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PAPAUTE

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mais non pas dans leur exercice continuel. Telle est celle que nous défendons. Pendant les trois ou quatre siècles où elle a été plus ou moins révoquée en doute el librement discutée à l’intérieur de l’Eglise, le magistère ecclésiastique ainsi diminué subsistait et pouvait à la rigueur sullire : soit parce qu’un grand nombre de catholiques, surtout hors de France, continuaient à être convaincus de cette infaillibilité et à profiter des définitions pontiticales du passé, en sorte qu’il y avait toujours pour eux une iniluence de cette grande institution ; soit parce qu’une définition pontificale, de sa nature, n’est pas chose fréquente, et que l’histoire, même aux époques les plus favorables à la Papauté, nous montre ces définitions à longue distance les unes des autres ; soit enfin parce que, si l’on constatait une nécessité certaine de juger quelque controverse de foi sans trop de retard, si une nouvelle hérésie troublait l’Eglise, alors même il restait encore plusieurs moj’ens qui ne supposaient pas reconnue de tous l’infaillibilité que nous défendons. Quels étaient ces moyens ? D’abord un jugement provisoire du Pape, comme sont de fait plusieurs documents pontificaux qui montrent aux fidèles la vérité ou l’erreur, sans prétendre encore juger définitivement et infailliblement la controverse : les gallicans eux-mêmes demandaient pour de tels jugements un respect au moins extérieur ; c'était là déjà une direction. Ensuite, s’il fallait un jugement définitif et infaillible, il y avait le concile œcuménique ; c’est ainsi qu’au temps du gallicanisme le concile de Trente condamna les diverses erreurs des protestants. Enfin, pour avoir un infaillible jugement, il n'était pas même besoin d’un concile, diflicile à réunir. Le Pape, d’après le 4* article de 1682, a « la principale part > dans le jugement des questions de foi, et « ses décrets regardent toutes les Eglises de la catholicité ". Quand même il n’aurait pas l’infaillibilité que nous disons, il doit avoir au moins, d’après cet article, l’initiative qu’il faut pour adresser à toutes les Eglises un décret doctrinal condamnant la nouvelle erreur autant qu’il est en lui ; et si le consentement des évoques delà catholicité vient se joindre à ce décret, alors on sera d’accord sur sa valeur infaillible. C’est de la sorte que Bossuet lui-même regardait comme infaillible la condamnation des cinq propositions de Jansénius par Innocent X, et qu’il regardera comme infailliblela condamnation des propositions de Fénelon sur le pur amour par Innocent XII ; voir Gallicanisme, col. 229. Ainsi, dans cette période transitoire de controverse gallicane, les idées, bien que divergentes, se rencontraient assez toutefois pour permettre au magistère ecclésiastique de fonctionner encore, bien qu’avec beaucoup plus de difficulté et d’inconvénients que si la simple vérité avait brillé dans tous les esprits. Parmi ces inconvénients, il y avait l’imprécision dangereuse de ces paroles du 4 » article : « Le jugement (du Pape) n’est pas irréformable, à moins que ne s’y ajoute le consentement de l’Eglise. » S’agit-il du consentement des seuls évêques, ou exige-t-on aussi celui des prêtres, des fidèles ? d’un consentement des principaux sièges, ou delà multitudedesévêques ? de la totalité afc.so/((e de l'épiscopat, ou d’une totalité approximative, de ce qu’on appelle « Vunuersalité morale » ? d’un consentement exprès, ou seulement tacite chez un grand nombre ? Le vague, c’est ce que reproche à cet article (comme aussi au précédent) M. E. Lavissb, Hist. de France, t. VII, 2* part., 1907, p. 33. Un autre inconvénient, qui nous paraît le plus grave de tous, c’est que le gallicanisme modéré de la déclaration de 1682 traînait après lui une queue détestable et pratiquement diflicile à couper, c'était le gallicanisme

richériste ou janséniste, toujours sur la pente du schisme, habile à pêcher en eau trouble, séduisant pour les natures passionnées contre Rome, ainsi que pour les esprits simplistes que déroutait le système trop compliqué, trop surchargé de compromis, des gallicans modérés comme Bossuet.

