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PAPAUTE

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nement : « Une infailliliililé douteuse ne peut prétendre à un jugement absolument suprême dans les choses de foi. Bien plus, une infaillibilité douteuse ne peut se concevoir. Que servirait, en elTel, d'être infaillible, si l’on n'était pas certainement reconnu comme tel ? Le Christ ne peut pas concéder à quelqu’un dans son Eglise une telle fonction ordinaire (de juger infailliblement les choses de foi), si cette fonction ne doit pas sertir à son Eglise ; et elle ne lui servira pas, si elle ne lui est pas révélée, révélée au moins de telle sorte que, si la question vient à se poser, cette concession du Christ puisse être définie par les conciles et les Pontifes. Car ce qui n’aurait pas été révélé de la sorte, je ne l’appellerais pas révélé, mais enveloppé. » /.. c, p. 601.

Béponse. — Oui, s’il a investi le Pape d’une telle fonction judiciaire et d’une telle prérogative d’infaillibilité, le Christ, pour que tout cela « puisse être utile », a dû le révéler à son Eglise, non pas avec une évidence qui du premier coup saule aux yeux de tout fidèle, mais du moins « assez clairement pburque cette concession divine puisse être reconnue etdéfinie », — suivant la formule de Bossuet lui-même ; une révélation de ce genre existe pour l’infaillibilité duPape et elleélait « assez claire dans l’Evangile et la Tradition » réunis, pour qu’un concile œcuménique ait pu « la reconnaître et la définir ». Mais Bossuet a trop l’air de croire que, si le Christ avait révélé l’infaillibilité du Pape, rien n’eût empêché de la définir déjà ; et qu’en général si une définition se fait beaucoup attendre, mettons pendant trois siècles, c’est une preuve qu’elle ne viendra jamais, faute de révélation sullisante. c. Si la chose, dit-il, est aussi clairement révélée qu’ils le prétendent, qu’est-ce qui a empêché de la définir ? Voilà trois cents ans que l’on agite librement cette controverse. » Gallia orthod., toc. cit. Il serait facile de trouver dans l’antiquité ecclésiastique des vérités que Bossuet tenait pour clairement révélées et qui n’ont été définies qu’après plusieurs siècles de libre discussion. De même, quand on vit éclore les controverses théologiques sur l’infaillibilité du Pape et sur son autorité par rapport au concile, c’est-à-dire vers la fin du schisme d’Occident, au xv « siècle, le magistère ecclésiastique ne s’est pas pressé de condamner un homme du mérite de Gerson, ni d’autres membres d’une aussi célèbre Université que celle de Paris ; il a laissé le champ libre à la discussion, et n’a pas désespéré de la science ni de la prudence des docteurs. Et de fait, au xvi" siècle, nous l’avons vu, la doctrine aujourd’hui définie commençait à triompher partout, même à l’Université de Paris ; l’accord unanime et constant semblait près de se faire. Malheureusement pour cet accord, au xvii « siècle, en France, les préoccupations nationalistes (d’ailleurs motivées en partie) et plus encore les passions et les intrigues des politiciens arrivèrent à obscurcir de nouveau une question toute spirituelle. L’infaillibilité pontificale retrouva des adversaires non seulement parmi les sophistes entêtés ou les purs arrivistes, mais encore parmi les hommes doctes et pieux, comme Bossuet. Nombre de fidèles, entendant ainsi des évoques et des docteurs catholiques défendre le pour et le contre, ne savaient à quoi s’arrêter ; et, comme il arrive en toute semblable controverse, si révélée que fût en elle-même l’infaillibilité, le doute assez répandu sur cette révélation faisait pratiquement cesser l’obligation générale de la reconnaître et de croire, jusqu'à ce qu’enfin une définition vînt rétablir cette obligation, et d’une manière explicite.

