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PÉNITENCE

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fidélité inviolable sa gratitude envers Dieu. Mais tel est l’acharnement du démon contre ceux qui viennent de lui échapper, que plusieurs cèdent à ses assauts. Dieu y a pourvu : il n’a pas voulu abandonner sans espoir le chrétien tombé après le baptême : il lui permet de frapper une fois, rien qu’une fois, à la porte de la seconde pénitence. Bienfait nouveau et gratuit, dont le pécheur ne saurait se montrer trop reconnaissant.

Puissent vos serviteurs, ô Seigneur Christ, ne (lire et n’entendre sur la discipline de la pénitence, que ce qu’il faut pour savoir qu’ils ne doivent point pécher : ou qu’ils ne sachent plus rien, qu’ils ne veuillent plus rien savoir de la iirnilence ! Il m’en coûte de mentionner encore cette seconde et derniùre espérance : je crains, en revenant sur la suprême ressource de la pénitence, do paraître ouvrir une nouvelle carrière au péché. A Dieu ne plaise que personne s’autorise de mes paroles pour transformer en droit au péché le droit à la pénitence, et que l’abondance de la cléjnence céleste déchaine les excès de la témérité humaine ! CJue nul n abuse de la bonté divine pour répondre par de nouvelles fautes à de nouveau : ^ pardons. Au reste, il ne saurait échapper indéiinirænt, s’il pèche indéfiniment. Nous avons échappé une fois : c’est assez nous être exposés au péril, quand même nous pourrions nous flatter d’échapper encore. D’ordinaire, ceux qui ont survécu à un naufrage disent un adieu définitif aux vaisseaux et à lu mer ; ils rendent hommage à Dieu, auteur de leur salut, en se souvenant du péril. Louable crainte, touchant respect : ils ne veulent pas être une seconde fois à charge à la divine miséricorde ; ils redoutent du paraître mépriser lo bienfait rec ; u ; ils se préoccupent justement de ne pas braver encore les danj^ers qu’ils ont appris à craindre. En mettant un frein à leur témérité, ils manifestent leur crainte. Or, la crainte est un hommage que 1 homme rend à liieu. Mais notre ennonii acharné n’accorde aucune trêve à sa malice. Et il redouble de rage quand il voit l’homme pleinement libéré ; sa fureur s’enilamme quand on l’éteint. Comment ne serait-il pas navré de douleur en voyant, par le pardon mis à la portée de Ihomme. tant d’œuvres do mort détruites, tant de titres d une condamnation, qui l’ut son œuvre, effacés ! Il songe avec douleur que lui et ses anges seront jugés par ce serviteur du Christ, pécheur. C est pourquoi il épie, il attaque, il assiège, espérant ou bien frapper ses yeux par la concupiscence de la cliair, ou enlacer son âme dans les charmes du siccle, ou abattre sa foi par crainte do la puissance terrestre, ou le détourner du droit chemin par des doctrines de mensonge ; il n’épargne ni scandales ni tentations. Prévoyant donc ses artifices empoisonnés, Dieu, après que la porte du pardon s’est refermée sur le pécheur et que le verrou du baptême a été tiré, a voulu lui laisser encore une ouverture. Il a placé dans le vestibule la seconde pénitence, pour ouvrir à ceux qui frapperaient ; mais seulement une fois, car c’est la seconde ; jamais plus, parce que le précédent pardon est resté sans fruit. N’est-ce pas assez d’une fois ? Vous a^ez déjà par delà votre mérite ; car vous avez laissé perdre le bienfait reçu. Si l’indulgence du Seigneur vous accorde le moyen de réparer la perte, sachez-lui gré d’un bienfait renouvelé ou plutôt d un bienfait accru. Il y a en effet plus de générosité à redonner qu à donner, comme ily a plus de malheur à perdre qu’à n’avoir jamais reçu Mais il ne faut pas se laisser énerver et abattre par le désespoir, i l’on se trouve avoir contracté la dette d’une seconde pénitence. Ce qu’il faut craindre, c’est de retomber dans le péché, non de réitérer la pénitence, c’est de s’exposer encore au péril, non d’en sortir encore. En cas de rechute, il faut réitérer le traitement. Le moyen de marquer au Seigneur votre reconnaissance, c’est de ne pas refuser la grâce qu’il vous offre Vous l’avez offensé, mais vous pouvez encore faire votre paix avec lui. Vous pouvez lui donner satisfaction, il ne demande qu’à la recevoir.

