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MARIE, MÈRE DE DIEU

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Et d’abord à l’occasion du miracle de Cana.

Joan., II, i-iï.

Il se fit (les noces à Caua en Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus fut aussi convié, avec ses disciples, a ces noces. Or, le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui dit : « Qu’y a-til entre vous et moi, femme -’Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mcre dit aux serviteurs ; « Faites ce qu’il ous dira. » Il y avait l : * » si.^ urnes de pierre, destinées aux ablutions des Juifs, contenant chacune deux ou trois métrules. Jésus leur dit : « Emplissez ces urnes d’eau. » Il les emplirent jusqu’en haut, il leur dit ; « Puisez maintenant et portez au niaiire du festin. » Ils eu portèrent. Le maître du festin, ayant goûté l’eau changée en vin — il ne savait pas d’où venait ce viii, mais les serviteurs, qui avaient puisé l’eau, le savaient bien — interpelle l’époux et lui dit : (i Tout le monde commence par servir le bon vin. et quand les convives sont ivres, le moins bon ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu à cette heure. »’1 el fut le premier miracle de Jtsus, à Cana en (ialilée ; il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui.

Ici encore, on a souvent dénonce la froideur et la dureté de Jésus envers Marie. Ne lui déclare-t-il pas qu’il ne veut avoir avec elle rien de commun ? El cette appellation : « Femme », est-elle bien d’un lils parlant à sa mcre ? Jésus déclare que son heure n’est pas venue. Et puis il cède à l’importunité de Marie, non sans donner à entendre qu’on lui a forcé la main.

L’accusation coniportebien des nuances. îs’ous ne la mettrons pas tout entière au compte de saint Iré-Niiiî, qui pourtant note assez durement laflnde nonrecevoir opposée par Jésus à sa mère, Adv. llær., III, XVI, 7, /". G., VII, 976 B : repelUns eiiis intempeslivam festinationcm Mais les Manichéens ontprétendu trouver ici la preuve que Marie n’étaitpas réellement mère de Jésus ; voir saint Augustin, Inloan., Tr., viii, 5, P. i., XXX, I/J52. Saint Jean Chrysostome soupçonne Marie de quelque intention vaniteuse. In loan., Ilom. XXI, a, P. ( ;., LIX, 130, et saint Maxime de Turin, commentant la réponse du Seigneur, écrit, Ilom. xxiii, P. /.., LVII, 2^5 X : Ilæc ierha indigiiaittis esse quis diibitet ? Les protestants accusent volontiers Jlarie d’ingérence indiscrète ou d’empressement.

Regardons-y de plus près.

Les termes de la requête de Marie ne justifient pas ces appréciations sévères. On ne saurait trouver un terme de comparaison plus exact que les propres paroles de Jésus, en présence d’autres nécessilcs encore plus pressantes, par exemple pour cette fou le qui l’avait suivi au désert et mourait de faim ; oir Mal., xiv, 14 sqqj XV, 3-2 sqq. ; Marc, vi, 34 sqq ; viii, 2 sqq ; I.iic, , IX, II sqq ; loan., vi, 5 sqq. Le Vinum non liahent de Marie est comme le pendant du Misereor super turhain. La compassion que Jésus manifesta devant ses disciples, pour cette foule en détresse, pourquoi Marie ne l’aurait-elle pas manifestée devant son Fils, pour des parents ou des amis en proie à un cruel embarras ? D’ailleurs on doit remarquer tout ce qu’elle met, dans ses paroles, de réserve et d’abandon. Une fois la nécessité signalée à celui qui peut y porter remède, elle n’insiste pas, mais dit simplement aux serviteurs d’obéir, quoi que Jésus commande. Car elle ne doute ni du cœur de son Fils ni de sa puissance.

Mais que dire de la réponse de Jésus ? Saint Bernard s’écrie, /h Di>m. II post Oct. Epipbnn., ’^ermo 11, 5, P. t., CLXXXIII, 160 : ’S'^ous demandez ce qu’il y a entre vous et Marie, Seigneur ? Alais n’est-ce pas ce qu’il y a entre un fils el sa mère ?… » On ne saurait mieuxposer l’objection. Resleàdonner à l’interrogation de Jésus l’acccnlqu’elle comporte. La formule liébra’ique "T7l ^^ niO ne marque nécessairement ni complaisance ni rudesse, et comporte dans l’Ancien

