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PAUVRES (LES) ET L’ÉGLISE

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de la Compagnie du Sainl-Sacrement, saint Vincent de Paul fut à la fois le « grand aumônier de France » et le « Père delà Patrie ». L’ordonnance du Roi constatait que « les habitants de la plupart des villages de ses frontières de Picardie et de Champagne étaient réduits à la mendicité et à une entière misère », et aussi que « plusieurs personnes de sa bonne ville de Paris (surtout les confrères du Saint-Sacrement ) faisaient de grandes et abondantes aumônes fort utilement employées par les prêtres de la Mission de M. Vincent ». Aussi Sa Majesté prenait-elle ces derniers a en sa protection et sauvegarde spéciale », alin de leur assurer les moyens d’  « assister les pauvres et les malades et de faire en ces villages la distribution des provisions qu’ils porteraient, en sorte qu’ils fussent en pleine et entière liberté d’y exercer leur charité en la manière et à ceux que bon leur semblerait » (A. Feillet, La Misère au temps de la Fronde et saint Vincent de Paul, p. 346-2^9). Le saint avait donc une mission oflicielle pour la distribution des secours aux provinces de Picardie et de Champagne. Il en fut de même pour les autres provinces, car un acte de M. Vincent daté du ai juin 165a <i certilie à tous ceux qu’il appartiendra » qu’il a envoyé des secours en nature : pain, viande, viii, farine, etc. « pour l’assistance des pauvres malades de Palaiseau et des villages circonvoisins » (A. Keil-LET, loc. cit., p. a51-a53). Quant à la malheureuse Lorraine, nous savons que cinq à six millions de livres luifurent portés par le frère Mathieu Renard, lazariste, qui lit plus de cent cinquante voyages, tout chargé d’or, qu’il portait dans une vieille besace, pour dépister les voleurs.

Les besoins étaient tels qu’il avait fallu créer un organisme spécial. Un pieux laïque, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, Christophe Duplessis, baron de Montbard, conseiller du Roi en ses conseils d’Etat et privé, réalisa une œuvre conçue sans doute dans les réunions secrètes du jeudi. Il eut l’idée de créer un Magasin général de la Cliaritéoù seraient rassemblés tous lesdons en nature apportés par les âmes de bonne volonté ou recueillis par des quêteurs qui, avec des chariots, iraient de maison en maison implorer la charité publique, de préférence chez les bouchers, laitiers, bonnetiers et marchands de toutes sortes. Le résultat dépassa les espérances. Bientôt deux magasins furent installés à l’hôtel de Bretonvilliers et à l’hôtel de Mandosse, qui regorgèrent de marchandises gratuitement offertes. La corporation des bouchers offrit 6.000 livres de viande et celle des laitiers 2.000 à 3. 000 œufs par semaine. Une publication intitulée : Le Magasin charitable fut répandue à profusion, alin d’exciter la générosité du public, etdes Relations le renseignèrent sur l’emploi des fonds. De pauvres gens donnèrent de leur nécessaire (vêlements et chaussures) pour secourir leurs frères affligés, tandis que des Dames de la Charité, à l’exemple de Mme de Miraraion, vendaient leurs colliers de perles et leur vaisselle d’argent (A, Feillkt, op. cit., pp. 4^6-450).

Cette initiative, due aux efforts combinés de Duplessis-Montbard, de M. Vincent, de leurs confrères du Saint-Sacrement, des Prêtres de la Mission, des Dames et des Filles de la Charité, procura en 1653 des secours très importants à 198 villages, mentionnes dans le Magasin charitable.

Nous devons signaler, à la même date, un effort méritoire pour revenir à l’esprit des premiers siècles du christianisme ; on essaie non seulement de secourir le pauvre par des aumônes et des dons d’aliments, de vêtements et de médicaments, mais de le « rétablir en l’exercice de son^ métier », afin de lui per mettre de gagner honnêtement sa vie. C’est l’application du principe moderne de l’assistance par le travail.