Parmi les plus notables rencontres avec Hermas, Mand, iv, 3, on notera ici la préoccupation de ne pas induire les néophytes en tentation en leur découvrant des perspectives de pardon trop commodes : IIiiciisque, Christe Domine, de pænitentiæ disciplina servis tais dicerevel audire continuât, quousf/ue etianidelinquere non oportet audifutihu.s ; vel nihiliani de pænitentia noverint, niliil eius requirant. Piget seciindae, mmo iam ultimæ spei sublexere mentionein, ne

rétractantes de residuo auxilio pænitendi, spatiiiin adliuc delinquendi demonsirare yideamur. On notera par ailleurs les allusions à la faiblesse humaine, à l’acharnement du diable et à la miséricorde divine. On notera enfin cette aflirmation positive, que la pénitence postbaptismale ne se réitère pas. Il s’agit de la pénitence solennelle à la face de l’Eglise, grand moyen dont il ne fallait pas provoquer l’abus. Or les formules de Tertullien sont tout à fait générales et n’exceptent aucune catégorie de péchés. Ceci est généralement reconnu. Edii de Caliiste, p. 153 sqq.

Tout autre est le langage de Tertullien montanisle. Son indignation contre le laxisme du successeur de Pierre, en matière de pénitence, éclate dans le violent pamphlet qu est le J)e pudicitia.

Le début est un hymne à la chasteté’, « fleur des mœurs, honneur des corps, parure des sexes, intégrité du sang, garantie de la race, fondement de la sainteté, signe reconnu d’une ôme bonne, d’ailleurs chose rare, délicate et fragile, qu’il faut entourer de soins infinis… » Ce morceau lyrique prépare une explosion de colère contre le pontife suprême, traître à la chasteté chrétienne. Par édit péremptoire, cet évêquedes évêque » sefait fort de « remettrelespéchés, après pénitence, aux adultères et aux débauchés ». Oii aflichera-t-on cette grâce ? Sans doute, à la porte des mauvais lieux ? Non pas : proclamation en est faite dansl’Eglise, aux oreilles de cette vierge, épouse du Christ. Tertullien n’y tient plus ; il élèvera la voix :

Voici donc encore un écrit contre les PaycJiici et contre notre accord désormais rompu ; je veux ce titre de plus au reproche d’inconstance qu’ils m’adresseront. -lamais une rupture ne constitue présomption de faute : n’est-il pas plus facile d’errer avec la foule que de s’attacher à la vérité avec une élite ? Mais je n’attends pas plus de déshonneur d’une utile inconstance que de gloire d’uneincoiistante désastreuse, .le n’ai point honte de m’ètre afi’ranchi de l’erreur, parce que je me félicite de cet aflranchissement, parce que je me sens meilleur et plus chaste. On ne rougit pas d’un progrès. Même dans le Christ, la science a divers âges ; déjà l’Apotre a passé par là : quand j’étais enfant, dit-il, je parlais en enfant, je pensais en enfant ; devenuhomme, j’ai dépouillé ce qui était de l’enfant (1 Cor., xiii, il).

Il importe beaucoup de le remarquer : l’auteur du De Pudicitia ne se pique pas de constance, au contraire. Il se glorifie d’avoir rompu avec les Psychici (catholiques), parce qu’il réprouve leurs principes et leur pratique. Donc il ne faudrait pas tirer argument de cet éclat pour prouver que l’acte du pape, déclarant remettre, après pénitence, les fautes de la chair, constituaitune nouveauté. La nouveautéest du côté de Tertullien, qui s’en vante, comme d’un progrès sur une école qu’il a depuis longtemps condamnée.

Ce serait une tâche instructive que de relever, dans cet écrit, la trace des arguments par lesquels Tertullien catholique avait établi, dans le De pænitentia, le pouvoir de l’Eglise sur tous les péchés sans distinction, et dont Tertullien montaniste poursuit méthodiquement la ruine dans le De pudicitia : paraboles évangéliques de la brebis errante, de la drachme perdue, de l’enfant prodigue (comparer Pæn., viii et Pud., vn-x), cf. Èdit de Caliiste, p. 181-183 ; appela l’autorité d’Hermas (comparer Pud., x) ; appel à l’Ancien Testament, Ez., xxxiii, ii (comparer Puen.. iv et Pud., II. X. xviir. xxii), et au Nouveau. — Edit de Caliiste, p. 185-18g.

Ce manifeste d’un prêtre révolté a pour nous l’avantage de mettre dans une lumière nouvelle le caractère ecclésiastique de la rémission des péchés, tel qu’on l’entendait alors. On a vu Tertullien s’insurger là-contre dès sa première page. Il y revient plus