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PECHE ORIGINEL

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peccaverunt… ou, suivant le texte grec : parce que tous ont péché, if iJ TiKvrt ; f.fiapTm… » La mort et le péché sont nettement distingués, dans les deux textes, sous la raison d’effet et de cause ; si donc la mort atteint réellement toute créature humaine, ce ne peut être en vertu d’un péché actuel ou strictement personnel, car un tel péché n’est pas possible pour les enfants, mais seulement en vertu d’une culpabilité commune ou d’un état équivalent qui résulte de la faute du premier père. Envisagées ainsi dans le contexte, les deux traductions ne diffèrent qu’accidentellement : dans la Vulgale, le sens relatif est exprimé ; dans le grec, il n’est pas exprimé, mais il s’y trouve implicitement. Ce qui arrache à un exégète protestant cet aveu que, si la traduction latine estgrammaticalement inexacte, le sens exprimé reste substantiellement vrai : u The rendering of the Vulgate… is gramraalically wrong…, y et essentially right. » A. B. BROCE, 5//’a » 7’s conception of ckristianity.’Eàiiïhnigh, 1896, p. 130. La suite du texte, v. 18-19, ^^ fait que confirmer l’interprétation précédente : « Ainsi donc, comme c’est par le péché d’un seul que la condamnation est venue sur tous les hommes, c’est aussi par la justice d’un seul que vient à tous la justiQcation qui donne la vie. De même, en effet, que par la désobéissance d’un seul un si grand nombre ont été constitués pécheurs, ’}., uxpTM)’J x « rc7Tx6y, 7cr.-j, de même aussi par l’obéissance d’un seul un si grand nombre seront constitués jvistes, ôizaiîi xyTc^ry.Wianrxi. » Tout ce passage n’est qu’une antithèse, sous le rapport de la justification et du salut, entre le premier et le second Adam, antithèse qui, dans la pensée de l’Apôtre, n’est pas fortuite, car elle apparaît déjà en germe dcins I Cor., xv, 22, comme le remarque Lioht-FooT, Notes on Epistles of St Paul, Londres, p. 289. Elle est, d’ailleurs, en pleine concordance avec la mission rédemptrice de Jésus-Christ : sauver tous les hommes, y compris les enfants, Matth., xviii, lo-i i ; or, le salut n’est-il pas présenté dans les Evangiles comme une déliTance dupéohé et une réconciliation avec Dieu ?

A la sainte Ecriture s’ajoute la Tradition. Les conciles invoquent spécialement l’usage antique de baptiser les enfants, non pas seulement pour leur conférer un droit d’entrée au royaume des cieux, suivant l’interprétation pélagienne, mais pour effacer en eux, grâce au sacrement de la régénération, la souillure que tous contractent du fait même de leur génération ; ut in eis regeneratione mundetiir, quod generationo contraxerunt. Milev.n, caxv. 2 ; Trident., sess. V, can. l^. Mais, parallèlement à l’usage, il y avait la croyance, consignée dans les témoignages des Pères, soit qu’ils atTirrænt ou supposent la solidarité d’.dam et de ses descendants dans la réception et la perte des dons primitifs, soit qu’ils rattachent à la faute du premier ancêtre l’état de déchéance, non seulement physique, mais morale, où se trouve actuellement la famille humaine. En défendant l’existence du péché originel comme point de croyance catholique, saint Augustin avait si peu conscience d’innover, qu’il en appelait contre les Pélagiens aux Pères qui l’avaient précédé dans les pays les plus divers : Cyphibn de Carthage, Basile de Gappadoce, Grégoire de Nazianze, Hilaire de Gaule, Ambroisb de Milan. Contra Jiilianum, 1. I, vi, n. 22, P. /.., t. XLIV, col. 655. A ces noms il joignait celui de saint Jean Chrysostome, dnnt il venait de citer ces paroles, tirées d’une homélie ad neophytos : « Nous baptisons les enfants eux-mêmes, bien qu’ils n’aient point de péchés, pour leur procurer la sainteté, la justice, l’adoption, le droit à l’héritage, la fraternité avec le Christ, l’honneur d’être ses membres et les | temples du Saint-Esprit. » Parler ainsi, n’est-ce pas

supposer dans les enfants non baptisés la privation de la sainteté, de la justice et des autres dons qne notre premier père avait reçus, comme chef de l’humanité ?

