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PAUL (SAINT) ET LE PAULINISME

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aveugle qui gouverne le monde et se confond avec lui. Comment peut-il être encore question de prière ? Que demanderait-on aux dieux ? Une dérogation à la destinée ? Mais cela est impossible ; cela est impie. Le bonheur et la vertu ? Mais cela dépend de nous seuls. Au point de vue stoïcien, Sénèqub a raison :

« Qaid yotis opus est ? Fuc te ipsiim felicem (Epist., 

XXX, 5). Qiiain stultum est optare, cum possis a le impetrare » (Epist., xli, i). La prière typique du stoïcien est contenue dans la formule de Gléanthe (J. VON Armm, Stoicorum veteriiin fragmenta, Leipzig, igoS, t. I p. iiS) recommandée par Epictktk (Èiichir., LUI) : et par SiiNÈQUB (Epist. ad Liicil., cvii, lo) : « Conduis-moi, Jupiter, avec la Destinée, là OÙ vous avez décidé de me conduire, afin que je suive de gré ou — si par malice je refusais — de force. »

AyO’j Se fx '&1 Zeû x « t ffù yr, ïisTipufJiév’O ' Onoi TToO û/ifv €i/it Stcf.r£7uy/j.ivOi 'ii ; i-pOfiKiy ' ».o/.yoç, y, v 5é ys _uïj fle'/w, Kc^fCç ysvofxtvoij oùciv rJTTOv k^po/J-at.

Prière aussi peu chrétienne que possible. Le stoïcisme était la philosophie du désespoir, tandis que le christianisme est la religion de l’espérance. Contre les maux de la vie, le stoïcien n’avait qu’un antidote, l’orgueil, qui lui faisait dire : Douleur, tu n’es pas un mal. Et si l’antidote ne suffisait pas, il restait toujours le suprême remède, le suicide. Sans la ressource du suicide, la vie, pour le stoïcien, vaut-elle la peined'ètrevécue ?Cen’estpasqu’iln’yaildans l’effort à sauvegarder sa dignité d’homme, dans sa philanthropie dictée par la raison, mais étrangère à la pitié qui est considérée par lui comme une faiblesse, et même dans sa triste résignation à la Fatalité, quelque chose de noble et de touchant ; mais rien qui ressemble à l’idéal chrétien. EpicTiiTH est regardé à juste titre comme le représentant le meilleur et le plus complet de la morale stoïcienne. Or voici ce qu’en dit un connaisseur qui s’est fait une spécialité de cette étude (Adolf Bonhoffer, EpUdet iind das Neiie Testament, Giessen, igii, p. iy8) : « A la lin de notre enquête sur l’inlluence exercée sur saint Paul par la philosophie, en particulier par la philosophie stoïcienne, nous constatons que les termes, les expressions et les idées qui de prime abord présentent un rapport frappant avec le stoïcisme, sont, à y mieux regarder, si différents et même tellement opposés qu’il est impossible d’admettre chez l’Apôtre une connaissance exactedela doctrinestoïcienne ni des emprunts voulus à cette doctrine. » On peut consulter les deux articles du P. Lagrange sur La philosophie religieuse d’Epictèle et le christianisme, dans la Jievue biblique, 1912, p. 5-21 et 192-212. Le P. Lagrange croit, comme Zadn, « qu'Épictète a lu saint Paul, et qu’il l’attaque indirectement, sans l’avoir bien compris)i. C’est possible, après tout ; quoique les preuves ne soient pas très fortes. Mais, l’hypothèse une foisadmise, noussouscririons volon- ; tiers à cette conclusion (p. 211) : « Epictèle a connu j l’existence du christianisme, il n’a pas cherché à l’approfondir. Il était incapable de le goùter, ne voulant accepter d’autre lumière que celle de la raison, d’autre point d’appui que la volonté, d’autre libération ou de salut que le don initial du libre arbitre. » De toutes les formes de la philosophie antique, c’est peut-être le stoïcisme et le pyrrhonisme qui sont le plus irréductiblement hostiles àlàvérité chrétienne, parce que l’un nie la raison et que l’autre la divinise.

