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PATRIE


lier de l’internationalisme. Les internationalismes sont plusieurs et, dans le nombre, il en est de raisonnables et de bienfaisants. Ceux-là mêmes qui ne le sont pas et qui encourent l’un ou l’autre des reproches que nous venons d'énumérer ou tous ces reproches ensemble, ne sont pas faits que de mensonges et d’erreurs. Il faut se garder de rejeter en bloc, comme servant de masque à l'égoisme antisocial des individus et des partis, toutes les idées de solidarité humaine, de paix, de fraternité universelles, que les antipatriotes opposent à l’idée de patrie pour les exploiter contre elle. La faveur dont elles jouissent est faite sans doute, pour une grande part, d’hypocrisie et, pour beaucoup aussi, d’illusions ; mais parmi ces illusions, il en est de généreuses et l’on trouve, à côté d’elles, un certain nombre d’idées, généreuses aussi, qui ne sont pas des illusions.

La faiblesse de ces internationalismes néfastes et de l’anlipatriotisme, qu’ils professent à peu près tous, est, d’une part, dans leur origine et, d’autre part, dans leur argumentation contre la patrie. C’est par là qu’il faut les attaquer pour bien se défendre contre eux.

Leur origine ? Elle est dans ce que Louis VeuilLoT appelait si bien « le cœur arrogant et bas de l’homme qui se fait Dieu ». L'égoisme et l’orgueil, — ces deux ennemis nés de la « cité de Dieu », — sont aussi les ennemis nés du patriotisme et de la patrie. Ils ont horreur de l’obéissance, de la gêne, de la douleur et de la mort, qu’ils considèrent comme les pires des maux, alors que la vie sociale et la vraie fraternité sont faites de ces sacriûces. Ils proclament le droit de l’homme à « vivre sa vie » sans autre règle que la raison, indépendante et souveraine ; et de ce rationalisme antisocial naissent aussitôt l’esprit d’individualisme et l’esprit de libre examen, dissolvants terribles de toute morale, de toute croyance et, par suite, de toute patrie. « Car, observe à bon droit Brumbtikrb, à qui la raison raisonnante, » — ajoutons : sans autresclarlés que les siennes — « à qui la raison qui calcule a-t-elle jamais conseillé… de se dévouer aux intérêts des générations qu’il ne connaîtra pas ? à qui, de donner sa fortune ou sa vie pour la liberté, pour la justice, pour la vérité? A personne, vous le savez bien ! Ce qui est « raisonnable » et surtout n rationnel », c’est de songer d’abord à soi ! Ce qui est « rationnel », dès qu’on le peut sans danger, c’est de s’excepter soi-même du malheur ou <lu deuil publics ! Et n’a-t-on pas vvi des gens très sages en tirer prolit ? Ce qui est n rationnel x, c’est de jouir de la vie présente, car qui sait si le monde durera jusqu'à demain ? Et toutes ces choses

« rationnelles » sont ce qu’il y a de plus contradictoire à l’idée de patrie. » (Discours de combat. L’idée

de patrie)

Plus d’attache au sol, en effet, plus de lien avec les ancêtres, plus de solidarité ni de conscience nationales, si l’individualisme l’emporte : et c’est pour cela que la Révolution, faisant table rase du passé, divinisant la raison, exaltant l’individu, devait fatalement aboutir à la négation de la patrie et à la dissolution de la nation. Rien de plus convaincant, à cet égard, que le langage des révolutionnaires d’hier et d’aujourd’hui, Gdèles continuateurs du jacobinisme d’autrefois. Sans le chercher dans les feuilles du i défaitisme » ou du « bolchevisme » contemporain, je le prendrai dans une enquête ouverte en igoS par une revue sérieuse et à prétentions scientifiques, Le Mouvement socialiste. Voici ce que l’on put y lire :

