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PAPAUTE

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le droit des évéques à juger en matière de doctrine, on peut les entendre dans un bon sens (cf. / Tim., VI, ao, 21), pourvu qu’avec leurs devanciers du temps d’Innocent X ou les entende d’un jug ; ement provisoire, » en première instance », soit avant tout jugement de la question par le Pape, soil après un document pontilical sur lequel les novateurs suscitent de nouvelles querelles qu’il est nécessaire d’apaiser sans attendre l’intervention ultérieure du Saint-Siège. Ce deuxième cas fait plus de dilliculté ; par la décision pontificale, dira-t-on, la cause était finie ; de quel front un évêque vient-il encore la discuter et la juger ? — Sans doute, répond Fénelon, il n’est permis à aucun évêque catholique de remettre en question ce jugement du Saint-Siège, de discuter s’il faut le corriger, ou même le rejeter. Mais ne tirez pas de là cette assertion trop générale, que jamais des évêques ne peuvent juger après le Pape. Supposez que, dans un concile œcuménique, le Pape, arec la grande majorité des évoques si vous voulez, ait défini une question de foi, et que le reste des évêques n’ait pas encore donné son suffrage :

« Certes ils ne peuvent s'écai lei- de re qui déjà est jugé, 

ce serait un schisme, une hérésie évidente… lU d<>ivent soumettre leur eiprit comme les derniers des laïques… Et pourtant, d’a)>tès l’antique usa^e des concile" », ils se serviront de la même formule que les autres : Defin’cus êitbscripsi. n Ils prononceront avec eux une définition commune, UD même jugement.

Fénelon cite encore la formule de plusieurs conciles où les évêques sont dits approuver le jugement du Pape, sacro approhanle concilio. Telle est surtout à Cbalcédoine l’approbation ou confirmation donnée par les évêques à la définition de foi envoyée par saint Léon. Ils n’entendaient point par là nier la force obligatoire ou l’infaillibilité du document par lui-même, ni juger le Pape, mais condamner les erreurs avec lui et à sa suite. Pourquoi donc blàmerait-on nos évêques « de s'être attribué un jugement pour ainsi dire approbatif ou confit matif de la définition pontificale ? » Ibid., pp. 66-68.

On pourrait dire ici à l’archevêque de Cambrai : Autre est le cas d’un concile général où les évêques sont essentiellement appelés à participer au jugement suprême et à définir avec le Pape, — autre le cas d’une définition ex cathedra reçue par des évêques qui ne sont pas réunis en concile général. Dans le second cas, n'étant pas appelés à juger, il doit leur suflire de se soumettre. Mais Fénelon ne nie pas cette différence : au sujet des évêques de 1706, il plaide, non la nécessité essentielle et absolue, mais seulement la convenance qu’ils eussent un jugement après le Pape et avec le Pape : n Aoniie decel, etc. » El, de fait, il était convenable, grâce à des circonstances extrinsèques et toutes particulières au temps et au pays, que le jugement du Pape, bien que suffisant en lui-même, fût accompagné du jugement de quelques évéques, censés rciirésenter l'épiscopat fiançais. Les jansénistes de France, alors ultra-gallicans, et nombre d’esprits plus oji’moins égarés par eux et qu’on pouvait espérer de ramener, n'étaient nullement touchés par la seule définition du Pape, bien au contraire : voir la lettre à Fabroni. Pour promulgvier efficacement le jugement de Rome, il était donc sage, de la part de ces évêques, d’y unir leur propre jugement, si faible qu’il fût en réalité ; et leur cas particulier ne tirait pas à conséquence pour les définitions pontificales en général. Le plaidoyer de Fénelon pour eux ouvrait donc une voie raisonnable et permettait de les interpréter dans un bon sens, quelles qu’eussent été les intentions et les mauvaises dispositions de plusieurs d’entre eux.

