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MARIE, MERE DE DIEU

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Reste à examiner une série d’ouvrages d’autorité moindre, mais, en leur genre, suggestifs et nullement négligeables.

Le deuxième siècle avait vu naître, particulièrement dans les milieux judéochrétiens, divers apocryphes bibliques où il est question de Marie. Tel le Testament des douze Patriarches, xi (Joseph), 19, P. G., II, 1140 A :

Et je vis que de Juda naquit une vierge ; elle avait une robe de pourpre ; et d’elle sortit l’Agneau sans t : iclie, ayant à sa (rauche comme un lion ; tous les animaux se jetèrent’sur lui et l’Agneau les vainquit…

Les détails du symbolisme ne sont pas tous très nets, à commencer par le rôle du lion de Juda. Mais rien de plus clair que l’hommage à la Vierge mère de l’Agneau.

Le Proléi’angile de Jacques se distingue entre tous ces apocryphes par la diffusion très large qu’il obtint sous diverses formes et par les leçons qui s’en dégagent. L’auteur met sur les lèvres de saint Joseph un récit original de la nativité du Seigneur. Nous ne demanderons pas grâce au lecteur pour son audace naive ; ce sont choses vénérable^ c. xix-xx, trad. Amann, Paris, 1910, p. 251-267

El voici qu’une femme descendait de la montagne, et elle me dit : » ( Homme, où vas-tu.-" » Et je dis ; « Je cherche une sage-femme juive, w Et elle me répondit ; ’t Tu es d’Israël ? » Et je lui dis : « Oui. » Elle nie dit : « Et qui est celle qui va mettre au monde dans la grotte ? i) Et je dis :

« C’est ma Hancée. : i Et elle me dit ; « Elle n’est pas ta

femme ? » Et je lui dis : « C’est Marie, celle qui a été élevée dans le temple du Seigneur, et que le sort m’a donnée comme femme ; et (pourtant) elle n’est point ma femme, mais, si elle a con( ; u, c’est du Saint-Esprit. » Et la sagefemme lui dit : (( Cela est-il vrai ? » Et Joseph lui dit : H Viens et vols. » Et la sa^e-femme partit avec lui. Et ils arrivèrent à lendroit de Ta grotte. Et voici qu’une nuée lumineuse couvrait de son ombre la grotte. Et la sagefemme dit ; u Mon âme a été e.xaltée aujourd’hui, parce que mes yeux ont vu des choses étonnantes, car le salut est né pour Israël. » Et soudain la nuée s’évanouit de dessus ia grolte et une grande lumière parut dans la grotte, au point que nos yeux ne pouvaient la supporter. Et peu après, cette lumière s’évanouit, juste au moment où l’enl’ant apparut, vint, et prit le sein de sa mère Marie. Et la sage-femme s’exclama et dit : <( Aujourd’hui est ungrandjour pour moi, puisque j’ai vu un spectacle nouveau, w Et la sage-femme sortit de la grotte et elle rencontra Salomé et lui dit :

« Salomé, Salomé, c’est un spectacle nouveau que j’ai à te

raconter ; une vierge a enfanté, ce que (pourtant) sa condition ne permet pas. » Et Salomé dit : « (Aussi vrai que) vit le Seigneur mon Dieu,.si je n’y mets pas le doigt et ne me rends pas compte de son état, certainement je ne croirai pas qu’une vierge a mis au monde. »

Et la sage-femme entra et dit à Marie : " Laisse-toi faire, car ce n’est point un mince débat qui s élève sur ton compte. » Et Salomé voulut se rendre compte de son état, mais elle poussa un cri et dit : H Malheur à mon impiété, mallieur à mon incrédulité, parce que j’ai tenté le Dieu vivant, et voici que ma main (est consumée) parle feu et se détache ! » Et elle fléchit les genoux devant le Maitre souverain, disant ; (( Dieu de mes pères, souviens-toi de moi, car je suis de la postérité d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; ne t’ais pas de moi un exemple pour les fils d’Israël, mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, ô Maître, que c’est en ton nom que je donnais mes soins, et que mon salaire je le recevais de toi. » Et voici qu’un ange du Seigneur se tint (devant elle), lui disant : « Salomé, Salomé, le Seigneur t’a exaucée ; approche la main du petit enfant, porte-le et tu auras salut et joie. » Et Salomé s’approcha, et le porta en disant : « Je l’adorerai, parce qu’(en lui ! est né un grand roi pour Israël, n Et voici qu’aussitôt Salomé fut guérie, et elle sortit de la grotte justifiée. Et voici qu’une voix lui dit : « Salomé, Salomé, n’annonce rien des miracles que tu as vus, jusqu’à ce que l’enfant soit entré dans Jérusalem. ))

