur dans lequel il faut probablement reconnaître TertuUien (voir A. DiHAND, L’enfance de Jésus-Christ, p. 233) ; In Luc, Honu, vii, P. G., XIII, 1818 :

Il s’est trouvé un homme assez fou pour affirmer que Marie avait été reniée par, le Sauveur, pour s’être, après sa naissance, unie a Joseph. Que celui-là réponde de ses paroles et de ses intentions… Cette affirmation, que Marie cessa d’être vierge après sa maternité, on ne la prouvera jamais. Car ceux qui passaient pour fils de Joseph, n’étaient pas nés de Marie ; il n’y a pas trace de cela dans l’Ecriture.

Les vrais enfants de Marie, ce sont les frères de Jésus selon l’esprit, c’est-à-dire les chrétiens dignes de ce nom ; Origène pose en termes admirables la loi de cette maternité spirituelle qui commença de s’exercer au Calvaire. In luan., I, vi, éd. Preuschen, p. 8, P. G., XIV, 32AB :

Osons dire que la fleur des Ecritures, ce sont les évangiles et la fleur des évangiles, celui de saint Jean. Nul n’en saurait comprendre le sens s’il n’a reposé sur la poitrine de Jésus et reçu de Jésus.Marie, devenue aussi sa mère. iMais pour être un autre Jean, il faut pouvoir, comme Jean, être montré par Jésus en qualité de Jésus. En effet, si, de l’avis de ceux qui pensent d’elle sainement, Marie n’a pas eu d’autre fils que Jésus, et si Jésus dit à sa mère : « Voici votre fils 1), et non : « Voici encore un fils », c’est comme s’il disait : « Voici Jésus, à qui vous avez donné le jour. » En effet, quiconque est consommé [dans le Christ] ne vit plus, mais en lui vit le Christ ; et parce qu’en lui vit le Christ, de lui Jésus dit à Marie : « Voici votre fils, le Christ. »

On ne saurait refuser le sens du christianisme à l’auteur qui le premier, et avec une telle profondeur d’accent, a défini le rôle de Marie, mère de toute l’hunianitê rachetée.

Mais voici qui lui fait moins d’honneur.

Etroitement associée à l’œuvre de son Fils et à l’œuvre de ses Apôtres, Marie, comme les Apôtres, aurait souffert scandale lors de la passion de son Fils. Origène estime qu’il faut lui irapuler quelque défaillance : autrement, qu’est-ce que son Fils eût trouvé en elle à racheter ? In Luc. (n), Uom. xvii, P. G., XIII, 18^5 :

Quel est ce glaive qui transperce, non seulement d autres coeurs, mais celui même de Marie ? L’Ecriture dit ouvertement qu’au temps de la Passion, tous les Apôtres souffrirent scandale, au témoignage même du Seigneur : a Tous vous souffrirez scandale, cette nuit. t> Donc tous souffrirent scandale, au point que Pierre momc, prince des Apôtres, le renia par trois fois. Quoi ? pensons -nous que. les apôtres souffrant scandale, la mère du Seigneur en fut exempte ? Si elle ne souffrit pas scandale dans la passion du Seigneur, Jésus n’est pas mort pour ses péchés. Mais si tous ont péché, si tons, exclus de la gloire de l)ieu, sont justifiés et rachetés par sa grâce, Marie, elle aussi, soufi’rit alors scandale.

Nous avons déjà signalé divers échos de ce jugement. Il est juste de noter qu’il appartient au commentaire sur saint Luc ; or nous savons déjà qu’il ne faut pas chercher dans ce commentaire le dernier mot d’Origène sur Marie.

Les théories biz.irres qui avaient séduit le grand esprit d’Origène, et dont il ne s’affranchit jamais complètement, théorie des épreuves indéfinies des âmes, théorie de la déchéance par l’union à la matière, ont donc projeté leur ombre jusque dans sa marialogie. Il a entrevu la grandeur de la Mère de Dieu, et parfois