Testament des nuances multiples : voir los., xxii, 24 ; ludic, XI, 12 ; Il Sam., xiv, 5 ; xvi, 10 ; III lig., XVII, 18 ; W lig., IX, 18 ; Il Par., xxxv, 21 ; A., ixii, i. etc. Si, dans le livre du N. T., nous la retrouvons, avec un accent très rude, sur les lèvres des possédés parlant à Noire-Seigneur, Mail., viii, 29 ; Marc, I, 24 ; V, 7 ; Luc, IV, 34 ; viii, a8, il ne faut pas tirer de ces passages des conclusions hâtives. Ici, elle traduit sans doute une lin denon-recevoir ; mais doit s’expliquer par le contexte.

Femme — ywvt —. « Cetteappellation, trèscommune dans leN. T., sembleavoirrevctu, dans la bouche d’un maître ou d’un prophèleparlantà sa mère, une nuance de respect comparable au ;)/ « (/ « ; «  « de la politesse princière )i(Dii L.BROisE, /a Sainte Vierge, p. 161). Noire-Seigneur parle de même à la Ghananéenne dont il loue la foi,.Vati., xv, 28 ; à une femme qu’il guérit dans une synagogue, un jour de sabbat, iuc., xiii, 12 ; à la Samaritaine, à qui il se fait connaître comme le Messie, luaii., iv, 21 ; à la femme adultère qu’il renvoie absoute, loan., viii, 10 ; à Marie-Madeleine, après sa résurrection, xx, 15 ; de nouveau à sa mère, du haut de la croix, à l’heure du suprême adieu, loan., XIX, 26. A Cana, la solennité de la formule souligne la gravité de la réponse : Jésus a inauguré un ministère où les droits de sa mère sur lui sont inopérants ; elle l’a donné une fois pour toutes au Seigneur, et ne doit pas le reprendre. Jésus réédite la parole qu’il a prononcée autrefois dans le temple lorsqu’il fut retrouvé ; il y met autant de fermeté sans } mettre plus d’àpreté.

« Mon heure n’csl pas encore venue. » Et de quelle

heure s’agit-il ? On l’a entendue de l’heure de la Passion ; ainsi saint Augustin, In loan., Tr. viii, 9, P. /.., XXXV, 1^56. Et cette interprétation peut s’autoriser d’autres passages en saint Jean : h Stpv. kùtcû, VII, 30 ; VIII, 20, cf. Xlil, I, ô xkcm ; à iyoç, ii, 6. 8. Mais elle ne répond pas au contexte, orienté vers la manifestation de sa puissance miraculeuse. Avec plus de raison encore, on rapprochera d’autres passages : v, 25 ; XII, 23, et l’on entendra que Jésus ne veut pas se laisser entraîner avant le temps à prodiguer les miracles.

Mais alors, comment expliquer qu’il se rende finalement à la requête de sa mère ? N’y a-t-il pas contradiction entre ses paroles et ses actes ? Et l’attitude prise par Marie ne demeure-t-elle pas condamnée en principe ? Pas nécessairement. L’heure de la grande manifestation n’était pas venue ; tout à l’heure Jésus paraîtra dans le temple, el afiirmera sa mission en chassant les vendeurs : Ii>an., 11, |3 sqq. ; ce sera le signal décisif de sa prédication. Mais il prélude aujourd’liui à celle manifestation éclatante dans un cercle plus intime, cercle de famille el de disciples : c’est là une exception qu’il accorde à, la requête de Marie. Il entrait dans les desseins de la Providence de procurer à la mère du Rédempteur cette glorieuse initiative et de mettre sa médiation à l’origine même des miracles de Jésus. Cf. /s., ix, i-2 ; Malt., IV, 15-16. Sur ce premier miracle, repose la foi des disciples et le fondement de l’Eglise, et son importance apparaîtra bientôt : quand Jésus osera chasser les vendeurs du temple, la foule l’entourera et lui demandera par quel signe il autorise sa mission. Rien peu croiront en lui ; mais les disciples se souviendront el croiront, loan., 11, l’j sqq. Tout cela est dû à Marie.

La solution que nous venons d’apporter suppose la ponctuation ordinaire. Une autre ponctualion, attestée par Tatien (texte arabe édité par CiASCA, Rome, 1888), et par Saint Grégoire db Nysse, {In illiid : Qiiando sihi subiecerit omnia, P. G., XLI’V, 1308 D), supprime toute difficulté en donnant