— Nous avons tenu à analyser sa remarquable lettre, comme offrant une explication utile pour concilier l’infaillibilité du Pape avec le jugement des évêques a ant ou même après lui, et parce que cette lettre a été souvent mal comprise, à cause de la difficulté de sa matière et de l oubli de son cadre historique. (Jue Home ait tenu compte des suggestionsde Fénelon, nous le verrons par l’accommodement conclu en 1710 entre le Pape et les évêques de l’assemblée de 1705, autre fait bien significatif mais peu remarqué, qu’il nous faut encore signaler.

Sous l’influence du roi, les principaux prélats de cette assemblée, Noailles, Colberl, avec cinq autres archevêques et cinq évêques, signèrent eu 1710 un document explicatif que l’on trouve à la suite du procès-verbal de i 706, ainsi conçu :

Les novateurs, qui abusent de tout, pouvant abuser de quelques expressions du procès-verbal de l’Assemblée de 1705, an sujet de 1 acceptation de la Constitution du Pape ( Vineam Domini], il est à propos, pour prévenir leur mauvaise interprétation, d’expliquer la véritable intention de cette Assemblée ; ainsi nous, comme ayant eu part à toutes ses délibérations, et témoins de tout ce qui s’y est passé, déclarons : 1 » Qu’elle a prétendu recevoir cette constitution dans la même forme et dans les même maximes que les autres Bulles contre le livi-e de Jansénius ont été reçues.

— 2" Que, quand elle a dit que les constitutions des Papes obligent toute l’Eglise, lorsqu’elles ont été acceptées par le corps de> Pasteurs, elle n’a point voulu établir qu’il soit nécessaire que l’acceptation du corps des Pasteurs soh solennelle, poui- que de sembloblis tonstitutions du St-Siège soient des règles du sentiment des fidèles. -— ."î" Qu’elle était très persuadée qu’il ne manque aux Constitutions contre Jansénius aucun-- des conditions nécessaires pour obliger toute l’Eglise, et nous croyons qu’elle aurait eu le même sentiment sur les Bulles contre Baïus, contre Molinos, el contre le livre de M. l’Archevêque de Cambrai, intitulé Maximes des Saints, s’il en eût été fait mention. —, 'i' Qu’enfin elle n’a point prétendu que les Assemblées du. Clergé avaient droit d’exnminer les jugements dogmatiques des Papes, pour s’en rendre les juges et s'élever un tribunal supérieur. Kait à Paris le 10' de mars 1710. a Suivent les douze signatures. Durand de Maili.aise, Les libertés de l’Eglise gallicane, etc., 1771, t. IV, p. 82.

Le ag juin 171 1, le cardinal de Noailles écrivit au Pape dans le même sens. Citons le passage suivant :

i( J’atteste que… lorsque le clergé a dit que les constitutions des Souverains Pontifes, acceptées par le corps de » pasteurs, obligeaient toute 1 Eglise, il n a pas entendu que la solennité de cette acceptation fût une condition nécessaire pour que ces décrets dussent être regardés par tous les catholiques comme de » règles de leur croyance et de leur langage, malgré les grands avantages qui résultent quelquefois de cette solennité dans les lieux où l’erreur est née ; mais il a cru utile de forcer les jansénistes dans leurs derniers retranchements et de leur fermer tous les faux- fuyants, en employant une maxime reconnue par eux comme un principe… Le clergé regarde comme une vérité certaine.. que. relativement b ces décrets (contre Jansénius), on ne peut admettre ni appel ni espérance de changement. »

Clément XI se déclara pleinement satisfait de ces explications, et remercia Loui ? XIV du zèle avec lequel il les avait provoquées. Jagkr, Hist. de IT.gl. cath. en Fr., t. XVII, p. 469. — Ainsi, parmi les évêques français de cette époque, les uns étaient parti-, sans de l’infaillibilité pontificale, les autres, plus nombreux, ou bien se renfermaient volontiers dans un gallicanisme modéré ou du moins étaient forcés de s’y renfermer. La situation allait devenir plus critique après l’apparition de la Bulle Unigeniliis ; Noailles allait tourner à la révolte, sous l’influence de son grand vicaire et de son mauvais génie, l’abbé Boileau, et d’autres jansénistes de son entourage.