L’afDrmation incidente, que les enfants sont sans péchés, xxiTot ày « /5Tv ; /jiaTa oùx iyo-jx’/., n’exclut donc, suivant la juste remarque de saint Augustin, que les fautes actuelles ou strictement personnelles, dont les enfants sont incapables. Interprétation confirmée par un texte de saint Isidore de Péluse, qui peut servir de commentaire à celui du docteur antiochien. A cette question, posée par le comte Herminius : Pourquoi baptise-t-on les enfants qui sont sans’çéchés, TK.Spspi) « v « |j : àpT>ira iVrot ? l’évêque réplique : « Il y en a qui se contentent de dire que le baptême efface en eux la tache que la prévarication d’Adam fait passer en tout homme ; c’est là une réponse par trop sommaire et incomplète. Pour moi, je crois que cela se fait ; mais ce n’est pas tout, ce serait même peu de chose, il faut ajouter les dons qui surpassent notre nature. » Epist., 1. lU, ep. cxcv, P. G., t. LXXVIII, col. 880. D’ailleurs, des Pères grecs plus anciens que saint Jean Chrysostome ont fait usage du terme même de péché en parlant et d’Adam prévaricateur et de ses descendants rattachés à lui par un lien de solidarité.’Voir, dans ce Dictionnaire, art. Marie (Immaculée Conception) tom. III, col. 233, et, dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. VII, col. 896 s., une discussion plus développée du point, par le P. Martin Jugie.

Les preuves d’Ecriture sainte et de Tradition, qui viennent d’être esquissées, sont tirées de la révélation positive ou la supposent ; ce sont des preuves d’autorité. Peut-on, en outre, recourir à la lumière naturelle et, par son moyen, construire un argument d’ordre proprement rationnel ? Beaucoup de protestants, les jansénistes, un certain nombre de catholiques attachés à l’apologétique de Pascal ou de filiation traditionaliste, ont répondu d’une façon afîirmative : pour eux, les maux auxquels l’homme est présentement soumis, du moins les maux d’ordre moral, en particulier la concupiscence telle qu’elle sévit en nous et l’universalité du péché qu’elle entraîne, sont une énigme sans la chute originelle. On peut donc, en partant de la condition actuelle de l’humanité, conclure à un état de déchéance et, par suite, à une faute dont la responsabilité pèse sur la race et chacun de ses membres. Mais, en établissant cette preuve, les théologiens protestants ou jansénistes supposent, en ce qui concerne la condition essentielle de notre nature, ses forces actuelles et le caractère moral de la concupiscence, des notions que 1 Eglise catholique considère comme erronées et qu’elle a réprouvées, soit au concile de Trente, soit plus tard dans les actes pontificaux dirigés contre Jansenius, Bains, Quesnel et le pseudo-synode de Pistoie. Ces fausses notions écartées, il paraît impossible de conclure à l’existence d’une chute originelle sans exagérer la valeur des indices sur lesquels on s’appuie. Les misères morales, si réelles et si profondes, qu’on rencontre dans le genre humain, sont intimement liées à la concupiscence, et celle-ci est une infirmité naturelle, résultant de la constitution physique de l’homme, laissé à ses seuls principes, soumis aux diverses tendances qui surgissent de sa nature complexe et des conditions extérieures auxquelles il est assujetti. Tout cela, mal moral et concupiscence, peut donc s’expliquer, philosophiquement, en dehors de l’hypothèse du péché originel. Mais rien n’empêche de chercher dans l’analyse psychologique de notre nature, considérée dans sa partie supérieure et ses aspirations les plus nobles, des indices probables d’un état de déchéance : pro-