c) Concession fuite par Bossuet à l’infaillibilité du Saint-Siège. — Une circonstance fort intéressante de l’assemblée de 1682 fut racontée plusieurs fois par Bossuet lui-même, en présence de graves témoins, à Fénelon qui l’a consignée dans sa dissertation De summi ponti/îcis auctoritate, cli. vii {Œus’res, éd. Xeroux-Gaunie, 1848, t. II, p 10). Gilbert de Choiseul, évêque de Tournai, avait d’abord été choisi pour rédiger la déclaration du clergé. Il l'écrivit et la lut à l’assemblée. Comme il y rejetait, en bon gallican, tout privilège surnaturel exemptant le Siège de Rome d’hérésie ou d’erreur contre la foi, Bossuet lui résista en face, objecta la promesse évangélique, d’après laquelle la foi de Pierre sera indéfectible (en lui et en ses successeurs) ; et il développa éloquerament les textes de l’Evangile, éclairés encore parla tradition des Pères. — Mais, lui répondit Choiseul, si vous admettez l’existence d’une telle promesse pour le Saint-Siège, vous retombez dans la doctrine ultramontaine que nous voulons touscombattre. Votreargurænt prouve trop. — Non, répliqua Bossuet. J’admets que « la foi de ce Siège est indéfectible, mais non pas que ses jugements sur la foi soient infaillibles », ce qui est la thèse ultramontaine. — Indéfectibililé dans la foi et infaillibilité dans les jugements de foi, c’est tout un, repartit l'évêque de Tournai. « Serait-il vraiment indéfectible dans la foi, celui qui pourrait se tromper en déclarant sa foi, laquelle, par hypothèse, est indéfectible ? N’est-ce pas défaillir dans la foi de la pire manière, que de prendre une hérésie pour la vraie foi, et de prononcer par une sentence définitive qu’on est obligé de croire ce qui n’est en réalité qu’une hérésie ? Expliquez- nous donc clairement en quoi votre indéfectibililé difl'ère de l’infaillibilité des ultramontains. » — Alors l'évêque deMeauxen vint à cette explication : u Le Siège apostolique a reçu la divine promesse d'être pour toujours le fondement, le centre et le chef de l’Eglise catholique et, eu cette qualité, de ne jamais devenir schismatique ou hérétique… Plusieurs Eglises d’Orient, après avoir joui de la communion catholique, sont tombées dans le schisme ou l’hérésie ; mais ce malheur ne peut arriverau Saint-Siège ; s’il venait à errer en matière de foi, il ne s’obstinerait pas dans son erreur, grâce à Dieu ; il serait bientôt remis par les autres Eglises dans le droit chemin ; dès qu’il s’apercevrait de son erreur, il la rejetterait… Ainsi il peut se tromper dans ses jugements sur la foi, mais cette erreur serait vénielle, et ne détruirait pas en lui la foi de Pierre. Gardant la volonté très constante d’adhérer à la foi pure de l’ensemble des Eglises en communion avec lui, ce Siège ne joindrait pas à l’erreur l’opiniâtreté qui fait les hérétiques, ne romprait jamais le lien de la communion, serait perpétuellement catholique de cœur et de désir, donc jamais hérétique. » La discussion finie, Choiseul résigna sa fonction de rédacteur de la déclaration ; Bossuet fut mis à sa place, et écrivit aussitôt les quatre articles qui nous sont restés.

Fénelon examine alors cette discussion, et donne la solution vraie en prenant position entre les deux adversaires. Il est d’accord avec Bossuet pour voir dans l’Evangile et la Tradition la promesse faite au Saint-Siège d’une foi indéfectible. Mais il est d’accord avec l'évêque de Tournai pour affirmer que l’indéfectibilité admise par l'évêque de Meaux doit