« Que le prolétaire se fasse une obligation irraisonnée d’aimer sa patrie, c’est le comble de labétise

et de l’inconscience. On ne peut aimer que ce que

'on possède en propre, ce qui procure quelque joie ou écarte toute peine, toute souffrance, toute insécurité. Tel n’est pas le cas de l’ouvrier, qui ne connaît de la patrie que les lourdes charges qu’on lui impose en son nom. » Ainsi parlait le citoyen Villeval, secrétaire des correcteurs typographes de Paris, it La Patrie est une question de sentiment ; le sentiment, lorsqu’il est raisonné, est une question d’intérêt ; la palrieest donc une question d’intérêt. » Ce beau sorite est du citoyen Yvetot. « L’ouvrier ne peut pas être patriote… car son raisonnement de prolétaire… lui dit que tous les travailleurs sont frères et que sa véritable patrie est où il trouve le summum de bien-être et de liberté » : c'était le citoyen Hervier, secrétaire de la bourse du travail de Bourges, qui le déclarait. Tel était aussi l’avis du citoyen Richaud, secrétaire de la bourse du travail de La Seyne, près Toulon : k La patrie des ouvriers ? disait-il ; c’est leur ventre et celui de leur famille. »

« C’est le lieu où ils mangent », déclarait le citoyen

Robert, secrétaire de la fédération des syndicats de peinture. Le citoyen Niel, secrétaire de la bourse du travail de Montpellier, ne pensait pas autrement :

« L’ouvrier qui aimerait sa patrie avant d’aimer sa

classe sociale, expliquait-il, serait celui qui attribuerait plus de valeur aux besoins moraux du cœur qu’aux besoins matériels de l’estomac, ce qui nous parait irrationnel et antinaturel. « Et le citoyen Vedel, secrétaire de la botirse du travail de Thiers, en était assez convaincu pour ne pas pouvoir imaginer même qu’il pût u venir à l’idée d’aucun prolétaire conscient de risc|uer sa vie, sa santé, ce qu’il a de plus précieux, ce qui ne peut se remplacer, pour une patriedont il n’a à retirer aucunavantage ». (Année igoS, p. 6g, 466, 206, 325, 222, 462, 65)

Voilà le langage de ces gens là.il n’a pas changé depuis lors. Rien ne révèle mieux l’individualisme forcené qui fait le fond de leur doctrine et qu’ils dissimulent sous tant de mots d’un sens contraire : syndicalisme, solidarisræ socialisme, collectivisme, humanitarisme. Au fond, d’ailleurs, ni le capitalisme n’appliq<ie une autre doctrine lorsqu’il transforme les Etats et les patries eninstruments de lutte économique ou, comme l'écrivait le député Guieysse dans le.Mouvement socialiste, n en vastes associations de financiers, de commerçants et de chefs d’industrie pour la conquête du marché universel c ; ni les intellectuels ne raisonnent dune autre façon lorsqu’ils prétendent conférer à chaque petit groupe humain et à chaque individu le droit de choisir sa patrie ou de n en vouloir aucune ou de s’en faire une à sa fantaisie. L'égoisme du cerveau n’est pas d’une autre essence que celui du portefeuille ou de l’estomac ; et le libre examen ou la libre pensée, dont il se réclame, n’ont rien de moins pernicieux.

Quant à l’argumentation de tous ces anlipatriotes contre la patrie, elle se fonde toujours sur le même sophisme : la patrie n’aurait pas de réalité extérieure ; à l’idée de patrie, rien ne correspondrait en dehors de nous ; ce serait une création arbitraire de notre esprit, un préjugé sans fondement. Voilà leur point de départ commun. Ils cherchent ensuite comment ce préjugé a pu naître, pourquoi il s’est enraciné. C’est alors qu’ils se partagent sans s’opposer, chacun cherchant une explication dans le domaine habituel de ses préoccupations. S’ils en veulent à la propriété, la patrie est à leurs yeux une invention machiavélique des possédants. S’ils en veulent à l’autorité ou seulement à la discipline ou à la guerre, la patrie est, à les entendre, un préjugé introduit par les gouvernants dans l'âme populaire au moyen d’un enseignement tendancieux pour se procurer