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PAPAUTÉ

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pu sur ce terrain commettre plus d’une faute ; ce n’est point en pareille matière qu’ils revendiquent le privilège de l’infaillibilité. Néanmoins, à qui jette un regard d’ensemble sur leur action à cette époque, elle apparaît souverainement raisonnable, amie avant tout du tact et de la mesure. Rome continue à être le centre d’où l’on juge les affaires de l’Europe avec les vues les plus hautes. Les victoires orientales des armes chrétiennes sur les Infidèles — que ce soit celles du Polonais Sobieski, ou celles du prince Eugène de Savoie, commandant les armées de l’Empire — y provoquent toujours un sursaut de joie. On s’y intéresse aussi, comme il est juste, au triomphe des princes catholiques sur l’hérésie ; on s’y montre inquiet des avantages, même purement politiques, obtenus par celle-ci. Au début du xviii' siècle, C.LKMBNT XI protestera contre l'érection en royaume de la Prusse luthérienne ; en 174^ encore, Benoit XIV ne sera pas indifférent à la tentative du prétendant Charles-Edouard pour reconquérir le trône d’Angleterre sur la dynastie protestante. Et pourtant Rome n’aime point voir une couronne catholique remporter des succès trop éclatants. Elle craint toujours, non sans motif, pour la liberté de l’Europe et pour sa propre indépendance. Nous avons déjà vu Sixte-Quint se refuser à seconder les vues ambitieuses de Philippe II. Lorsque, plus tard, Louis XIV poussant trop loin l'œuvre de Henri IV et de Richelieu, l'équilibre se trouva de nouveau rompu, cette fois en faveur de la France, Innocent XI, à qui ne manquaient pas les raisons de se sentir menacé par l’orgueil du Grand Roi, se porta davantage du côté de l’Allemagne.

Sur les questions religieuses qui se débattent alors dans les différents Etats, la politique pontificale se fait remarquer par la même modération. On est loin à Rome de se montrer impitoyable envers les hérétiques. De même que les Papes du xvi"' siècle sont intervenus à plusieurs reprises pour adoucir les rigueurs de l’Inquisition espagnole, de même Innocent XI, à la grande stupeur des conseillers gallicans de Louis XIV. découvre des inconvénients à la politique de rigueur contre les huguenots et accueille un peu froidement la nouvelle de la Révocation de l’Edit de Nantes.

Nous avons montré de quelle large condescendance la Papauté avait fait preuve au concordat de Bologne, quelle prudence elle avait montrée plus tard vis-à-vis de Henri IV et de la Ligue. Au xvii' siècle, cette politique conciliante fut splendidement récompensée. Les parlements avaient bien essayé de s’opposer à la réception des décrets de Trente, comme contraires aux libertés gallicanes ; ces sages déci-sions furent néanmoins appliquées en France, et leurs effets y furent peut-être plus consolants que partout ailleurs. Sous une royauté forte et respectée, souvent sans doute trop jalouse de ses droits, mais attachée du fond du cœur à la religion et bien résolue à ne jamais rompre avec le Saint-Siège, voici venir, après les tempêtes de l'époque précédente, une des plus belles efDorescences de vertus et d'œuvres saintes que le catholicisme ait jamais suscitées. Les Souverains Pontifes ne se sentaient peut-être pas aussi puissants dans la France d’alors que dans celle du moyen âge, mais en définitive ils pouvaient se réjouir d’y voir leur voix obéie, les doctrines qu’ils condamnaient — le jansénisme en particulier — rejetées, et la religion à laquelle ils présidaient y portant de si beaux fruits. Le mal fut, nous l’avons dit, que les rois, et plus encore leur< parlements, voulurent opposer aux doctrines romaines une doctrine soi-disant nationale, dont nous verrons bientôt les déplorables effets. Sur la fin du

siècle, Louis XIV, mal inspiré par son orgueil, ne sut pas résister au désir d’humilier la Papauté en lui opposant les vieilles maximes gallicanes, et il trouva des évêques complaisants pour se prêter à ses vues. L’assemblée de 168a codifia, sous une forme, il est vrai, relativement modérée, ces prétentions surannées. Mais là encore il faut admirer la modération et la longanimité du Saint-Siège. Il protesta contre la déclaration des quatre articles, et toutefois évita tout ce qui aurait pu amener une rupture avec la France. Et quelle délicatesse encore, de ne jamais avoir voulumettre à l’Index la Defensio cleri gallicani, pour ne pas jeter une ombre sur la gloire théologique de Bossuetl Mais, hélas I les papes pouvaient bien s’abstenir de prendre leur propre cause en main ; les conséquences qui allaient sortir des principes qu’on venait de poser se chargeraient assez de les venger.

VII. Les papes du X VIH" siècle et les préparatifs de la Révolution. — Tandis que le catholicisme, réformé à Trente, produisait, spécialement en France, des merveilles de sanctification et de charité, le libre examen avait continué de dissoudre le protestantisme, déjà si variable dès l’origine. En Angleterre il avait rapidement amené un certain nombre d’esprits au rejet de toute religion positive et à l’incrédulité complète. C’est de là que le mal allait gagner la France, pour se répandre ensuite dans toute l’Europe. Le philosophisme et la franc-maçonnerie viendront de l’Angleterre protestante, de même que la théorie subversive de la souveraineté du peuple sera empruntée par Rousseau aux théologiens et publicistes protestants. De tout cela sortirait une des conjurations les plus dangereuses qui se soient jamais attaquées au christianisme. Les principes mêmes sur lesquels reposait la société chrétienne allaient être mis en cause ; on essaierait de la renverser pour lui substituer un ordre tout nouveau, fondé sur des principes contraires. Or, dans cette crise décisive, tout ce qui avait été fait pour diminuer l’autorité des papes allait se trouver affaiblir d’autant la défense catholique.

Dès l’joô. Clément XI, s’adressant à Louis XIV, lui faisait remarquer qu’en défendant l’autorité du Saint-Siège il défendait par le fait même toutes les autres autorités. On demi-siècle plus tard, en 1753, d’Argenson se faisait inconsciemment l'écho de la parole du saint pontife en écrivant : « Dans l’esprit public s'établit l’opinion que la nation est au-dessus des rois, comme l’Eglise universelle est au-dessus du pape. >i Ainsi, chose qui eût bien étonné sans doute les conseillers gallicans du Grand Roi, cette doctrine mortelle de la souveraineté du peuple, qui devait tout bouleverser en France et en Europe, trouvait un appui préparé comme exprès dans les maximes gallicanes. Pendant ce temps, les querelles du jansénisme sur le droit et le fait, la bulle Unigenitiis, les billets de confession, — querelles fatigantes, sans cesse renouvelées par les parlements, toujours heureux de tenir Rome en échec, — épuisaient les forces de l’Eglise, qu’on aurait eu tant besoin de pouvoir grouper pour la défense. (Voir Galucanisme, col. 262-264)

Les papes cependant ne manquaient point à leur devoir de vigilance. Clkmknt XII, en 1788. puis Benoit XIV, en 1751, condamnaient la franc-maçonnerie ; et r//irfea ; romain inscrivait sans relâche dans ses colonnes les productions de l’impiété. Hélas I là encore on se lieurtait aux préjugés gallicans. Les décrets contre les sociétés secrètes, n’ayant pas été enregistrés au parlement, passèrent, aux yeux des meilleurs, pour non avenus ; et l’on reste dans la