Bossuet a tort aussi de se prévaloir de ce que le St-Sicge s’est abstenu de censurer les quatre arti cles au moment de leur publication, et les années suivantes. Lui-même n’a t-il pas alors reconnu le grand danger d’un schisme avec Rome ? Kallait-il donc que le souverain Pontife, par un coup d’autorité, précipitât peut-être tant d'àmessi mal disposées dans le schisme et dans l’hérésie ? Fallait-il que, pour forcer les gens, et avec si peu d’espoir de succès, à reconnaître son infaillibilité, d’ailleurs devenue pratiquement douteuse et niable sans un péché formel, le Pape exposât la France à perdre ce qu’elle gardait encore de liens avec la cathedra Pétri, à perdre le* vérités les plus certaines et les plus fondamentales sur le centre de l’unité de l’Eglise et la primauté du St-Siège ? La temporisation en face d’erreurs excusables pour plusieurs, la condescendance à l'égard des multitudes dévoyéesparleurs chefs, étaient trop dans les traditions de Rome pour qu’en une circonstance si grave elle pût y manquer. Mais cette temporisation et cette condescendance n’excusaient pas ceux dont les intentions et les agissements étaient coupables ; à Dieu déjuger la sincérité ou l’insincérité de chacun. Cette temporisation de l’autorité suprême n’empêchait pas non plus les partisans convaincus de l’infaillibilité de continuer à la défendre, hors de France, et même en France. Et c’est ainsi qu’une vérité révélée, même pendant la longue période de doute qu’elle peut avoir à subir, ne devient pas « inutile ». Grâce à la Providence de Dieu sur son Eglise, il se rencontre toujours des docteurs pour la défendre et des fidèles pour en garder la foi. A ceux-là du moins, les infaillibles définitions des Pontifes, passées ou présentes, n'étaient pas inutiles ; et cette lumière n’avait pas disparu pour eux. Bossuet aurait dû reconnaître qu’une vérité révélée, rendue « douteuse » par la controverse entre catho liques, n’est pas pour cela vraiment « inutile «.Car il croyait lui-même à l’Immaculée Conception comme à une vérité révélée, la soutenait par d'éloquents discours et ne la regardait certes pas comme une vérité inutile : et pourtant cette vérité, du fait de la controverse, était devenue « douteuse j^ depuis longtemps et n'était pas plus près d'être définie que l’infaillibilité du Pape. En somme, Bossuet semble n’avoir pas eu des idées assez nettes sur le développement du dogme, sur les phases diverses par lesquelles peuvent passer certaines vérités révélées, celles qui furent révélées moins explicitement que d’autres. C’est la conclusion de plusieurs historiens et critiques contemporains ; voir J. Huby, Christus, 2" éd., Paris, 1916, p. 119g, 1200.

Mais Dieu (a-t-on dit de nos jours), s’il eût voulu instituer l’infaillibilité du Pape, n’aurait pu la laisser tomber ainsi, et pour si longtemps, dans la condition douteuse des vérités controversées entre catholiques. Car, d’après ses défenseurs, elle serait trop fondamentale et trop pratiquement nécessaire à la vie de l’Eglise pour pouvoir ainsi s’obscurcir ; la Providence n aurait donc pas pu permettre pour cette institution ce qu’elle a permis pour des vérités qui n’avaient pas cette nécessité pratique, par exemple, l’Immaculée Conception.

Béponse. — On prête ici aux défenseurs de l’infaillibilité pontificale une exagération de sa nécessité, qu’ils ne sont nullement obligés de soutenir. Ce n’est point par de » arguments a priori que nous prouvons notre thèse, comme si la vie de l’Eglise ne pouvait ni se concevoir ni subsister pendant une période un peu longue sans que l’exercice de cette infaillibilité soit reconnu de tous, mais pardes /ex/es positifs d’où il ressort que J)ieu a voulu le Pape comme juge infaillible de la foi ; or Dieu a voulu et révélé bien des institutions très utiles mais non nécessaires à la vie de son Eglise, ou nécessaires en un certain sens.