Ici encore nous retrouvons l’influence de la Compagnie du Saint-Sacrement, qui crée dans toutes les paroisses de Paris des espèces de liliales, non plus secrètes, mais publiques, avec un but nettement déterminé. Les hommes seuls en font partie, ecclésiastiques et séculiers, comme nous l’apprend le curieux Règlement de la Compagnie instituée pour le restablissement des pauvres jumdles honteuses de la paroisse Saint-Eustache (1654) :

« Au Lecteur chrétien. — Mou cher lecteur, si tu as de

l’amuui’pour Dieu et de la compassiuu pour les pauvres qui sont ses membres, lu te rftjouirus sans doute d’apprendre le progrès qui se fait en lu paroisse de saint £ustaclie par une compagnie tormée depuis six mois afin de procurer tout le bien et empêcher tout le mal possible (c est la devise même de la Compagnie du Saint-Sucre ment) et surtout atin de res tu blir plusieurs honnêtes familles autant affligées par la honte de ieiir pauTroté que par leur pauvreté même. Cette sainte société est composée d’ecclésiastiques et de séculiers de toute sorte de conditions, qui s’emploient d’un commun accord et par une sainte jalousie à l’exécution de ce pieux dessein, ils n’ont point d’yeux pour les serviteurs inutiles qui croupissent dans 1 oisiveté et qui. comme les frelons, veulent vivre aux dépens des abeilles, mais quand ils rencontrent un sujet rempli de bonne volonté, et à qui il ne itiunque pour tr at’Uitler que de la matière et des /a* cnltt’i-, c’est alnrs qu’ils lui oupreni leur sein, qu’ils lui donnent moyen de se restablir en iexei cice de son r/iettier et de subsister arec sa famille. Leur churilé passe au delà du secours temporel ; ils insti-uisent ces lionnes gens dans les mystères de notre foi et les excitent à bien vivre… » {Soc. des Bibliophiles français, ia03. Réserve. Bib. Nai.)

Le même règlement nous fait entrevoir une autre espèce de charité.

a Leur zèle s’étend aussi à procurer une retraite aux filles débauchées qui songent sérieusement à changer de vie… Des dames s’occupent d’elles. Elles s’étudient de leur imprimer une vive douleur <le leurs désordres passés et de leur faire connaître l’obligation qu’elles ont de se nettoyer par les larmes de la pénitence de toute la saleté qu’elles ont prise dans la boue des plaisirs terrestres, et parce que le motif de cette Compagnie est purement surnaturel et sans m élance d’aucune police humaine, ils n’usent que de persuasion envej-s ces filles et ne les letiennent en celle sainte maison qu’autant qu’elles le veulent, n’estimant pas qu’une conversion puisse être de durée, si elle n’est entièrement libre.

« Toutes ces choses se font dans une ^ue très pure, 

dai ; s une soumission 1res grande et dans une union parfaite. La gloire de Dieu est la seule fin qu’ils se proposent … » [Ibid, )

En résumé, la charité est considérée au xvii » siècle comme une obligation proprement religieuse. Les fidèles se proposent de procurer la gloire de Dieu et de faire leur salut, mais en même temps ils agissent par surcroît pour le bien de l’Etat et de la communauté. Beaucoup d’entre eux ont le cœur assez large pour secourir non seulement les pauvres vertueux et catholiques, mais même les personnes débauchées, libertines ou protestantes, pour le » aider à sortir du mal moral ou de l’athéisme ou de l’hérésie. On ne s’occupe plus des mendiants d’une manière individuelle, puisque l’Hôpital général est créé pour eux.

Dans la seconde moitié du siècle, on se préoccupe de relever le pauvre, de le « rétablir », et à cet effet les compagnies de charité lui fournissent les outils et les marchandises dont il a besoin, de la soie, du cuir, delà laine. Les outils du pauvre ont-ils été engagés, par une dérogation à la règle générale on les lui rachète. « Par leur nature même, ces secours