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MARIE, MÈRE DE DIEU

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avec I10U3 ? Votre père et moi, affligés, nous vous cherchions. 1) Il leur repondit : « Pourijuoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois aux choses île mon Père ? » El ils ne comprirent pas la pjirole qu’il leur avait dite. [Jésus] descendit avec eui et vint à Nazareth, il leur était soumis. Et sa mère con-ervait tous ces souvenirs dans

son cœur.

Pour la première fois, dans cette scène évangclique, Jésus agrit, il parle : or on a cru découvrir dans sa conduite quelque hauteur ou quelque froideur envers sa mère ; dans la conduite de Marie, quelque ignorance et quelque indiscrétion. En effet, Marie et Joseph’se montrent incapables de veiller sur Jésus. Jésus se dérobe à la vigilance de Marie et de Joseph. Retrouvé après trois jours, il est l’objet d’un alTeclucux reproche ; lui-même répond sur un Ion de reproche, en affirmant sa résolution de s’émanciper. L’évangélistenote expressément que, sila réprimande de Marie ne fut pas acceptée, la réponse de Jésus ne fut pas comprise. De toute façon, le personnage de Marie est mis à mal par la narration.

Ce commentaire, dont nous accusons à dessein les traits, a été souvent esquissé par des plumes trop sûres d’elles-mêmes. Nous ne saurions y souscrire.

Avant tout, remarquons l’extrême candeur de l’évangéliste. Il ne craint pas de mettre sur les lèvres de Marie, parlant à Jésus, cette expression qui, à tout autre, donnerait le change sur le rôle de Joseph dans la sainte famille : « ’Votre père ». Et par trois l’ois, lui-même prend à son compte cette désignation collective qui met Joseph sur le même pied que Marie : « Les parents de Jésus », cl yautî ; aCroû (27. lit. 43 ; cf. 33 : à nv.z’co aùroO xv.l ri /j.r, Tr, p), De la part de l’évangéliste à qui nous devons le récit de l’Annonciation, cette liberté de langage en dit long : le texte de saint Luc est complètement exempt d’arlitice ; il demande à être lu dans l’esprit même où il fut écrit. Comme l’écrivain est sans défiance à l’égard du lecteur, il faut, sous peine de ne le pas entendre, garder présent à l’esprit ce qu’il ne prend pas la peine de redire, parce que c’est dit et bien dit.

Reprenons donc l’examen des faits.

Il est sûr que Marie et Joseph perdirent de vue Jésus, lors du départ de Jérusalem. Probablement ils s’étaient reposés du soin de l’enfant l’un sur l’autre ; d’ailleurs Jésus se montrait constamment si soumis que rien ne faisait prévoir un acte d’indépendance. Son absence, au premier soir du voyage, émut douloureu< ; ement Marie qui, pour la première fois, commença de sentir la pointe du glaive prédit par Siméon. L’incertitude et l’angoisse durèrent jusqu’au surlendemain.

Après trois jours, Jésus est retrouvé dans le temple, oti il a préludé à son ministère évangélique par des questions et des réponses qui remplissent de stupeur les maîtres en Israël. L exclamation de Marie jaillit du cœur d’une mère ; il ne faut pas l’oublier. Comment l’angoisse de ces trois jours ne se répercuterait-elle pas dans ce premier cri de la tendresse maternelle ? Toute à la joie de la rencontre soudaine, Marie ne peut pourtant pas oublier ce qu’elle a souffert ; sans nulle amertume, mais avec nnadectueux abandon, elle en fait l’aveu à son Fils, et lui demande le pourquoi. Ce pourquoi est le pendant du comment dit à l’ange, au jour de l’Annonciation. Là, il n’y avait nulle nuance d’incrédulité ; ici, nulle nuance de reproche.

Ce point n’est pas le plus délicat. Mais la réponse lie Jésus sonne durement à nos oreilles. N’est-ce pas une leçon, et une dure leçon ?