Ce récit, dont la rédaction ne saurait être datée

avec précision, mais dont la source remonte sûrement assez haut dans le deuxième siècle, montre la pensée chrétienne dès lors préoccupée de rendre le caractère singulier de cette maternité qui donna Jésus au monde. Les inventions auxquelles elle recourait, en dépit de leur caractère factice, traduisent une intention réfléchie, et révèlent une conviction digue de tout respect.

A la Un du deuxième siècle ou au eoramencemenl du troisième, appartient vraisemblablement la première partie du Proléyangile de Jacques, c. i-xvi, racontant l’enfance de la vierge. Car il y a lieu de tenir cette partie pour plus récente que le récit de l’Annonciation. Voir Ch. Michel et P. Peeters, Evangiles apocryphes, t. I, p. vn-xvii. La trace s’en trouve pour la première fois dans Orioènb, In Matt., t. X, xvii. Analysons le récit, qui met en scène Joachim et Anne, les parents de la vierge.

Joachim était un homme Juste qui, de sa grande fortune, avait coutume de porter au temple des offrandes doubles. Or un jour qu’il portait au temple son offrande, un certain Ruben se dressa devant lui et lui dit : <i Tu n’as pas le droit d’apporter le premier tes offrandes, parce que tu n’as pas engendré de rejeton en Israël. »

L’âme de Joachim fut percée de ce trait. Il s’en alla, compulsa les archives des douze tribus, et constata que, effectivement, depuis Abraham, tous les justes avaient laissé une postérité en Israël. Alors, navré de douleur, il se retira au désert et jeûna quarante jours et quarante nuits.

Cependant Anne sa femme gémissait dans sa maison. Le grand jour du Seigneur étant venu, elle descendit au jardin, pour se promener.

Et levant les yeux au ciel, elle vit un nid de passereaux dans le laurier, et elle se mit à gémir, disant en elle-même :

« tlélas ! qui m’a engendrée, et quelles entrailles m’ont enfantée, 

pour que je sois devenue un objet de malédiction pour les Gis d’Israël, et qu’ils m’aient outragée et cliassée avec dérision du temple du Seigneur ? Hélas ! à qui ai~je été assimilée ? Ce n’est pas aux oiseaux du ciel ; car même les oiseaux du ciel sont féconds devant vous, Seigneur…))

Comme elle pensait ainsi en elle-même.

Voici qu’un ange du Seigneur lui apparut et lui dit :

« Anne. Anne, le.Seigneur a écouté ta jirière : tu concevras

et tu enfanteras, et on parlera de ta progéniture sur toute la terre. » Et Anne dit : « Par la vie du Seigneur mon Dieu, si j’enfante, soit un fils, soit une fille, je l’amènerai comme oll’rande au Seigneur mon Dieu, et il sera à son service tous les jours de sa vie. n

A ce moment, des messagers survinrent, qui lui dirent : Voici que Joachim ton époux arrive avec ses troupeaux ; car un ange du Seigneur est descendu vers lui, disant : « Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a écouté ta prière ; descends d’ici, car voici que ta femme Anne concevra dans ses entrailles. »

De fait,

Joachim arriva avec ses troupeaux. Et Anne, se tenant debout prés de la porte, vit venir Joachim, et courant à lui, elle se suspendit à son cou, disant : « Maintenant je sais que le Seigneur Dieu m’a comblée de ses bénédictions ; car voici que j’étais veuve et je ne le suis plus, j’étais sans enfant et je vais concevoir dans mes entrailles, n Et Joachim se reposa le premier jour dans sa maison.

Anne devient mère ; après neuf mois écoulés, elle met au monde une fille et lui donne le nom de Marie. A l’âge de trois ans, l’enfant est conduite au temple pour accomplir la promesse de ses parents, et elle se sépare d’eux sans regarder en arrière. Elle grandit dans le temple du Seigneur, comme une colombe, recevant sa nourriture de la main d’un ange.