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PAUL (SAINT) ET LE PAULINISME

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derniers jours (II Tint., iv, ii). Luc resta toujours à côté de Paul prisonnier (Col., iv, 14 ; U Tim., iv, 1 1) et c’est auprès de lui qu’il composa son Evangile. Jamais homme fut-il mieux placé que Paul pour connaître, à fond et dans le détail, les paroles et les actes du Sauveur ?

Mais, dit-on, il s’en désintéresse. Son Christ n’est pas le Christ de l’histoire ; c’est le Christ mort et ressuscité, le Christ glorieux siégeant à la droite du Père, prêta revenir sur les nuées du ciel pour introduire les siens dans son royaume. Lui-même n’en fait-il pas l’aveu quand il écrit : « Désormais nous ne connaissons personne selon la chair ; même si nous avonsconnu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus » delà sorte (II Cor., v, 1 6). Arguer d’un texte aussi obscur, que chacun interprète à sa guise, n’est pas d’une lionne méthode. Mais passons. Le point capital est de savoir si la condition (îi' xv-l iymxy.ii.sv, si même nous avons connu) est réelle ou irréelle ; en d’autres termes, si Paul part d’un fait, concédé comme véritable, pour écarter un malentendu, ou s’il fait vme supposition imaginaire, pouvant fournir une conclusion a fortiori. D’après les meilleurs exégètes, la première alternative ne donne aucun sens acceptable, car elle revient à dire :

« Si autrefois nous avons méconnu le Christ, maintenant nous ne le méconnaissons pas. » Or le contexte annonce quelque chose d’inattendu, de paradoxal en apparence, au lieu d’un truisme. L’hjpotlièse

est donc irréelle. Ce n’est même pas, à proprement parler, une phrase conditionnelle, mais vine supposition faite arguendi causa. Le contexte donne à cette incise énigmatique un sens assez clair. Mort dans le Christ, le chrétien est un élre nouveau (II Cor., v, l’j), tenu de revêtir d’autres pensées, d’autres sentiments, d’autres affections, d’autres aspirations. Il ne doit plus connaître personne selon la chair. Même s’il avait connu le Christ selon la chair, il ne doit plus le connaître ainsi. Que l’expression selon la chair qualifie le sujet connaissant ou l’objet connu, cela n’importe guère ; puisque, de toute façon, leur relation mutuelle est changée par l’effet de la mort mystique du chrétien dans le Christ et qu’ainsi le mode de connaissance est lui-même modilié. Ce texte prouve bien que Paul converti a sur toutes choses des idées plus spirituelles, plus surnaturelles, mais non pas qu’il se désintéresse de la vie terrestre du Christ.

3. Paul et le Christ historique. — Certains critiques radicaux avancent hautement et plusieurs manuels de vulgarisation répètent avec assurance que Paul ne dit presque rien de Jésus, qu’il ne sait presque rien de Jésus. Pour apprécier le bien ou le mal fondé de ces assertions, ouvrons les Epîtres et relevons les traits qui concernent la vie du Christ. Avant de venir sur la terre, il préexistait dans la forme de Dieu (^Pliil., ii, 6), il possédait toutes les richesses du ciel (II Cor., ii, g). Au terme des préparations providentielles et au temps marqué par les décrets divins, il est envoyé par son Père pour accomplir son œuvre de salut (t^d/., iv, 4 ; I Cor., X, II ; Ilom., iii, 25-26 ; v, j). Jésus est la gloire du peuple hébreu (Rom., ix, 5), le descendant d'.braham (Gal., iii, 16), le fils de David (Rom., i, 3 ; XV, 12 ; Il Tim., ii, 8). Il naît d’une femme, sous le régime de la Loi (Gal., iv, fi), il vit au milieu des Juifs (Rom., xv, 8 ; I Ihess., ii, 15) et c’est Jérusalem qui est le centre de son Eglise (Gai, i, i-j ; Rvin., XV, 19-27). Il est vraiment homme, en tout semblable à nous (Rom., v, 15 ; I Cor., xv, 21-22 ; I Tim., ji, 5), hormis le péché (U Cor., v, 21). Il a des frères (I Cor., ix, 5), dont l’un, Jacques, tst expressément nommé (Gal., i, 19 ; f. 11, 9). Pour

