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PAPAUTE

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à leurs frontières pour empêcher le libre passage des documents romains. On les soumettait au placet royal. Le prétexte, c'était que, les lois de l’Eglise étant alors lois de l’Etal, celui-ci, qui en urgeail au besoin l’exécution, devait au préalable, disait-on, les avoir approuvées en connaissance de cause. Ce motif n’existait plus, par le fait que l’Etat était sécularisé ; mais, nous l’avons vu, ce n'était pas uneraison pour que la prétention disparût aussitôt. D’une manière plus décisive, la liberté de la presse a rendu toute cette législation, déjà surannée, totalement illusoire. C’est ce qu’exprimait très bien Mgr Manning, à la veille du dernier concile, alors que d’autres s’alarmaient plus que de raison de la mauvaise volonté des Etats à l'égard de certaines déûnilions éventuelles. « Nous vivons en des jours, écrivait-il, où le regiiini placitam et les exeqiialtir et les arrêts des parlements sont choses mortes. II peut avoir été possible d’empêcher la promulgation du Concile de Trente. Il ne saurait être possible d’empêcher la promulgation du Concile du Vatican. La liberté même, dont nos contemporains sont si tiers, sullira pour le publier. Dix raille presses en tout pays promulgueront chaque acte de l’Eglise et du Pontife à la face de tous les pouvoirs civils. Une fois publiés, ces actes entrent dans le domaine de la foi et de la conscience, etaucune législation humaine ni autorité civile ne peut plus les effacer. Les deux cents millions de catholiques connaîtront les décrets du concile du Vatican ; les connaître et leur obéir ne feront qu’un. »

Redevenue ainsi pleinement maîtresse de ses relations avec les Eglises particulières, Rome est encore amenée de maintes manières à rendre ces mêmes relations plus étroites que jamais. Les conditions de la vie politique moderne obligent les catholiques à intervenir comme catholiques pour la défense de leur foi. Les gouvernements ne la protègent plus ofliciellement, mais ils reconnaissent à tous les citoyens le droit d’influer sur la marche des affaires publiques. Il ne s’agit pas ici de proclamer ce régime le régime normal d’un peuple chrétien, mais c’est un devoir évident de se servir des armes qu’il offre. Tribune, presse, droit de pétition, de réunion, d’association, tous ces moyens n’ont rien d’illégitime en eux-mêmes. Les méchants en usent pour pousser à la persécution ; pourquoi les bons n’en useraient-ils pas pour imposer le respect de leur religion ? C’est ce que surent se dire O’Connell en Irlande, Lacordaire, Monlalemberl, L. Veuillot en France, Windthorst et Mallinckrodt en Allemagne ; ils créèrent ainsi des partis catholiques avec lesquels les gouvernements eurent à compter. Regardons-les à l’iiuvre, en France surtout. Sur ce terrain encore, nous allons voir le jeu des circonstances nouvelles agrandir le pouvoir de la Papauté. Ces catholiques, ardents et actifs, veulent obtenir que l’Eglise jouisse sans restriction des libertés communes. Le premier obstacle qu’ils trouvent en face d’eux dans cette entreprise, ce sont les hommes d’Etat, armés des maximes gallicanes et régaliennes et de tout ce que l’on peut ressusciter des législations d’ancien régime. Les voilà donc engagés par la force des choses dans une lutte à fond contre le gallicanisme. Ultramontains par conviction, ils le seront encore par nécessité de position, et leur action, si vivante, si conquérante, s’exercera tout entière dans ce sens.

Ce n’est pas tout. Cette opposition catholique, sérieusement organisée, peut créer au gouvernement des embarras sérieux. Celui-ci sera trop heureux alors, pour se tirer d’affaire à meilleur compte, de s’entendre directement avec le Saint-Siège, espérant bien trouver de ce côté un esprit plus accommodant.

Sur le moment, le calcul pourra réussir ; mais les conséquences lointaines seront graves. Voilà donc ces gouvernements, occupés depuis des siècles à isoler les lidèles du centre de l’Eglise, qui implorent maintenant l’intervention de Rome et lui ouvrent la voie pour s’immiscer davantage dans les alfaires locales. De ce chef encore, l’action de la Papauté est en progrès.

C’est ainsi que la Providence a su faire tourner au bien de son Eglise les moyens mêmes qu’on avait employés contre elle. Laissée davanlage à elle-même, destituée davantage de tout secours humain, elle est devenue aussi plus unie et partant plus forte. Cette période si agitée et si troublée du xix siècle, aura en somme été meilleure pour elle que celle par exemple du despotisme éclairé. C’est ce qui fera dire excellemment à Vkuillot : « Nous acceptons très sincèrement l'état présent, non comme bon, car en réalité il est anarchique, mais comme moins mauvais que l'état antérieur, état d’unité fictive et de servitude réelle, le plus opposé de tous au rétablissement et au progrès de la véritable unité… Là où l’Eglise n’est pas reine, nous l’aimons mieux sim[)le citoyenne que principale employée ou favorite. » (Home pendant le Concile ; irs.'y)

Cependant, chose curieuse, ce régime des concordats modernes, qui déjà est à plus d’un égard — du moins dans la plupart des pays — un régime de séparation, ce sont les Etats qui, malgré les avantages qu’ils s’y sont réservés et dont ils abusent, ce sont eux qui, tout le long du siècle, menacent de le rompre, et c’est l’Eglise, ce sont les papes, qui s’efforcent de le conserver. Serait-ce donc qu’ils ont peur de ce qui viendra ensuite ? Nullement. Veuillot encore nous expliquera très bien leur conduite.

« Si l’Eglise, écrit-il, continue de repousser quelques

consé(]uences extrêmes de la séparation, c’est par miséricorde, pour ne pas léser le principe d’une union nécessaire et que tôt ou tard le besoin de l’humanité rétablira. Ils lui coûtent plus qu’ils ne lui prolitent, ces restes de liens qu’on menace de lui ôter ! Lorsqu’elle en sera dégagée, comme elle a lieu de le prévoir, elle ne les pleurera point. Elle sait qui traversera la mer Rouge et qui restera au fond. Au delà des déserts, elle sait qu’il y a la terre féconde. « (fhid.) Ce dernier acte de la séparation est aujourd’hui en France un fait accompli ; et l’on a pu déjà se rendre compte que la Papauté y a plus gagné que perdu. Jamais son autorité ne s'était exercée avec plus de plénitude ; jamais non plus, serable-t-il, elle n’avait rencontré dans l’ensemble une obéissance plus tiliale. Et ce n’est point l’obéissance de la mort ; partout au contraire on signale, malgré les lois de persécution et le mauvais vouloir des gouvernants, un renouveau de la foi et de la piété catholique. C’est là le résultat de tout un siècle de luttes, où les fidèles ont combattu vaillamment pour afl’ranehir le pouvoir spirituel de toutes les entraves qu’on prétendait lui imposer. C’est bien aussi en grande partie grâce à cette lutte ardente, que les circonstances même les plus défavorables ont fini par tourner au profit de la Papauté.

Nous n’avons point ici à parler du Pouvoir tbmPOHBL (voir ce mol). Notons seulement que sa perte n’a pas été non plus sans compensation. Les malheurs de Pib IX, si dignement supportés, contribuèrent à augmenter la vénération pour le Vicaire de Jésus-Christ chez les fidèles du monde entier. Jamais pape ne fut aussi passionnément aimé. Dans cet élan d’amour qui transportait les peuples, tout ce qui pouvait rester de particularisme local dans certaines Eglises se trouva vite éloufl'é. Enfin, au moment même où le pouvoir temporel allait sombrer.