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PAPES D’AVIGNON

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Sainte Biigilte fait appeler par le Christ Clément amator carnis ; lievelationes, éd. Rome, 1628, lib. VI, p. 63. Enfin, d’après le Chronicon Eslense, le pape " vécut dans la luxure » ; Moratori, Rerum llalicarum scriptores, t. XV, col. 4^3.

De tous ces propos malveillants que convient-il de retenir ? D’abord, écartons comme empreints de partialité les témoignages de Matbias deNeuenbuig, de Thomas Burlon, de sainte Brigitte et des auteurs du Chronicon Esteiise. Tous sont plus ou moins victilimesde leurs préjugés. Mathias deNeuenlmrgcalomnie Clément VI, parce qu’il ne lui pardonne pas d’avoir concouru à perdre Louis de Bavière ; voir J.K. B()HMtR, op. cit., p. 227-230, 231-231. Thomas Burlon écrit trop tardivement pour mériter créance. Son animoslté contre la cour pontificale paraît à tout instant dans sa chronique. Sainte Brigitte eslviclime de ses illusions franciscaines. L’amour de la pauvreté la pousse à blâmer le luxe qui régne à la tour d’Avignon et les fêtes qui s’y donnent. En tout cas, elle ne parle pas en témoin oculaire. Le Chrontcon Estense a été rédigé loin d’Avignon, en Italie.

Mathieu Villani n’a pas non plus vécu en Avignon. Comme Jean, son frère, il aimait recueillir tous les racontars qui se colportaient de-oi, de-là. Il n’en garantit pas l’aulbenticité. Il se contente de narrer, afin d’intéresser son lecteur. Certes, la <our de ClémenlVI fut une des [dus brillantes de l’Europe, au XIV siècle. C’était le rendez-vous d’une nombreuse noblesse, égayée par des fêtes, des bals ou des tournois. Les dames la fréquentaient EllesUguraient, dans les livres de comptes delà Chambre.postolique, sous le nom de « dames de la famille du pape ». Elles furent, peut-être, plus noml)i’euses sous le pontificat de Clément VI, parcequo le pape avait beaucoup de belles-sœurs, nièces, cousines ou alliées. On sait aussi que Géciïe, comtesse d’Urgel, puis vicomtesse de Turenne à partir de 1346. Jouit d’un grand crédit près de Clément. Elle acquit de grands biens sous son pontificat, surtout en vendant la vicomte de Tarenne à Guillaume Roger de Beaufort, neveu du pontife. D’humeur impérieuse, elle dut s’attirer la haine des courtisans. "Tout cela accrédita les bruits malveillants qui circulaient contre la vertu du Saint-Père.

Mais, n’oublions pas qu’un prélat retors, astucieux, dénué de scrupules, gouvernait Milan et cherchait à accaparer la prépondérance en Italie, aux dépens de la Papauté. La calomnie ne coûtait guère à Giovanni ViscoNTi. C’est lui l’auleur d’un pamphlet répandu iiarmi les cardinaux en 1350-1351. Sous forme d’une lettre du diable à Clément VI, il adressait au pape les pires reproches ; Villani dans Mubatohi, Rerum Italicai uni sci i/jtures, t. XIV, col. 13^ et Bibliothèque nationale de Paris, ms. latin 604.

Aux dires des clironiqueurs qui colportèrent des bruits fâcheux sur la conduite de Clément VI, on peut opposer cenx d’autres chroniqueuis qui approchèrcnl de près la cour pontificale. Weunur dbHas-KBLBECKB, qui séjouma plus ou moins longtemps en Avignon et tint une sorte de journal de ce i|ui s’y passa, n’allègueriencontre le l)ape ; Baluze-Moi.lat Vitæ papnrum Avenionensium, ^&rs, 1916, 1. 1, p. 5/13550. Son impartialité ne soulève aucun doute, quoiqu’il soit partisan de l’empereur Charles IV et, par suite.opposé aux amis de Louis de Bavière ; G.Mollat, Etude critique sur les Vitæ pnparum Âfenionensium d’Etienne Haluze, Paris, 1917, p. 55-56. Jkan La Porte d’.

