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PATRIE

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intéressant et le plus important, — le nationalisme tend donc naturellement à subordonner au patriotisme tout l’ensemble et tout le détail de la politique intérieure et extérieure de cet Elat. Il en résulte que les distinctions et les bornes posées par la théorie scienlilique du patriotisme s’imposent également au nationalisme. Les conséquences de ce principe sont considérables. Je noterai seulement ici celles qui ont le plus d’intérêt présentement.

a) La nation et sa patrie n’ayant pas de frontières déterminées et l’Etat n’ayant d’autres frontières de droit que celles qui lui ont été ou lui sont imposées en fait sans violation de ses droits, la théorie dite des frontières naturelles est dépourvue de tout fondement scientifique ou juridique. Elle vaut, en droit, exactement ce que raient les raisons de fait en vertu desquelles les frontières dites « naturelles » sont réclamées dans chaque cas particulier. Cette réclamation peut être juste, mais elle ne l’est pas nécessairement dans tous les cas et par cela seul que l’on démontre ou prétend démontrer que les frontières en question sont « naturelles ». On ne saurait donc approuver un nationalisme qui travaillerait, sans autre motif valable, à l’extension de l’Etat national jusqu'à ses « frontières naturelles ».

/)) La nation et la patrie ne se confondant pas nécessairement avec l’Etat, le principe des nationalités, qui pose le droit de toute nation à se constituer en Etat ou, selon une formule plus récente et plus compréhensive, le droit des peuples à disposer d’euxmêmes, n’a aucun fondement scientilique ou juridique naturel. U se peut qu’une nation, incorporée dans un Etat avec sa patrie, ait le droit de se séjiarer de cet Elat pour s’incorporer à un autre ou former un nouvel Etat ; mais ce ne sera jamais en vertu du préten.lu principe des nationalités ni du prétendu droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce sera en vertu de circonstances accidentelles qui l’auront déliée de ses devoirs envers l’Etal auquel elle est incorporée ou qui auront rendu celle incorporation illégitime (voir ci-dessus : Paix et Guerre, p. I2y6).

Lorsque l’Etat et la nation ne coïncident pas, et à supposer que l’incorporation de la nation à l’Etat ait été dès l’origine ou soit devenue plus tard légitime, l’Etat a le devoir de reconnaître et de sauvegarder l’existence et les intérêts de la nation qui lui est incorporée en totalité ou en partie, et cela dans toute la mesure compatible avec son existence, à lui, et ses intérêts les plus généraux, parce que l’Etat n’a pour raison d'être que sa mission de procurer le bien commun de ses membres, individus ou collectivités, ce qui l’oblige tout d’abord à respecter leur existence et à servir les intérêts de chacun d’eux dans la mesure compatible avec l’intérêt de tous. L’Etat a aussi le devoir de faire, dans son sein, à cette nation, une place en rapport avec les services qu’elle lui rend. Ses obligations et, par conséquent, les droits de la nation vis-à-vis de lui, ne vont pas plus loin. S’il cesse de remplir ses devoirs, la nation est en droit d’agir pour l’y contraindre : c’est le droit de tout opprimé contre un injuste oppresseur. Si cette action reste sans effet et si la sécession apparaît manifestement, d’une part, comme réalisable sans que la nation opprimée en soutire plus que de l’oppression ; d’autre part, comme le seul moyen qui puisse soustraire la nation à cette oppression injuste ; alors seulement, la nation a le droit de « disposer d’ellemême » pour former un nouvel Etat ou s’incorporer à un autre.

Que s’il s’agit, pour la nation, non plus de se séparer de l’Etat dont elle fait partie, mais de ne pas être incorporée malgré elle à un autre Etat par convention ou conquête (annexion), il y a lieu de faire une

distinction. Dans le cas de cession amiable, l’E cédant ne fait qu’user de son droit et, par suite, nation ou partie de nation cédée ne peut îégitimemt rien faire pour s’opposer à la cession, quand ce cession est nécessaire pour assurer l’existence ou intérêts majeurs de l’Etat cédant, car on est ak dans un cas où l’intérêt particulier d’un membre l’Etat (la nation cédée) doit être sacrifié à l’intéi général. Dans le cas d’annexioffo la suite d’une guen le vaincu a toujours le droit de s’assurer la pai.x prix de cette annexion ; quant au vainqueur, il < aussi dans son droit si l’annexion est justifiée p une des raisons qui légitiment la guerre elle-mêi (légitime défense ; nécessité de se faire justice à s^ même à raison d’un droit violé ou d’un domma injustement subi ; nécessité d’user de contrainte co tre l’Klat adverse pour l’empêcher de commettre mal. Voir ci-après, III, 3°, n" 8 et g et ci-dessus Pa ET GuERRK, 126' ; , ij68. La question du principe d nationalités est traitée avec ampleur dans l’ouvra de U..loHANNET cité à la bibliogr. ci-après et qui t à consulter).

c) De ce qui précède, il résulte que les exigenc du nationalisme et du patriotisme se trouvent pi niées, en certains cas, par les devoirs de l’indivic ou des collectivités envers l’Etat dont ils font parti Elles ne sauraient donc être considérées comme abs lues. Elles doivent céder, notamment, c’est l'éviden même, devant celles qui priment les devoirs c citoyen par lesquels elles sont primées. Telles son en particulier, toutes celles qui dérivent de l’un di deux grands principes de la liberté humaine dai l’ordre social : — « Rendez à César ce qui est à Césj et à Dieu ce qui est à Dieu. — On doit obéir à Die plutôt qu’aux hommes. » Ni le civisme ou le loyi lisme politique, ni le patriotisme national ne sai raient, par exemple, légitimer une injustice, mên en la légalisant, ni dispenser un catholique d’obéi en matière religieuse, aux ordres de l’autorité eccl. siastique compétente.

C’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue quand o parle, comme on le fait si souvent et avec raisoi depuis 1914. de j l’union sacrée » nécessaire au sali de l’Etat et de la patrie. Pratiquer cette union es pour tous les Français, un devoir civique et patrie tique tout ensemble ; mais cela ne saurait implique pour aucun d’eux le devoir ni la permission d’er freindre la loi morale ou de renier leurs croyance religieuses, ne fiil-ce qu’en les dissimulant oue : acceptant ce qu’elles condamnent.

Trop de gens ont conçu l’union sacrée conim Rousseau concevait le contrat social : une collaboration rendue possible par une abdication générale Chacun renoncerait à sa liberté, à ses droits, à se ; convictions, pour ne plus s’occuper que de défendri la patrie, la nation, l’Etat ; puis de les faire triompher et, enfin, de leur assurer les profits de cettt victoire. Cette conception n’est pas seulement chimérique ; elle est monstrueuse. Loin d’exiger une abdication, l’union sacrée n’exige même pas un retranchement quelconque. Ce n’est pas dans ce que chacun croit, pense ou veut, qu’elle exige un changement, mais seulement dans la façon dont chacun considérait et traitait jadis ceux de ses compatriotes qui croyaient, pensaient ou voulaient autre chose. Et encore, en cela, comme l'écrivait naguère un homme politique de premier plan, « il ne faut pas parler de tolérance, — la tolérance est une concession, — mais de liberté, — elle estun droit inaliénable. Est-il besoin, ajoutait-il, d’un si grand effort pour s’aimer et se respecter les uns les autres ? » (BarTHOD, Revue hebdomadaire, 10 mai 1919, p. 158). Cel amour, ce respect entre concitoyens, suffisent à