collaborer à son œuvre et la continuer, il s’entoure d’apôtres (I Cor., ix, 5. 14 ; xv, 7.9), au nombre de douze (I Cor., xv, 5), dont trois, Céphas-Pierre, Jacques et Jean, sont mentionnés par leur nom (Gal., I, 18-19 ; "' 9)i nisis Pierre occupe parmi eux un rang hors de pair (I Cor., ix, 5). Jésus donne à ses apôtres l’ordre de prêcher l’Evangile et le droit de vivre de l’autel (I Cor., ix, 15), avec le pouvoir d’opérer des miracles (II Cor., xii, 19 ; cf. Rom., XV, ig). Après avoir mené sur la terre une vie de pauvreté (II Cor., viii, 9), de sujétion (Phil., 11, 8), d’obéissance (Rom., v, 16-19) et de sainteté (7?o ; /i., 1, 4), il se livre volontairement à ses ennemis (Gnl.,

I, 4 ; II, 20), aux Juifs qui le mettent à mort (1 Thexs., u, 19). L’institution de l’eucharistie estracontéeavec plus de précision que dans lesEvangiles (I Cor., xi, a3-26). Paul mentionne spécialement la trahison de cette nH » ( tragique, qui rappelle le sinistre nox erat de saint Jean (xiii, 30). Si la passion est décrite en traits généraux (I Cor., i, i^-îS ; P/n7., 111, 10), nous savons que l’Apôtre en faisait de vive voix aux catéchumènes une saisissante peinture (Gal., iii, i). U nous parle souvent de la croix (I Cor., 11, a ; Phil, ,

II, 8 etc.), du sang (Rom., iii, 25, etc.) et même des clous C’ol., 11, la). Les bourreaux de Jésus sont les Juifs (I Thess., 11, 15) et les princes de ce monde (Eph., 1, 7 ; 11 13). La passion a lieu vers la Pàque, au temps des azymes (I 6'or., v, 6-8), sous PoncePilate (1 Tim., vi, 3). La sépulture n’est pas oubliée (I Cor., XV, 4) parce qu’elle donne au baptême sa valeur figurative (/l’om., VI, 4 ; Col., II, 12). Mais Paul insiste davantage sur la résurrection au troisième jour (I Cor., xv, 4) et sur les diversesapparilions du ressuscité (I Cor., xv, 5-'j). Jésus-Christ est monté au ciel (F.plt., IV, 8-10), il est assis à la droite du Père (Eph., I, 20 ; II, 6), il reviendra juger les vivants et les morls(I Thess., 1, 10 ; iv, 16 ; II Thess., , '] ; Phil., m, 20).

Tel est le tableau sommaire que Paul nous trace lie Jésus. C’est plus qu’une esquisse ; c’est un portrait ressemblant et un dessin aux lignes fermes, que les cvangélistes pourront compléter mais sans en modifier l’expression.

Ce n’est pas tout : après les actes, les paroles ; après la physionomie du Maître, le précis de son enseignement.

Paul nous a seul transmis un motde Jésus quiprésente tous les carætèresd’authenticité (Ad., xx, 35 : Oportet suscipere infirmas ac meminisse verhi Ihimini Ji’su : 'ieatius est miii^is dare quam accipere).U reproduit les paroles de la Cène plus complètement que les évangélistes eux-mêmes, si l’onexcepte peutêtre saint Luc (I 6'or., xi, 24-26). En parlant du mariage (I Cor., vii, 10-11), il se réfère à l’enseignement du Christ, tel qu’on le trouve en saint Mathieu (xix, 3- 12) et en saint Marc (x, 212) et le dislingue expressément de ses propres préceptes (I Cor., vii, 10-12 cf : præcipio, non ego sed Dominas,.. Ego dico, non Dominas). Quand il proclame le droit qu’a l’ouvrier évangélique de vivre de l’Evangile (I Cor, , IX, 14 : Dominas ordinas’ii iis, qui Et’angeliiim annuntiant de Evangelio t’itère), on pense irrésistiblement aux dispositions prises par Jésus en faveur des hérauts de la foi (l.uc., ix, 7) et cette impression > se change en certitude en lisant dans saint Paul (I '/'('m., V, 18) la parole textuelle reproduite par saint Luc : Digniis est operarins mercede sua. Le sens le plus naturel est certainement de prendre la parole du.Seigneur (1 Thess., iv, 15 ; Hoc vobis dicimus in l’erbo Domini) non pas pour une voix intérieure, , mais pour une parole réellement prononcée par Jésus I au cours de sa vie mortelle.

L’Apôtre ne songe à légiférer en son propre nom