Disons d’abord qu’il ne faut pas isoler cette parole du contexte qui nous montre expressément, durant les trente ans de sa vie à Nazareth, Jésus soumis à

Joseph et à Marie (51). A son programme de vie dépendante et cachée, l’Evangile nous le montre dérogeant une fois, une seule l’ois ; et la raison de cette dérogation n’est pas difficile à découvrir. Si éclairés, si saints, que fussent Marie et Joseph, ils avaient encore quelque chose à apprendre touchant les mystères du royaume de Dieu. Ils avaient notamment à pénétrer l’économie surnaturelle du message apporté par Jésus au monde, et à mesurer la dislance infinie qui sépare les choses du ciel des choses de la terre. C’est pourquoi Jésus jugea nécessaire d’allirmer à leurs yeux un principe, celui de la souveraine indépendance de son ministère évangélique, comme s’il avait pu redouter pour son apostolat l’importune prescription de leur tendresse. La date qu’il choisit pour cette manifestation unique n’est pas indilférente. C’est à l’âge de douze ans que l’enfant juif était conduit par son père à la synagogue et prenait rang parmi leshommesd’Israël. Jésus nevoulut paslaisser passer cette date solennelle sans affirmer — une fois — qu’il était autre chose que le fils de Joseph. Le principe une fois posé, et la prescription des affections de famille tine fois rompue, il pouvait rentrer dans l’ombre de Nazareth, redevenir l’enfant soumis que nous montre saint Luc. La semence déposée par lui au cœur de Marie et de Joseph allait se développer, et, le temps venu, trouver Marie disposée au sacrifice requispar l’apostolat de Jésus. Maisle temps devait faire son œuvre. La parole dite aujourd’hui par Jésus est de celles qui ne furent pas aussitôt comprises ; l’évangéliste nous l’apprend. Et tout de suite il nous montre, dans la paix de Nazareth, où Jésus n’occupe que le troisième rang, Marie repassant ces souvenirs en son c-eur, pour en extraire le suc et se pénétrer toujours plus des enseignements contenus dans la carrière terrestre de son Fils.

Remise dans cette lumière, la parole de Jésus à Marie apparaît l’expression d’une leçon sans doute, mais non pas d’un reproche. La leçon est haute ; elle est donnée fermement ; elles’adresse à des âmes bien préparées, qui, Dieu aidant, se l’assimileront. La conduite de Jésus, que Marie et Joseph retrouveront demain à Nazareth, simplement docile à leur autorité, contribuera plus efficacement que bien des discours à fixer dans leurs esprits la portée exacte de l’enseignement qu’une fois pour toutes il a voulu leur donner. Ajoutons que laleçon était nécessaire ; d’autant plus nécessaire que le plan divin associait plus étroitement Marie et Joseph à la destinée terrestre de Jésus Un jour viendra où Jésus, parlant à un disciple qui lui demandera la permission d’aller ensevelir son père, répondra : « Suis-moi, et laisse les morts ensevelir leurs morts. ii(3/a »., v)ii, 22)Et il posera en loi générale : « Je suis venu séparer l’homme de son père et la fille de sa mère… Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi. » {.fall., x, 35. 37) Si telle est, dans sa plénitude, la loi de détachement qu’il prêche, pouvait-il bien la laisser ignorer de ceux qui le touchaient de plus près ? Pouvait-il bien ne la pas enseigner par son exemple à ceux qu’il mettrait en demeure de l’observer après lui ? Qu’on y réfléchisse, etl’onsentira la haute convenance de l’attitude prise exceptionnellement i)ar Jésus, aussi bien que la portée universelle delà leçon.

Par la réponse qu’il fit à Marie dans le temple, Jésus avait marqué avec un tact divin le point où expire la mission providentielle de la famille et où doit s’affirmer la liberté de l’apôtre. Cette liberté s’affirmera encore en diverses circonstances, qui ont paru jeter quelque ombre, soit sur la perfection morale de Marie, soit sur la tendresse de ses relations avec son Fils.