nonay accumule les éloges de manière à composer une sorte de litanies en l’honneur de Clément. Le pape est : clementiæ spéculum, caritutis Iwspes, niiserictirdiæ pater.pietatis allumpnusjiberalitutis minister, Justitiiie pugit, aequilatis « tliletu,

concorJiiie sator, et pacis aiiutor, modettiæ nornm, reli^ionis exeniplur, umicitiiie fumes, anchora spei, fidei hasia, cuniplacentiæ mos, eloqtientiæ flos, honor régis et patriiie deciis ; Baluze-Mollat, o^).c17., p.288. L’auteur delà seconde vie de Cléim nt VI, publiée par Baluze, n’a pas moins d’admiration pour la personne du souverain pontife. Puisani à la même source que Jean La Porte, il diracjue la mémoire du pape « sera toujours bénie » ; Baluzk-Mollat, op. ctt., p. 272. PiKRHB DK Herbnthals uole que le luxe et une pompe toute séculière régnaient à la cour d’.vignon. Il le sait par expérience personnelle ou par des tiers ; Baluze-Mollaï, o/ ;. cit., p. 298. Sur Clément VI il ne porte pas le moindre jugement défavorable. Il n’exprime même aucun sentiment. Un anonyme, dont la chronique a été reproduite assez fidèlement par un Italien du xv" siècle, loue le pape ; BALUZB-MoLLAr, op.cit., p. 289. Son témoignage mérite créance, car il ne craint ni de blâmer sa politique italienne, ni de donner des preuves de son népotisme ; Balizb-MoLLAT, op. cit., [). 294 et 296. Un inconnu du xV siècle, un Français vraisemblablement, reproche aussi à Clément ses trop grandes complaisances pour les siens ; c’est, suivant lui, la seule faute qu’on ait à lui imputer ; Baluze-MoLlat, op. cit., p. 261.

De tels témoignages sullisent amplement pour ètayer un jugement équitable. Ils entraiueiit la conviction, quand on les compare à ceux des chroniqueurs hostiles à Clément VI. L’impartialité des premiers a])paralt clairement, quoique certains exagèrent parfois les louanges, tandis que le parti pris des seconds n’est pas moins évident. D ailleurs, ceux-ci ont vécu loin d’Avignon, dans un milieu hostile à la papauté avignonnaise ; ceux-là, au contraire, possèdent l’avantage d’avoir été pour la jilupart des témoins oculaires ou d’avoir été bien renseignés.

Il reste contre Clément VI un témoignage quelque peu embarrassant, celui de Pktrarqub. « Je parle dit-il, (/e clioses fues, et non pas entendues. » Epitre sine titulo xiv ; Opéra umnia, éd. Bàle, 1581, p. 728. Il fait tenir au pape les propos les plus lascifs, qui ne laisseraient aucun doute sur ses amours illicites, s’ils avaient été réellement tenus. A Séniiramis

— c’est-à-dire à Cécile, comtesse d’Urgel — Milio (Clément VI) chante : a Je me suis trouvé une douce amie, et il me sullil d’être réchauffé par ses perpétuels baisers » ; Eglogue vi, fastorum. A.i. Bartoli a jadisexlrait de nombreux passages des œuvres de Pètrarcjue, qui constiluenl un réquisitoire accablant contre la vertu de Clément VI ; Stovia délia letterutura iluliauii, Florence, 1884, t. VU, p. 85-113. Plus récemment, M. Doiiix écrivait, à l’aide des mêmes passages, un roman historique : Au tenipsde Pétrarque (Paris. 1906). Il y dépeignait les mœurs relâchés de Clément VI et les vices du camèrier.

Si atlirmalif que soit Pétrarque, il n’est pas qualifié pour censurer la conduite du pape. Ses accusations doivent être considérées comme injr.stes et invraisemblables. Son animosilé avérée contre les papes d’Avignon fournit à l’historien un motif sérieux de douter de la vérité de ses anecdotes graveleuses. Il haïssait en Clément VI le personnage qui avait su donner un si grande lustre à la Papauté avignonnaise. Sa liairie l’aveugla au point deneplus pouvoir juger sainement les chefs de l’Eglise. i> Nul ne le croira, a-ton dit, sauf ceux qu’abuse la haine de la Papauté » ; R. Dklachenal, Histoire de Cliarles V, Paris, ig16, t. III, i>. 494. En tout cas. Clément VI ne dut pas sa fin à une maladie honteuse, suite d’une vie dissolue qu’on l’accuse d’avoir menée. Durant de i longues années il soufirit de la gravelle et eut recours à de nombreux médecins. Sa mort fut causée