2. Le paulinisme et les religions orientales hellénisées. — M. Jacquier a étudié, dans ce Dictionnaire, de façon très complète, la question des

Mystères païens et saint Paul ; M. d’Alès a examiné en particulier la rencontre de la Beligion de Milhra avec le christianisme. Il n’y a pas à y revenir ici. Nous signalerons seulement en peu de mots deux ou trois vices de méthode dont se rendent coupables plusieurs de ceux qui prétendent appliquer die religionsgeschichtliche Méthode, comme on dit en Allemagne, c’est-à-dire la méthode historique dans l'élude des religions comparées. A leurs assertions gratuites, on peut opposer le plus souvent une simple fin de non-recevoir.

i. Cercles s’icieux et paralogismes. — Pour tout chrétien et tout Israélite, les mystères du paganisme étaient l’abomination de la désolation, car ils imprimaient sur le front de leurs adhérents, encore plus que les autres pratiques superstitieuses, le sceau de l’idolâtrie. Il ne s’ensuit nullementqu’onn’ait pas pu tirer de là des comparaisons et des métaphores. Philon, qui parle avec un souverain mépris de ces initiations honteuses, amies du secret et de l’ombre, refuge des voleurs et des courtisanes (De sacrificantibus, Mangey, t. II, p. 260-1 ; Liber qnisquis liri. studet, t. 11, p. 44"). s’approprie sans scrupule, à l’occasion, la langue des mystères et s’en sert pour expliquer le sens symbolique des Ecritures (/Je Cherubim, l. II, p. 147 ; De sacrif.Abel et Cain, t. Ijp.l’jS). Même phénomène chez saint Justin et chez Clément d’Alexandrie. Ce dernier exploite en grand le vocabulaire des gnostiques et des mystères d’Eleusis, Voir Stromales, I, 28 ; II, 10 ; IV, -ïi ; V, lo-i 1 ; VII, 4, etc. II ne faudrait pas conclure, pour autant, qu’il admire ces initiations païennes et qu’il sente le besoin d’en enrichir le christianisme. On sait comment il stigmatise les cultes orgiastiques et les rites secrets d’Eleusis ; c’est pour lui le comble de l’ignominie et du ridicule et tous les païens sensés devraient en rougir (Protrepticus, 11, 21-28, édit, Stabhlin, Berlin, 1905, p. 10-17). Saint Paul pourrait donc aussi employer la terminologie des mystères, comme il emploie celle des jeux du stade et du théâtre, d’autant plus que cette terminologie était passée dans la langue usuelle ; mais ce qui est inadmissible, c’est la dépendance pour le fond des idées et l’emprunt conscient de ces rites idolâtriques.

« Quel pacte ou quel accord entre le Christ et Bélial, 

entre le fidèle et l’infidèle, entre le temple de Dieu et les idoles ? » (II Cor., vi, 15-16.) Ce qu’on a dit plus haut de la philosophie profane s’applique à plus forte raison aux pratiques païennes.

Le grand danger, dans l’histoire comparée des religions, est de prendre une analogie pour une imitation, une similitude de langue pour une dépendance d’idées. Les sages réflexions de Cumont (Les religions orientales, Paris, 1907, préface, p. xi-xiii) sont à méditer. Mais si l’imitation était démontrée, il faudrait examiner d’abord de quel côté elle se trouve (Ibid., p. xi) : « Dès que le christianisme devint une puissance morale dans le monde, il s’imposa même à ses ennemis. Les prêtres phrygiens de la Grande Mère opposèrent ouvertement leurs fêtes de l'équinoxe du printemps à la Pâque chrétienne et attribuèrent au sang répandu dans le laurobole le pouvoir rédempteur de celui de l’Agneau divin. » Les Pères accusent le diable, ce singe de Dieu, d’avoir inspiré ces parodies du culte chrétien. Il sepeul qu’ils se trompent. Encore serait-il bon d’examiner sans parti pris la question de priorité.

Pour juger des rapports entre deux grandeurs, il faut les bien connaître l’une et l’autre. Or la plupart des savants modernes qui prétendent appliquer la religionsgeschichtliche Méthode (Reitzenstbin, DieTERicH, Hepding et autres) peuvent être des philologues distingués, mais ils sont tout à fait étrangers